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Pépite

Les chocs visuels de GRAFFMATT

Avec une écriture artistique unique, Graffmatt livre désormais des œuvres emblématiques dans lesquelles la composition rivalise avec le propos. Tout simplement bluffant !
Par Gabrielle Gauthier

Sa toile Dernier Round a fait le tour de la planète avec raison tant le talent de Matthieu Lainé, alias Graffmatt, mérite que l’on s’y attarde. On y retrouve le style singulier propre à l’artiste, notamment le côté « grunge », des effets raclés, griffés, des traces de rouleaux et de feutres usés, des « crachottis», des coulures et des taches, une couleur fluo utilisée avec parcimonie… sans oublier un soin des détails placés de manière plus posée à la bombe ou au feutre. Surtout, on y découvre une profondeur dans le propos qui force l’attention. Un choc visuel remarquablement servi par une composition ultra personnelle au cordeau que l’on peut apprécier d’ailleurs dans toutes les dernières œuvres de Garffmatt, celles qui fleurissent sur des murs, des palettes, des cartons, des toiles…

Comment avez-vous découvert l’Art Urbain ?

Je dessine depuis mon plus jeune âge et le côté architectural de l’urbain, un paysage en perpétuel mouvement, m’a toujours passionné. Enfant, lorsque je venais à Paris, j’adorais me perdre volontairement dans les rues, tâter l’atmosphère, m’imprégner de l’ambiance urbaine… fascinante. En me nourrissent des techniques du graffiti, j’ai développé mon style sur toile ce qui m’a permis d’exposer en galerie. Ce n’est que récemment que je suis arrivé sur les murs. Mon premier graff remonte à 2008, alors que j’étais étudiant en Communication Visuelle à Lyon. C’est en photographiant des endroits abandonnés que j’ai croisé des artistes urbains. J’ai commencé à peindre discrètement aux côtés de ces graffeurs, alors même que je sortais du concept un peu académique du dessin, en essayant d’amener des personnages à leurs compositions. Je suis ensuite devenu graphiste et je n’ai retrouvé cette addiction au graff qu’en 2013, lorsque nous avons formé avec une bande d’amis le collectif « La Maise ».

Que vous a apporté le travail de groupe ?

Ce travail de groupe m’a beaucoup stimulé car, à l’époque, je vous avoue avoir eu du mal à comprendre pourquoi un artiste perdait son temps à dessiner un truc qui allait être effacé. Les réseaux sociaux n’existant pas, difficile de donner vie à ce que l’on faisait… Mais j’ai compris petit à petit la démarche : peindre pour le plaisir. En 2018 j’ai finalement quitté mon emploi pour me lancer à temps plein dans mon activité artistique. Cela été progressif et je ne regrette pas d’avoir pris mon temps. Aujourd’hui, les expos et les commandes s’enchaînent et les festivals me permettent de voyager et de faire des nouvelles rencontres.

Faites-vous une différence entre votre travail mural et vos œuvres sur toile, carton… ?

La différence, c’est d’abord le format. En atelier, outre les toiles aux formats standards, j’utilise beaucoup de supports récupérés dans la rue, du carton, de la palette de bois… que je déstructure et que je réassemble. Outre le côté recyclage, j’aime œuvrer sur un support au format original, qui a un vécu, c’est plus inspirant. Pour autant, même en créant mon propre support, je reste limité par le format. Sur un mur en revanche, je peux faire du très très
grand, ce qui est un vrai défi. Je descend ainsi régulièrement de la nacelle pour vérifier notamment les proportions des personnages sous peine d’avoir un œil qui louche… Et c’est un gros stress mais un stress positif. D’ailleurs, j’espère réaliser de plus en plus de grands formats.

Le processus de création est-il le même ?

Même si dans mon atelier les œuvres que je réalise s’adressent à tout le monde, le processus de création est différent sur un mur. Le fait de travailler chez moi me rassure et me pousse à expérimenter. La fresque, c’est la réalisation finale et je dois adapter mes outils pour que le résultat ressemble au travail réalisé à plus petite échelle. Un balai remplacera par exemple un pinceau-brosse. Tout est exagéré, jusqu’à la gestuelle, pour que l’on retrouve le dynamisme que je livre en amont sur mes toiles. Je me sens alors plus vivant que jamais sur une fresque car c’est mon corps tout entier qui s’exprime.

Votre « liberté d’expression » est-elle semblable sur un mur et sur une toile ?

