Depuis plus de 30 ans, ses tigres, zèbres et autres girafes mettent de la couleur et de la gaîté sur les façades emmurées des quartiers populaires. Avec ce passionné défenseur d’un Art Urbain proche des gens, elle est vraiment plus belle la ville.
Mosko : @moskogerardlauxdit
Échanger avec Mosko est une véritable bouffée de fraîcheur. Pas seulement parce qu’à 70 ans – tout de même ! – , il déborde toujours d’énergie et de projets, mais aussi parce qu’il soutient une vision positive de l’art dans la rue, n’ambitionnant rien d’autre – et c’est déjà énorme – que d’apporter de la beauté et du plaisir à ceux qui ont la chance de croiser, au hasard du quotidien, un de ses animaux qui n’ont de sauvages que le nom.
Te rappelles-tu de tes débuts à la Moskova ?
Oui, bien sûr, même s’il y a longtemps ! J’ai commencé en solo en 1989, sous le nom de Mosko, sur les bâtiments emmurés de la Moskowa dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Je suis né en 1953, je n’étais déjà pas un perdreau de l’année. En 1990, Michel Allemand, un collègue – je suis typographe de formation et je travaillais dans l’imprimerie –, passionné de photo de graffiti, m’a rejoint et nous avons travaillé en binôme plus ou moins fluctuant jusqu’en 2005, sous le nom de Mosko et associés, parce que l’on n’avait pas trouvé autre chose. Cela permettait aussi d’intégrer des participations ponctuelles. On peignait sur les murages, au fur et à mesure des condamnations d’immeubles. Je n’avais aucun profil de carrière, je faisais ça juste pour le plaisir ; j’avais un boulot à côté et cela me convenait très bien. Quand je regarde ce que l’on faisait à l’époque, je rigole, mais les gens étaient enthousiastes. Heureusement, j’ai un peu évolué… Le travail, ça paie !
À l’époque, tu as juste la volonté « d’embellir la vie » ?
Tout à fait. Et c’est toujours la même idée aujourd’hui. J’ai choisi les animaux comme sujet parce que c’est foisonnant et universel. Cela parle à tout le monde, au-delà des âges, des cultures, des origines, des classes sociales… Et il y a aussi un petit message écolo : les animaux existaient avant nous et ce serait bien de leur laisser leur place. L’humain est quand même une espèce invasive. J’aime aussi le côté décalé de mettre des animaux sauvages au cœur de la ville.
Tu es autodidacte. Avais-tu des modèles à l’époque ?
Jeune, j’avais un petit coup de crayon. Mes parents m’ont raconté que quand j’étais môme, j’ai peint un grand truc directement sur le mur de ma chambre, ce dont je ne me souviens pas. Mais je n’ai pas été éduqué dans l’histoire de l’art, cela me passait au-dessus de la tête. En revanche, j’avais vu les œuvres de Blek, Miss.Tic, Nemo, Jérôme Mesnager, Ernest Pignon-Ernest. Ce sont vraiment mes références. Les collages d’Arthur Rimbaud à Charleville-Mézières – la famille de mon père est de là-bas – me parlaient. J’ai découvert Gérard Zlotykamien, pourtant pionnier, plus tardivement.
Ce sont leurs exemples qui t’ont attiré vers le pochoir ?
J’ai surtout développé cette technique parce que je ne suis pas un vrai dessinateur. Cela me permettait d’avancer sans trop d’inquiétude quant au résultat.
En 2004, la sortie d’un ouvrage va donner un nouvel essor à ta « carrière »…
C’est ça. Daniel Cresson, des Éditions Critères, nous a proposé la sortie d’un livre dans la collection Urbanité et une exposition jumelée. Le livre s’est appelé Peignez la girafe, en référence à une pièce que l’on avait faite sur une boutique de coiffeur, rue de l’Ourcq dans le XIXe. Nous avons vendu pas mal de pièces, nous avons signé en galerie et rencontré un joli succès. Après l’exposition « Section urbaine » en 2005, Michel s’est éloigné et j’ai continué de signer comme si on était toujours deux pendant une dizaine d’années, attendant peut-être un hypothétique retour… En 2008, j’ai été licencié économique et, en 2013, ayant commencé comme apprenti à seize ans, j’ai pris ma retraite. Il s’est passé pas mal de choses dans les années 2010, des expos en solo et la Tour Paris 13. En 2015, la séparation a été officialisée et j’ai retrouvé ma signature initiale.
