Menu
Interview

L’imagerie révélatrice des MONKEYBIRD

Le travail anthropique de ce duo d’artistes, qui joue de symboles, de repères temporels, d’éléments architecturaux… élève un pont entre l’Homme et l’animal, le corps et l’esprit… De quoi s’émouvoir mais aussi réfléchir.
Par Gabrielle Gauthier

Si leur graphisme de haute volée, qui mêle la précision du trait, la finesse dans la découpe de leurs pochoirs, entièrement réalisés à la main, et une palette réduite aux seuls noir, blanc et doré, est sans égal, leur univers singulier l’est tout autant. Quel que soit le support sur lequel ils s’expriment, Louis Boidron et Édouard Egéa créent des œuvres à quatre mains d’une exceptionnelle intensité où le symbolisme résonne jusqu’aux confins de notre inconscient.

Pourquoi avoir choisi de peindre en duo ?

Louis : Nous n’avons pas choisi, cela s’est fait assez naturellement. Nous nous sommes rencontrés en école d’art où nous nous sommes découverts de nombreuses passions communes. Nous nous retrouvions souvent à travailler côte à côte sur des projets distincts où nous échangions sur nos pratiques. Petit à petit, nous avons développé ensemble notre propre concept, en fusionnant nos recherches pour arriver à ce travail que l’on construit depuis maintenant 9-10 ans.

Comment fonctionne votre duo ?

Édouard : Comme nous travaillons sur la même identité visuelle et idéologique, nous intervenons ensemble à chaque étape, de l’idée à la réalisation : dessin, composition, découpe des pochoirs… Pour autant, nous n’intervenons pas nécessairement sur toutes les compositions à quatre mains, chacun pouvant interpréter le thème choisi et proposer des compositions que nous mutualisons ensuite pour créer des séries.

D’ou vient votre passion pour cette imagerie singulière ?

Louis : Nous avons commencé par des représentations d’oiseau et de singe, que l’on a placé in situ dans la ville. Notre parcours dans les arts visuels nous a poussés à chercher un mode d’expression personnel, ce qui nous a conduit à nous intéresser au symbolisme et au fonctionnement même du symbole. Grâce aux symboles, nous avons développé un univers plus large, un paysage architectural en ruine et un mode d’expression qui nous connecte dans le temps pour parler du passé et d’un monde en devenir incertain.
Édouard : Nous sommes tous deux très curieux, ce qui a enrichi notre bibliothèque visuelle. Nous nous inspirons ainsi de photos et de gravures anciennes. Pour nous, elles ont encore toute leur place dans notre civilisation.

Que se cache-t-il derrière cette imagerie ?

Louis : Les avatars du singe et de l’oiseau, piliers de notre travail, sont la représentation d’un besoin de liberté : le singe par le corps et l’oiseau par l’esprit. En développant ce travail, nous nous sommes rendus compte que le singe et l’oiseau étaient des archétypes capables de s’adresser à chacun de nous. Nous avons tous en nous un singe et un oiseau, la philosophie moderne ayant compris qu’il y a une intelligence corporelle et un corps spirituel. Nous jouons sur ces deux symboles, sans aller trop loin dans la théorie, pour que chacun s’approprie ces archétypes qui sont un pont vers un niveau de réflexion supérieur, une quête d’un équilibre entre le corps et l’esprit, tout deux devant cohabiter en permanence. Au-delà de cette dimension individuelle, il y a une dimension sociale qui passe par l’éthologie. Animaux sociaux par excellence, le singe et l’oiseau sont aussi les seuls à utiliser des outils. Ils sont également doués d’empathie, capables de simuler et de se projeter dans la tête de l’autre… Notre démarche est très anthropologique avec ces symboles qui ramènent finalement à l’homme. Un moyen de mieux se connaître finalement.

Le symbole définit donc la spécificité humaine ?

Louis: Nous le croyons. L’être humain est le seul a construire des tombes, symbolisant ainsi une représentation de la mort, de l’absence, et notamment à travers l’architecture. Nos premiers comportements expliquent d’ailleurs sur quoi nous nous sommes développés : entre la survie et un mode de représentation des émotions. Nous avons d’abord bâti des tombes puis de grands monuments… finalement pour rien. Comme les autres animaux, nous pourrions nous moquer de la mort… Mais telle est notre condition humaine. C’est pourquoi, outre la ligne de trame, le singe et l’oiseau, notre travail intègre également l’architecture, un repère temporel entre le passé et le futur. Pour nous, cette architecture donne à la fois une échelle, entre les êtres humains tout petits et les singe, oiseau et ruines surdimensionnés, et un repère temporel, puisque l’on se perd dans un univers en suspens, entre passé et futur. Dans nos œuvres, le « monde » se déconstruit et se construit en permanence, une façon de synthétiser le temps sur un
même espace.

L’animal rappelle-t-il à l’homme qu’il possède également un cerveau reptilien ?

Louis : Pour nous, c’est une telle évidence qu’il nous semble inutile de le rappeler. L’homme fait partie de la nature. Et la différence entre l’homme et l’animal n’est pas une intelligence supérieure, mais sa capacité à symboliser… ce qui n’est d’ailleurs pas toujours une preuve d’intelligence ! Cela le mène parfois à des impasses. Certes, l’homme a une bonne capacité sociale, est très développé et très doué pour créer des choses… mais son intelligence est à relativiser à l’échelle de la nature.

Quel est votre intention à travers vos œuvres ?