En créant une familiarisation entre les citoyens et leur patrimoine, les murs offrent pour moi l’opportunité de montrer que l’art a toute sa place dans le paysage urbain. Pour se trouver face à une toile d’un artiste, il faut bien souvent s’être renseigné sur le lieu de son exposition, faire l’effort d’entrer dans une galerie ou bien de connaître déjà l’artiste. Alors que n’importe qui peut se trouver face à une fresque, par surprise, au détour d’une rue. Avec un peu de chance on peut voir l’artiste à l’œuvre et, s’il l’accepte, prendre un peu de temps pour échanger avec lui. J’aime cette accessibilité qu’offre une peinture murale. Même si on se trouve la plupart du temps au sommet d’un échafaudage
ou d’une nacelle, il ne faut pas oublier de garder les pieds sur terre.

Certains vous ont découvert avec Dernier Round, une des œuvres que vous avez réalisée pour le Projet Saato. Était-ce important pour vous de participer à ce projet ?

Reclus chez moi, dans mon atelier, je ne voyais pas comment je pouvais aider dans ce contexte de crise sanitaire mondiale. Mais en lisant la page Facebook de Sandrot, j’ai appris que Projet Saato organisait une vente d’œuvres originales au profit de l’AP-HP. En voyant l’urgence face au manque de moyens humains et matériels dans les hôpitaux, je n’ai pas hésité une seconde à réaliser et offrir une œuvre au profit de l’AP-HP. Et ce ne fut pas une œuvre, mais deux, puis trois… Dernier Round a particulièrement marqué les esprits par son message percutant. Elle illustre une infirmière munie de gants de boxe, déterminée à mettre KO le virus. À travers les émotions et la posture de l’infirmière-boxeuse qui enchaîne les coups face au Covid en évitant d’en recevoir, je tenais à transmettre un message de force et d’espérance. C’est tout ce côté que j’ai voulu retranscrire. Le combat n’est pas synonyme de violence. C’est un engagement qui implique une force morale et physique pour résister et vaincre. Ici, la victoire de cette bataille se traduit par la protection et le sauvetage massif de vies. Cette toile symbolise l’évolution de mon travail : aller au-delà de la simple représentation mais accentuer le propos, raconter une histoire…

Comment vous est venu le titre de l’ œuvre ?

En écoutant une musique de Kool Shen…

Et comment avez-vous vécu cette forte médiatisation en plein confinement ?

Pour l’anecdote, lorsque j’ai posté le dessin sur Instagram, ma signature a été rognée. C’est donc l’œuvre et non pas l’artiste qui a été médiatisé, et je trouve cela d’autant plus beau sur cette plateforme qui, paradoxalement, influence les gens à s’afficher et s’identifier publiquement. Le côté message universel offert à tous et que chacun puisse s’approprier était d’ailleurs cohérent avec la démarche… Les deux autres dessins Dégradation et Silence n’ont peut-être pas connu ce succès mais ont pourtant autant d’importance pour moi. Dans cette spirale infernale, les soignants n’ont évidemment pas été les seuls à faire corps contre la pandémie et il me paraissait important de n’oublier personne. Mais je pense que beaucoup de personnes ont plus facilement pu s’identifier dans l’image que reflète Dernier Round sans forcément être médecin ou boxeur. C’est sûrement la raison pour laquelle ce dessin a été partagé dans le monde entier en très peu de temps. L’Art Urbain a ce pouvoir de toucher tout le monde et le paradoxe du confinement a été pour moi ce sentiment palpable du lien entre les artistes et le public. Ce festival d’art confiné restera gravé en moi.

Il restera gravé en beaucoup…

C’est dingue d’avoir réussi à convaincre autant d’artistes de participer, têtes d’affiches et émergeants mis sur le
même pied d’égalité, et d’avoir permis de récolter la somme de 87.715 euros au profit de l’AP-HP !

Vos projets en cours et à venir ?

En juillet, j’ai participé au live-painting de Street Part à Aix-en-Provence avec 30 toiles à réaliser sur 4 jours… un vrai défi. J’ai également réalisé une performance avec Matt.B à Aix-les-Bains. Avec une trentaine d’artistes, je participe début août à la fresque collective de Urban Art Velodrome, en Suisse, pour un vernissage le 3 et 6 septembre. 2.000 m2 de surface à peindre pour transformer la mythique piste cyclable en la plus grande œuvre d’art urbain. Encore un défi de taille puisqu’il faut peindre au sol… ce qui est encore plus compliqué que de peindre verticalement, du moins je suppose ! Enfin, en septembre, je serai sur Underground Effect #6. Autant d’occasions de partager avec d’autres artistes…

 

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