5. Buste de jaguar bleu, bois brut, 78 x 76 cm.
Autre événement marquant, ton séjour en Inde en 2013…
Devenu claustrophobe, cela faisait des années que je ne prenais plus l’avion. Puis, après un événement perso, je me suis lancé de nouveau. J’étais déjà allé en Inde en 1990, j’avais adoré ce pays et je m’étais toujours dit que j’y retournerai. J’ai mis 23 ans ! Après un périple de plusieurs mois du nord au sud de l’Inde, j’ai retrouvé à Pondichéry Émilie et Dimitri Klein qui m’avaient invité pour un mois en résidence artistique à Dune, leur éco-lodge. Ils m’ont proposé de peindre un mur de 20 mètres. J’ai fait trois pauvres pochoirs de tigres, mais cela ne suffisait pas. Alors, j’ai pris des photos de plantes dans le superbe jardin et reproduit un décor à la craie puis au pinceau. Une véritable libération ! J’ai retrouvé le plaisir de dessiner, un sentiment de liberté, d’apaisement. Depuis, j’associe pochoir, spray et peinture à la brosse, dans la rue et pour mes pièces d’atelier. En 2015, je suis retourné en Inde peindre à Fort Kochi, dans le Kerala, pour la biennale – c’était la deuxième édition – et j’ai fait un peu du Off, déçu de n’avoir pas pu y intervenir lors de mon précédent séjour. Sur place, j’ai retrouvé fortuitement Émilie et Dimitri et je suis retourné en résidence à Dune. J’ai travaillé des sacs de jute, un support que j’ai adoré et que j’ai rapporté en France. J’ai beaucoup voyagé dans ma vie – en République populaire de Chine, en Tunisie, au Liban… – et associer mes deux passions est un plaisir toujours renouvelé.
Quand tu es passé de la rue à l’atelier, tu as choisi de travailler sur des supports de récupération…
J’aime l’idée du recyclage, de donner une seconde vie aux matériaux, comme on donne une seconde vie aux murs. Je récupère des palettes, je les laisse vieillir – pluie, soleil, pluie, soleil –, les désassemble, les réassemble… Même si je ne suis pas le seul à travailler sur des palettes, c’est un peu ma touche. La toile, ce n’est pas trop mon truc, même si j’en ai fait un peu. Mais quand ça m’arrive, je la maroufle, je la colle sur des caissons de bois… Je privilégie le côté du brut du support. J’ai même poussé le vice jusqu’à faire des faux-murs avec du crépi !
Fais-tu une différence entre le travail de rue et le travail d’atelier?
Je trouve que les deux se nourrissent l’un l’autre. Tu ramènes dans la rue ce que tu as travaillé à l’atelier et l’énergie de la rue t’aide sur d’autres supports. Mais je ne vais pas mentir, à quasi 70 ans, la rue, j’en fais un peu moins. J’ai encore pas mal d’énergie mais les fresques de 400 mètres carrés, je laisse ça aux plus jeunes… Mais si on m’en propose, j’aurais sûrement du mal à refuser [rire]. En 2017, j’ai fait mon plus grand mur à Montreuil, 150 mètres carrés, une commande d’un promoteur sur un immeuble de cinq étages. Dans les prochains mois, j’ai quelques projets d’interventions urbaines. Outsiders Galerie m’a proposé de peindre un mur à Rouen cet automne, j’ai accepté avec plaisir ; cela ponctuera mon entrée dans cette galerie. C’est important de continuer à peindre dans la rue, de maintenir les sensations et le contact avec le public.
8. Fort Kochi, Kerala, Inde.
Quel est ton point de vue sur le Street Art vandale ?
Dans la rue, j’ai peint avec et sans autorisation, mais si c’était illégal, ce n’était pas vandale, parce que je n’ai jamais fait de façades, de train ou de métro. J’ai surtout travaillé sur des murages, des portes et des fenêtres condamnées par des parpaings. Je ne dénigre pas ce que font les autres et, quand je vois passer un métro bien claqué, ça me fait plutôt plaisir. Mais ce n’est pas dans mon éthique.
Pourquoi ?
Pour moi, l’Art Urbain est intéressant lorsqu’il apporte quelque chose aux gens, pas quand il les choque. Je cherche plutôt le consensus. Quand une petite mémé vient me voir et me dit : « Vous avez peint une petite girafe devant chez moi, chaque jour quand je sors ça me fait plaisir », ça me fout les poils ! Je ne sais pas si les acteurs actuels de la rue prennent le temps de la rencontre, de comprendre ce que l’art provoque chez les gens. Pendant mes 15 quinze premières années, je n’avais aucune arrière-pensée, aucune volonté de commercialiser ce que je faisais. Ce n’est pas une critique, je suis convaincu qu’il y a beaucoup d’artistes qui veulent être professionnels et qui ont pleinement conscience de ce que l’Art Urbain apporte. Mais il y en a aussi pas mal qui sont dans l’auto-promo. Aujourd’hui, Street Art, c’est une étiquette que certains se collent trop facilement. Quand je vois des interventions à côté des galeries, j’ai toujours un petit sourire au coin des lèvres. Nous, on a travaillé dans des quartiers populaires, pour les habitants qui nous l’ont bien rendu. À Paris, à Argenteuil, aujourd’hui à Montreuil. Et il y a aussi un phénomène d’accumulation. Dans certains endroits, les murs sont tellement tartinés que, si j’habitais là, ça me donnerait la gerbe. Il faut avoir le sens de la mesure. Si tu as l’ambition d’embellir la ville, et la vie, il faut qu’il y ait une dimension esthétique. Mais chacun fait comme il l’entend, je ne suis pas là pour donner des leçons.