Menu
Marché de l'art

L’édition est-elle le Nouvel Eldorado du Street Art ?

Même si le prix des œuvres d’Art Urbain ne connaissent pas – encore ? – les envolées de l’art contemporain, tout le monde ne peut pas s’offrir un Invader ou un Shepard Fairey. Les éditions en tirages limités mettent le rêve à la portée de toutes les bourses, ou presque.
Par Christian Charreyre

De tout temps, les procédés de reproduction en très haute qualité ont séduit les artistes, les marchands et les collectionneurs. Gravures, estampes, lithographies, sérigraphies et, aujourd’hui, impression numérique permettent de produire des œuvres d’art en quantités limitées, numérotées, authentifiées et signées. Pour le galeriste Joël Knapfo, qui a ouvert il y a un an et demi le site Litho.OnLine et un espace de vente dans le XVIIIe arrondissement parisien spécialisés, l’édition est aujourd’hui un phénomène majeur dans l’Art Urbain. « Après une baisse il y quelques années, nous assistons à un véritable retour de l’engouement pour les éditions et je pense que le Street Art y a grandement contribué. Il existe un public qui ne peut pas s’offrir des œuvres originales, même si elles restent globalement très accessibles. Les éditions sont une façon de commencer une collection ».

Un phénomène massif

L’édition est aujourd’hui partout dans le petit monde de l’Art Urbain. Elle fait partie du modèle économique des artistes et des galeristes. Pour Camille Cohen et Michaël Le Goff, qui dirigent la galerie parisienne Cohle Gallery et ont lancé en 2016 une marque d’édition, Happy Gallery, pour proposer des pièces sur papier et différents support (acier, plastique, plexiglas, bois…) ainsi que des sculptures en acier, les deux métiers sont à la fois proches et éloignés. « Tout dépend de la perception que l’on peut avoir d’une galerie. Depuis notre création, nous avons souhaité proposer des œuvres différentes de celles que l’on trouvait sur le marché ; en ce sens l’édition est connexe à notre activité de galeriste. Mais l’édition se distingue puisqu’elle demande également des connaissances techniques et une implication toute particulière dans la création des éditions et cela est particulièrement vrai pour les sculptures notamment en acier. En tant qu’éditeur d’art, nous avons une force de proposition beaucoup plus importante car nous avons conscience et connaissance de nos capacités et des possibilités que nous pouvons offrir aux artistes. En grande partie, nous travaillons avec les mêmes artistes que la galerie, mais nous avons par exemple produit une série d’édition pour l’artiste américain Buff Monster ou pour l’artiste Supakitch que nous ne représentons pas ». Le phénomène intéresse aussi les « pure players ». Julien Gaillandre, fondateur du site Giant Paper (giant-paper.com), propose des tirages numériques en petites séries, de 20 à 50 exemplaires au plus, sur du papier de qualité. « Nous sommes trois frères travaillant dans l’atelier d’impression numérique fondé par notre père il y a 50 ans. En 2017, nous avons lancé un site de ventes de belles images, Papa Paper. Mais nous sommes aussi des amateurs et des collectionneurs d’Art Urbain. Quand nous proposions la reproduction d’une œuvre, nous en gardions une pour nous, signée par l’artiste. Nous avons créé Giant Paper en nous disant que nous en aurions été les premiers clients. Il y a aujourd’hui un fort intérêt pour l’édition tout simplement parce que, par rapport à une œuvre originale valant par exemple 3.000 euros, on peut acquérir une reproduction d’une qualité exceptionnelle, numérotée et signée, pour dix fois mois cher. Pour moi, c’est un premier pas avant de passer aux œuvres uniques. D’ailleurs, pour certaines de nos éditions, comme les Kaws signés par OneMizer, les originaux peuvent être achetés ».