Louis: Nous cherchons surtout à déclencher l’émotion et l’analyse. Nous essayons plutôt de toucher à la nostalgie, à la curiosité, à des cordes sensibles qui, finalement, résonnent jusqu’à l’inconscient des gens, voire même l’inconscient collectif. Telle est notre intention.

Pourquoi avoir choisi de travailler en noir, blanc et doré ?

Louis : D’abord parce que nous avons commencé avec très peu de moyens. Puis, par nos propres expérimentations, nous avons développé notre technique de pochoir extrêmement détaillé par laquelle nous essayons d’exprimer des densités et des volumes à partir du travail de la ligne. Le noir et blanc permet de rester fidèle à ce rendu. En ajoutant des couleurs, nous risquerions de saturer notre travail initial, d’altérer ce rendu qui nous est cher. Un travail de patience très proche de la gravure.
Édouard : Le noir et blanc ainsi que notre technique a aussi été une façon de nous distinguer des autres pochoiristes. Surtout, travailler la ligne avec une couche de pochoirs qui révèle la lumière a ainsi guidé notre
choix colorimétrique.
Louis : Et travailler en noir, blanc et or, c’est-à-dire l’ombre et la lumière avec une touche de sacré, est symbolique. Un rendu qui a une véritable résonance.
Édouard : Nous ne voulions pas apporter trop d’artifice avec la couleur. Notre travail du trait, de la ligne en noir et
blanc doit guider le spectateur à s’attarder sur les détails, sur la finesse, sur le travail de la main… Une technique
artisanale puisque tous nos pochoirs sont faits à la main.

Comment avez-vous imaginé votre technique non traditionnelle du pochoir et qu’apporte-t-elle à vos œuvres ?

Édouard : À la base, nous dessinons beaucoup et le pochoir s’est révélé être une excellente manière de retranscrire au mieux nos dessins au trait, leurs textures…, en travaillant plutôt la forme que le contour et en jouant avec des réserves de blanc. Avec le pochoir, on peut notamment travailler différentes caractéristiques de trames qui, elles-mêmes, induisent des matières, des volumes…
Louis: Le public non spécialiste, notamment lorsqu’il nous voit à l’œuvre et qu’il échange avec nous, est souvent
impressionné. Nous avons également la reconnaissance d’un public plus initié, qui a identifié notre processus,
compris notre fonctionnement, apprécié cette volonté de faire les choses par nous-mêmes…

Adaptez-vous votre technique en fonction du support, notamment dans la rue ?

Louis : Quel que soit le support, la difficulté est davantage de couper de petits pochoirs! Pour un tableau par exemple, nous utilisons un papier plus épais, avec des trames extrêmement serrées. Un travail difficile car nous devons découper avec le bout de la pointe de la lame !
Édouard : Le pochoir nous aide à nous adapter à l’environnement puisque notre processus implique une importante préparation en atelier. Outre la configuration et la prise de mesures, nous pouvons donc anticiper, notamment pour des murs aux formes particulières avec pignons anguleux par exemple… Nous avons d’ailleurs souvent travaillé sur des murs assez « compliqués», béton granuleux, relief, crépi trop volumineux…, mais grâce au travail préparatoire en atelier, nous n’avons eu aucun souci technique et, surtout, nous obtenons un résultat qui nous satisfait, même si cela modifie le rendu final. Pour autant, beaucoup connaissent notre technique et savent donc quel type de mur est approprié.
Louis : Si nous apprécions les murs en béton lisse parce, avec la spray, le rendu est particulièrement soyeux, nous
aimons aussi travailler des murs plus « difficiles », à l’image de la fresque sur un mur en briques réalisée lors du Gargar Festival en Espagne et où le rendu est très chouette… Le bois reste néanmoins votre support de prédilection…
Édouard : En atelier, nous travaillons effectivement très souvent sur bois, mais aussi sur verre, métal… des
matériaux assez nobles.

Louis: Le bois est un matériau vivant qui traverse les âges. Nous réemployons d’ailleurs du mobilier ancien, des bois ouvragés, sculptés, fait à la main, en récupérant ce qui meublait les appartements haussmanniens. Utiliser ce bois pour créer des œuvres a beaucoup de sens pour nous, une façon d’établir un pont entre plusieurs générations
d’artistes.

Mur ou bois, le support fait donc partie intégrante de vos œuvres…

Édouard: Oui. D’ailleurs, en muralisme comme sur bois, nous travaillons avec l’outil pochoir mais nous effectuons souvent des retouches au pinceau, ce qui nous permet une exigence extrême pour avoir des lignes très nettes, plus incisives, davantage de contrastes… Nous améliorions ainsi la qualité de l’ œuvre sans que cela se sache véritablement.

Un travail extrêmement long et minutieux…

Louis : Nous avons oublié cette idée de faire du pochoir pour gagner du temps [rire]… C’est d’ailleurs pour cela nous nous faisons le parallèle entre notre pratique et la gravure, un travail de patience. Nous ne sommes que des artisans !

Quels sont vos projets?

Édouard: Avec l’Atelier d’Estienne, début décembre, nous participons aux Nuits de Lucie, un projet d’installation à la fois lumineuse et de peinture dans trois chapelles de Pont-Scorf. Nous préparons également un solo show à la Cohle Gallery à partir du 12 novembre et un projet mural à Abu Dhabi en décembre… Pas mal d’activités qui se mettent en place jusqu’à la fin de l’année et c’est encourageant dans la période actuelle.

[button color= »black » size= »normal » alignment= »none » rel= »follow » openin= »samewindow » url= »https://phoenix-publications.com/produit/urban-arts-magazine-7-copie/ »]Acheter [/button]