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Interview

Les intenses évidences de BRUSK

Les couleurs éclatantes, coulures et déchirures que l’artiste trace avec énergie portent haut et fort ses messages militants.
Par Gabrielle Gauthier

Avec son style singulier, Brusk se charge de réveiller nos consciences… sans nous heurter. Son art, qu’il déploie généreusement sur de multiples supports, modifie en effet notre regard sur le monde… parfois inconsciemment d’ailleurs. Car derrière l’esthétique léchée du dessin, des couleurs, des coulures et des déchirures éclatent les révoltes, questionnements, engagements… de l’artiste. Ces sujets de société face auxquels on ne peut rester indifférent prennent, sous les bombes et pinceaux de Brusk, une puissance émotionnelle intense. En rendant ainsi compte de ce qui est, il nous invite à retrouver un semblant d’humanité… plus que jamais indispensable.

Vous faisiez déjà des murs avant et pendant vos années aux BeauxArt. Alors pourquoi avoir intégré l’école ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Je suis né avec un crayon à la main… je dessine donc depuis ma naissance. J’ai commencé le graffiti à 14/15 ans et je n’imaginais pas alors intégrer cette école. Mais après le Bac, les Beaux-Arts se sont imposés. J’ai cependant continué le graffiti en parallèle, sans dévoiler ce travail qui ne correspondait pas à la démarche de l’établissement. Avoir fait les Beaux-Arts pendant quatre ans m’a permis de toucher différents médiums et différentes techniques afin d’avoir un aperçu du large spectre des possibles. Après l’obtention de mon Diplôme national d’arts plastiques, j’ai choisi d’arrêter les Beaux-Arts pour me consacrer entièrement au graffiti et à la peinture… Je n’avais pourtant pas imaginé
vivre de mon art, cela s’est fait tout seul…

D’où vient le nom de Brusk, plutôt provocateur ?

C’est difficile de se trouver un bon pseudonyme… plusieurs paramètres sont à prendre en compte. Le mot en lui-même d’abord, qui doit avoir une sonorité percutante et correspondre à la personne. L’enchaînement des lettres ensuite, pour un flow fluide au niveau du tag. Il est également important de privilégier un nom court et phonétiquement fort. Après plusieurs, essais, Brusk s’est imposé. Il colle à ma manière d’agir, de peindre, à mon mode de vie et à ma personne. Je peux en effet être très doux et sensible mais aussi brusque et virulent, un « équilibre » qui fait ce que je suis.

Comment vous est venue l’idée du dripping ? Et comment avez-vous réussi à autant le sublimer ?

C’est toute une histoire… et c’est aussi venu avec le temps. Je n’ai pas fait du dripping style du jour au lendemain. Dans le graffiti, il y a des codes esthétiques comme la flèche, la petite coulure, le petit coup de spray… Ce qui m’intéressait était d’utiliser la coulure, propre et typique à la bombe de peinture, comme un élément esthétique, de la détourner et de jouer avec. L’objectif est de donner à la coulure une forme, un sens, une vie…, tout en lui apportant du volume et de la profondeur. La coulure pose une horizontalité et ancre mon sujet dans la toile. Très souvent, la coulure de l’élément que je mets en scène symbolise sa dégradation, sa détérioration, comme des déchirures. Coulures et déchirures me correspondent et se répondent : l’élément graphique très rigide et très lourd de la coulure verticale qui pose l’horizontalité est contrecarré par l’équilibre et la légèreté des déchirures qui viennent casser cette rigidité et apporter du mouvement dans cette horizontalité. Puisque tout est voué à être jeté, remplacé, ces deux éléments graphiques me permettent d’aller à l’opposé d’un motif choisi. En coulant et en se déchirant, cette image fixe qui représente un instant précis disparaît alors, faisant naître autre chose. C’est être à la fois dans le présent et presque immédiatement dans l’après.

Quel est votre rapport aux couleurs ?

Auparavant, j’étais davantage axé sur des gris teintés avec une couleur traitée en camaïeu. Depuis une dizaine d’années, j’ai changé ma gamme de couleurs. Je me suis d’abord forcé à mettre beaucoup de couleurs, de vie, ce qui a modifié mon travail mais aussi la perception que j’en avais. Ainsi, alors même que les sujets que je traite sont souvent « durs », la couleur apporte aux coulures et déchirures vie et gaité mais aussi un équilibre global. Grâce à ces éléments, les sujets les plus difficiles deviennent plus accessibles, plus « appréciables ». Le message est bien présent mais l’image heurte moins, reste même plaisante à regarder.

