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Rencontre

Deih : de fascinants univers futuristes

Le travail singulier de cet artiste espagnol ne peut cacher son inspiration entre BD et science-fiction. Servi par une technique imparable, Deih nous entraîne dans des aventures que l’on aimerait vivre.

Cet artiste originaire de Valence cumule plus d’une vingtaine d’années d’expérience du graffiti avec une carrière d’illustrateur et d’animateur 2D. Le résultat ? Un style immédiatement reconnaissable, avec des personnages surdimensionnés dans des décors évoquant des planètes lointaines et sauvages et des compositions complexes et colorées. Des œuvres qui ouvrent la porte vers autant de récits imaginaires que de regards, mais aussi à la réflexion sur des problématiques sociales et politiques, comme les enjeux du changement climatique et la préservation des espèces menacées. En France, Deih a peint dans de nombreux festivals – Bayonne, Grenoble, Bordeaux et Barcarès – et prépare une exposition à SpaceJunk à Lyon et Grenoble pour le printemps 2025.

Te rappelles-tu tes débuts dans le graffiti ?
En 1993, mon frère et moi passions notre temps sur nos skates et nous étions toujours étonnés par les graphismes des marques sur les planches et les vêtements. Nous nous amusions à les reproduire dans nos carnets de croquis. Nous lisions aussi beaucoup de BD parce que notre frère aîné en achetait beaucoup. Il dessinait très bien et nous nous sommes mis à en faire autant. En parcourant les rues dans toute la ville, en regardant des vidéos de skate, nous étions entourés de graffitis. Un jour, des potes nous ont dit : « On choisit un nom et on l’écrit partout » ; nos vrais débuts, taguer les murs avec des marqueurs. Au bout d’un an, nos copains ont arrêté, mais mon frère et moi avons continué. Nous avons rencontré des tagueurs et formé un premier crew, RHB ; avec Zebra, Klein, Safr et Mark, mon nom à l’époque. Nous avons changé nos blazes – Gons, Xelon, Hope et Deih – mais nous continuons à peindre dans la rue.

Ta technique est impressionnante. Comment as-tu appris à peindre et à dessiner ?
Merci… J’ai toujours aimé dessiner, mais je n’étais pas très doué [rires]. Je déchirais souvent les feuilles de papier à force d’appuyer sur le stylo. Mes dessins n’étaient pas aussi fluides que ceux de mes frères et de mes amis. J’avais l’habitude de dessiner des skateurs, mais ils étaient toujours trop statiques. Alors je me suis entraîné pour les rendre dynamiques, avec davantage de mouvement. Quand j’ai étudié les Beaux-Arts à l’université, j’ai acquis davantage de connaissances sur les proportions humaines, la composition, la couleur… J’ai également beaucoup appris en étudiant l’animation, car j’avais besoin de beaucoup dessiner. Au final, par un mélange de pratique et de théorie, mon cerveau a fini par assimiler ce qu’il n’était pas capable de maîtriser auparavant. Mais j’apprends encore chaque jour et j’essaie d’améliorer ma technique.

Pourquoi avoir choisi la science-fiction comme inspiration ?
Parce que j’aime la science et la fiction [rires] ! J’apprécie la façon dont la science-fiction peut m’emmener loin, m’aider à aborder d’autres visions de l’existence. Je ne me sens pas bien lorsque je me contente de copier la réalité. J’aime écrire, j’aime dessiner, j’aime raconter des histoires. Utiliser la science-fiction comme moyen d’expression, c’est comme avoir un vaisseau spatial pour explorer ou créer de multiples mondes, où tout peut arriver. J’aime imaginer de nouvelles choses et c’est très agréable de dessiner des gens avec des fils dans le corps ou des paysages étranges. C’est un lien direct avec l’enfant que j’ai toujours en moi. C’est aussi un outil puissant pour construire des métaphores ou des images narratives afin d’exprimer mes doutes existentiels, mes réflexions sur le monde dans lequel nous vivons ou mon état d’esprit.