De véritables œuvres d’art

Quand on achète une toile ou une sculpture unique, on est certain de détenir une œuvre originale. Mais qu’en est-il pour un tirage à plusieurs exemplaires, même en nombre limité ? « Il peut y avoir une différence de perception sur la valeur disons artisanale de la production, surtout pour le tirage numérique. S’il assure rapidité et fidélité de l’exécution, il garantit aussi une qualité identique de la première à la dernière copie. Ce n’est pas le cas avec les procédés classiques, notamment la lithographie. La pierre s’use, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les premiers numéros sont traditionnellement les plus recherchés. L’usage est resté aujourd’hui, même pour l’impression numérique, parce que cela fait partie de l’inconscient collectif», précise Joël Knapfo. En tout cas, l’édition intéresse les collectionneurs, comme le précisent Camille Cohen et Michaël Le Goff. « Nous avons une gamme de prix très large, qui va actuellement de 70 à 15.000 euros. Il n’y a pas réellement de limite car tous les projets sont différents. En fonction des prix, les acheteurs peuvent être les mêmes qu’à la galerie. C’est notamment le cas pour les sculptures en acier. Inversement, ils sont souvent différents pour les éditions plus accessibles type digigraphie. L’idée de l’édition d’art est, avant tout, de permettre à tous les budgets d’accéder à l’art, et nous essayons au maximum d’intégrer ce point lorsque nous produisons certaines éditions. L’objectif de l’édition d’art est aussi de pouvoir proposer aux artistes de travailler sur d’autres supports en complément des œuvres sur toile et, ainsi, de proposer de nouvelles choses aux collectionneurs. Le fait d’aller au-delà des éditions papier permet d’apporter du volume aux expositions et de créer de véritables objets d’art qui pourront être produits en exemplaire unique retravaillé par l’artiste tout comme en série ».

Un marché porteur

Pour Joël Knapfo, au-delà de l’intérêt esthétique, il y a aussi un intérêt financier. « Bien sûr, certains produits à grands tirages ne sont que des objets de décoration et il ne faut pas espérer que leur valeur dépasse un jour ce qu’ils ont coûté à l’achat. En revanche, les éditions signées par les artistes reconnus ont non seulement un prix de base non négligeable mais surtout il existe un second marché très spéculatif, même pour les tirages numériques, car ce sont des procédés de reproduction dont la durée de vie est garantie. Aujourd’hui, l’édition fait partie intégrante du marché de l’art. Plus un artiste est connu, plus il fait d’édition ; plus le différentiel entre le prix de l’œuvre originale et l’édition est important, plus cela a du sens. Des artistes qui ne sont pas issus de l’Art Urbain, comme Hervé Di Rosa ou Alechinsky ont d’ailleurs une production colossale. Dans le monde du Street Art, il y a une très forte demande sur les grands noms, comme Invader, Shepard Fairet ou Miss Tic ». Julien Gaillandre en est également convaincu, il existe clairement un second marché. « Il suffit de taper Shepard Fairey sur un site comme Catawiki pour s’en rendre compte. Et les particuliers sont nombreux à passer par eBay ou Le Bon Coin pour mettre en vente des éditions qu’ils ont achetées, avant même de les avoir reçues ! J’ai personnellement réussi à acquérir un print de The Beauty of Liberty, la fresque réalisée à Austin par Sandra Chevrier et Shepard Fairey, un tirage à seulement 200 exemplaires, ce qui est très peu à l’échelle mondiale et de leur public. À 400 euros, tout est parti en moins de 30 secondes. Une heure plus tard, on en trouvait déjà 6 ou 8 sur eBay… à 1.500 euros. Pour le Chat de C215 que nous proposons à 250 euros, j’ai déjà reçu des commandes pour trois exemplaires. Je sais ce que les vendeurs veulent faire : en garder un et en revendre deux… avec bénéfice ». Qu’il s’agisse de se faire simplement plaisir, de s’offrir une signature reconnue, de démarrer une collection ou même d’investir, l’édition, particulièrement dans le domaine de l’Art Urbain, est incontestablement une voie à ne pas négliger.

[button color= »black » size= »normal » alignment= »none » rel= »follow » openin= »samewindow » url= »https://phoenix-publications.com/produit/urban-arts-magazine-7/ »]Lire le magazine[/button]