Et aux supports puisque vous œuvrez aussi bien sur les murs, la toile…

Chaque support étant différent, je l’aborde d’une manière forcément différente. Je n’ai ni le même regard, ni le même recul sur une toile que sur un mur de 30 mètres, même s’il s’agit du même visuel. Et ce n’est ni la même technique, ni le même format…, ni le même public. Si le mur reste le « nerf de la guerre », passer d’un dessin à une
sérigraphie, d’une toile à une façade… est pour moi indispensable afin de me remettre constamment en question, de ne pas rester sur mes acquis, d’aller plus loin… J’utilise certes des techniques différentes mais surtout une énergie différente, l’objectif étant de prendre du plaisir dans chacun des médiums. Aujourd’hui d’ailleurs, j’essaye de traiter un même sujet sur un dessin, une sérigraphique, une toile, un mur… une façon de me projeter, de savoir ce qui est pertinent et surtout qualitatif. Et quand j’ai le temps, je sculpte. Le volume, j’adore ça ! Pour une expo par exemple, j’aime proposer des choses différentes, des toiles, des sculptures, des installations… Aujourd’hui, grâce à ma nouvelle
équipe, je m’éclate sur différents supports, avec un spectre assez large de produits finis et de production visuelle finie.

Vous développez un travail de peintre en atelier. En quoi votre recherche diffère-t-elle ?

La plupart du temps, je peins en atelier pour une expo, un solo, sur une thématique, en général puisée dans notre quotidien, afin de dénoncer ou, du moins, de dévoiler certains faits. Ce travail en atelier est la continuité de mon travail sur les murs et de mes autres projets. J’essaye de trouver une cohérence globale dans mes travaux, tant sur
l’esthétique que sur le fond, avec un message qui correspond à notre réalité.

Êtes-vous un artiste engagé ?

J’estime effectivement être un artiste engagé d’abord parce que je m’implique pour de justes causes et des événements caritatifs. Depuis quatre ans par exemple, je suis « l’ambassadeur » de SOS Méditerranée. Savez-vous que, pour sauver des vies, l’utilisation du bateau de l’association coûte 11.000 euros par jour. L’exposition en 2017 chez Laurent Strouk, avec une série consacrée aux Réfugiés, a ainsi permis à SOS d’aller en mer pendant 2,5 jours et de sauver 243 vies. On parle là de cause à effet directe : je crée et, derrière, des vies sont sauvées ! Rien n’est plus gratifiant. Et cela va beaucoup plus loin au niveau émotionnel, au niveau humain que juste peindre une toile et la vendre à un collectionneur pour un billet. Je viens également de devenir l’ambassadeur de Handicap International. Pour eux, je réaliserai un mur en octobre à l’occasion de Peinture Fraîche, le début d’une longue histoire ponctuée de beaux projets artistiques caritatifs.

Artiste multi-disciplinaire, vous touchez à tout. Êtes-vous « hyperactif» ?

Touche à tout, certainement parce que l’on ne peut pas se contenter d’un seul savoir et qu’il y a tellement de « possibles»! Je suis curieux et j’aime prendre le temps de découvrir, c’est ce qui me permet d’en être là aujourd’hui. C’est aussi ce qui fait que l’on ne se lasse pas du quotidien. Hyperactif, probablement mais surtout très réactif. D’ailleurs, je m’entoure de personnes qui le sont également. Dans le monde d’aujourd’hui, il faut de la réactivité sinon on n’avance pas.

Boulimique ?

Aussi. J’ai besoin de cette urgence pour avancer, pour aller au bout des choses… C’est mon mode de fonctionnement.

Tout en étant généreux…

J’essaye…

Très sollicité, comment choisissez-vous vos projets ?

J’ai la chance de vivre de ma passion et le luxe de choisir mes projets… même si il est parfois difficile de dire non. J’ai des enfants, des obligations, une vie assez chargée… je ne peux donc pas tout accepter. Mais sans snobisme, plus les projets sont ambitieux, plus ils m’intéressent. Et ce n’est pas l’argent mais bien la valeur de l’événement, ce qu’il représente, la structure qui mène le projet à terme qui importe car il est important pour moi de m’impliquer.

D’ailleurs, quels sont vos projets d’ici la fin de l’année ?

Un mur à Biarritz pour le projet Colorama de Grems fin août ; une façade pour Handicap International à Lyon pendant Peinture Fraîche en octobre ; une expo solo à la Stone Space Gallery de Londres en novembre ; un solo show
chez Fabien Castanier à Miami [Fabien Castanier Gallery, NDLR]… En parallèle, il y a aussi la gestion, avec mes collaborateurs, d’un nouvel e-shop avec de toutes petites séries numérotées, très qualitatives, pour se faire plaisir et faire plaisir aux gens avec des créations accessibles. En 2021, un autre solo chez Slika galerie à Lyon, ma première expo solo dans ma ville. Beaucoup de choses donc… sans parler des murs qui vont s’ajouter.

Y a-t-il une question que je ne vous ai pas posée et à laquelle vous auriez envie de répondre ?

Peut-être sur l’évolution du graffiti qui s’est métamorphosé en vingt ans avec l’arrivée d’Internet, des magasins spécialisés… Aujourd’hui, avec deux ou trois tutos, un magasin de bombes et Instagram, les jeunes qui ont la motivation se font vite un nom. Pourtant, beaucoup restent sur leurs acquis et ne misent que l’esthétique. Quand on est un « vieux » comme moi, si c’est parfois plus difficile d’avancer, de se renouveler, c’est surtout un devoir de dévoiler, de dénoncer, de faire prendre conscience aux gens de certaines réalités. Pour moi, cela devient une ligne de conduite nécessaire.