Ce sujet te permet-il de faire passer des messages sur ta vision de la vie ?
Tout à fait. Je l’utilise comme un moyen de montrer mes propres sentiments, perceptions, intuitions ou ce que je pense, de moi, des autres, du monde dans lequel nous vivons et de ma relation avec tout ce qui façonne ma vie. Le dessin est un bon moyen de comprendre l’existence. Je ne veux pas expliquer les choses aux gens comme si j’avais la réponse, juste entrer en contact avec des personnes qui se posent les mêmes questions.

Peux-tu nous en dire plus sur ton projet « The Insider Series » ?
Cette série est avant tout un moyen d’utiliser l’art pour mieux me connaître. Avant ce projet, je créais des œuvres très différentes, qui m’intéressaient, mais qui n’avaient rien à voir avec moi. C’était une bonne période, mais un peu étrange. Je travaillais à domicile sur des dessins animés pour une société française, et passais des heures devant mon ordinateur, j’avais un bébé à la maison… Je n’avais pas le temps de sortir peindre de grands murs et cela me manquait. Ressentant le besoin d’exprimer ce qui m’arrivait, j’ai commencé à peindre de petits personnages, sans décor, dans mon quartier, juste pour me sentir mieux. À cette époque, je m’amusais à faire des dessins à l’encre dont j’aimais la texture, la qualité des lignes par rapport aux traits nets à la bombe. J’ai commencé une série en mélangeant l’acrylique pour les couleurs et l’encre pour les contours. Je ressentais des émotions fortes qui avaient besoin d’être exprimées et je l’ai fait avec cette technique. J’ai baptisé ce projet « Insider » parce qu’il s’agissait d’une introspection et « Series » parce que j’avais l’impression qu’il s’agissait d’une nouvelle approche, mais, finalement, c’est devenu mon travail depuis lors. Ces pièces forment un monde entier qui continue à grandir et à se connecter entre elles.

Comment équilibres-tu ton travail entre la rue et l’atelier ?
J’ai besoin de dessiner tous les jours. C’est une maladie [rires]. J’ai toujours mon carnet de croquis sur moi pour croquer le monde qui m’entoure. À l’atelier, je développe en couleur les idées notées dans le carnet. J’adore peindre des toiles, mais j’ai également besoin de faire un mur pour me sentir bien. Et lorsque je réalise beaucoup de grandes fresques, j’ai envie de revenir à l’atelier où j’ai plus de contrôle, plus de temps et où la météo est toujours idéale. Mais faire un mur reste quelque chose de magique pour moi : je sens que je peins avec tout mon corps, pas juste avec la main. Si je devais choisir, je pense que je choisirais le mur parce qu’il comble à la fois mon âme et mon corps.

Quel regard portes-tu sur ton parcours ?
Si le Deih d’aujourd’hui venait raconter à ce jeune gars qui commençait à peindre en 1993 tout ce qui allait lui arriver, il ne l’aurait pas cru [rires]. Je ne peux pas décrire à quel point toutes ces expériences ont changé ma vie et ma façon de penser. J’ai parcouru le monde pour faire ce que j’aime le plus, peindre ce que je veux, et rencontrer des personnes qui aiment la même chose que moi, dont certaines que j’admire et avec qui j’ai des conversations sur l’art et la créativité. Peindre et voyager est une expérience réellement incroyable… comme rêver une vie ou vivre un rêve.

Tu te décris comme « un humain avec une foule à l’intérieur ». N’est-ce pas un peu exagéré ?
Oui, un peu [rires]. C’est parce que j’aime jouer avec le langage. En tant que rappeur, c’est une façon de dire qu’il y a beaucoup de Deihs en moi, en constante transformation. J’essaie de les éduquer pour qu’ils deviennent la personne que je veux être.

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