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Marché de l'art

COMMENT L’ART URBAIN S’IMPOSE EN LIGNE

Pour Emerson Radisich, conservateur curateur de l’exposition « The Digital Street » organisée par le site Taby, le graffiti et le Street Art prennent un rôle de premier plan grâce au numérique et s’intègrent ainsi au marché de l’art.
Par Christian Charreyre

L’Art Urbain touche un large public, provoquant un changement générationnel que l’art traditionnel ne parvient pas à faire. Mais si les œuvres de Street Art acquièrent une place de plus en importante sur le marché des enchères, grâce notamment à des artistes comme Bansky ou KAWS, l’écosystème classique, notamment les critiques et les galeristes, semblent avoir encore du mal à s’adapter. Le salut pourrait venir d’une présence numérique adaptée à une nouvelle génération d’amateurs.

Quel est votre rôle en tant que conservateur de la galerie d’art en ligne de Taby ?

Mes principales tâches chez Taby sont la création et la conservation des expositions. Une fois que notre directeur et moi avons choisi le thème de chaque exposition, je fais des recherches sur le sujet et je sélectionne les artistes qui, selon moi, sont les meilleurs pour Taby et nos clients. Je suis également responsable de nombreuses opérations de façade, comme la communication avec les artistes, celle avec nos fabricants dans le monde entier, et la rédaction de beaucoup de textes qui accompagnent les expositions.

Comment les graffitis et le Street Art influencent-ils la culture de l’art contemporain ?

Je me pose souvent cette question… Il existe un terme reconnu appelé « post-graffiti », qui a été utilisé dans le monde universitaire pour définir les limites entre les arts de la rue et l’art contemporain. Lorsqu’il est utilisé, ce terme désigne une série d’artistes issus du milieu graffiti et entrés dans le monde des Beaux-Arts avec leurs influences formatrices. REVOK en est un bon exemple. À cet égard, je pense que le graffiti et le Street Art influencent la culture de l’art contemporain simplement parce qu’il existe désormais un forum pour ce type de pratiques. Et une fois que les graffeurs entrent dans le système de l’art contemporain, il y a forcément une pollinisation croisée des idées, des styles, des techniques… Je pense également que les graffitis et le Street Art sont de plus en plus « acceptables » dans le monde de l’art. Les artistes de rue battent des records dans les maisons de ventes aux enchères, de plus en plus d’institutions présentent les œuvres de ces artistes et les festivals de Street Art fleurissent dans le monde entier.

Malgré le succès du marché des ventes aux enchères, les arts de la rue semblent toujours être ignorés par les galeries traditionnelles. Pourquoi en est-il ainsi ?

Malheureusement, les galeries traditionnelles exposent de l’art… traditionnel. Le secteur commercial est extrêmement difficile et il faut beaucoup de temps à une galerie pour trouver le succès, dans la plupart des cas, des décennies et, une fois un statut influent atteint, les directeurs et conservateurs de ces espaces qui ont trouvé une recette gagnante ne veulent pas s’en écarter. En outre, les clients s’attendent à ce qu’un type d’art familier leur soit proposé dans les galeries qu’ils fréquentent. Il y a cependant un effet positif à cela. Partout dans le monde, des galeries telles que Les Bains, Stolen Space, Hang-Up Gallery et Backwoods Gallery ouvrent la voie aux arts de la rue et aux espaces commerciaux orientés graffitis. Le vent tourne et, à mesure que ces galeries gagneront en réputation, il y aura une place plus concrète et plus fiable pour les artistes d’Art Urbain.

Les critiques sont-ils trop sévères à l’égard des artistes urbains ?

Parfois. Récemment, j’ai vu une exposition personnelle de KAWS à la National Gallery of Victoria, en Australie. Elle a été bien accueillie par certains et rejetée par beaucoup, la critique la plus fréquente étant que les œuvres étaient trop « gadgets », trop commerciales et dépourvues de concept. Si je peux comprendre cette critique face aux travaux récents de KAWS, cet artiste a une histoire assez riche que beaucoup de commentateurs ont négligée. De tels cas sont assez courants, les critiques et les créateurs de goût mettant de côté l’art de la rue. C’est quelque chose qui, je l’espère, va changer dans un avenir proche.

Les expositions en ligne sont-elles un moyen de changer les choses ?

Elles pourraient l’être. À mon avis, les expositions en ligne présentées par des galeries numériques comme Taby sont extrêmement intéressantes. Par rapport aux espaces physiques, elles n’ont pas autant de contraintes et donc moins de barrières par rapport aux expositions qu’elles organisent. Par exemple, The Digital Street combine les œuvres d’artistes de six pays différents, ce qui est inédit pour une nouvelle galerie. En ce sens, la réalisation d’expositions en ligne permet la collaboration d’artistes de manière inédite. Elle permet également aux artistes de se connecter à une base de clients beaucoup plus large, ce qui est bénéfique pour tous.

Les réseaux sociaux ne sont-ils pas suffisants ?

Beaucoup d’œuvres d’art merveilleuses proviennent de communautés très unies et les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel. Pour autant, à l’ère du numérique, ces réseaux sociaux « communautaires » sont souvent insuffisants.

Que présentera votre prochaine exposition, The Digital Street ? Comment avez-vous choisi les artistes proposés ?

Concevoir The Digital Street a été une exposition intéressante pour moi. L’essentiel de ma pratique tourne autour de la réalisation d’expositions critiques, alors que la mission de Taby est tout à fait différente : proposer de grands artistes à des clients qui ne les auraient pas vus autrement. En ce sens, mon principal objectif pour The Digital Street, en dehors d’inviter des artistes travaillant dans le monde du graffiti et du Street Art, était la diversité. Nous avons des artistes de Chine, des États-Unis, d’Australie, d’Italie, de Pologne et de Suisse, un équilibre entre hommes et femmes et, à mon avis, une gamme esthétique globale qui met en valeur les possibilités de la pratique du graffiti à l’ère numérique. J’espère avoir organisé une exposition où il y aura quelque chose pour tout le monde.

Les artistes de la nouvelle génération ont-ils une approche différente de leur relation avec le marché ?

Sans aucun doute. Autrefois, il y avait une « structure » dans le marché de l’art. Les artistes vendaient des œuvres par l’intermédiaire de galeries, et les galeries à succès vendaient des œuvres d’art à des institutions. Ce processus
s’est effondré récemment. Comme cela a été le cas dans beaucoup de domaines, les nouvelles technologies ont ouvert de nouvelles voies pour vendre et accéder aux produits de base. Il est désormais courant pour les artistesde vendre des œuvres en ligne et, bien sûr, pour les galeries numériques, comme Taby, de le faire également.

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