S’il a commencé à peindre dans la rue au début des années 1980, ce précurseur du pochoir urbain n’est pas aussi connu – à part de ses pairs et de quelques spécialistes – que les autres pionniers. Ce qui ne lui pose pas vraiment de problème… tant qu’il peut continuer à peindre !

Étienne a participé au premier rassemblement du mouvement graffiti et d’Art Urbain organisé par les VLP en Seine-Saint-Denis dans la ville de Bondy, avec Miss. Tic, Blek le rat, Speedy Graphito… C215 le dépeint comme « une légende vivante du Street Art en France ». Jef Aérosol dit de lui que « C’est un OBNI (objet bombant non identifiable) : il ne tombe dans aucune catégorie, ne souffre d’aucune étiquette, ne rentre dans aucun tiroir ». Réfractaire à toute contrainte, cet anarchiste dans l’âme poursuit son chemin, loin des projecteurs et des obligations du marché de l’art. Son travail, son talent, son originalité et son influence sur plusieurs générations d’artistes urbains sont, depuis quelques années, de plus en plus reconnus. Un juste retour des choses qui, s’il lui fait un peu plaisir, ne change pas grand-chose. Tout ce qu’il souhaite, c’est continuer comme il le fait depuis plus de quarante ans.

Bien que tu ais fait les Beaux-Arts de Dijon, tu ne destinais pas à la peinture…
Non, mon truc, c’était la photo et les performances. En 1979, pour une scénographie où je projetais des diapositives avec – déjà – des textes écrits, j’ai eu l’idée de recouvrir l’écran à la bombe, que je n’avais jamais utilisée. Et cela a été une véritable révélation, comme dans une bande dessinée, l’ampoule qui s’allume au-dessus de ta tête [rires]. Ce qui m’a tout de suite plu, c’est que tu n’avais pas besoin de toucher le support, le geste est libre, c’est comme une danse, tu peux commencer sur le mur, finir sur le sol… La liberté totale.


3. Bardot, 2021, bombe aérosol et pochoirs sur toile, 100 x 70 cm.
Tu as commencé par poser dans la rue …
Après avoir découvert la bombe, je suis tout de suite sorti écrire des con*s sur les murs. Le nom de mon groupe de musique – Les araignées du soir –, « Dieu est mort » sur les églises, des slogans politiques… Il y a d’ailleurs des messages que j’écrivais il y a 30 ans et qui sont toujours d’actualité : « Écoute la rue », ça n’a pas pris une ride [rires].
C’était vraiment les tout débuts du graffiti…
Surtout pour moi. À Dijon, il n’y avait vraiment rien, j’étais le seul. J’avais peut-être vu un entrefilet dans ArtPress avec une photographie minuscule sur le métro new-yorkais, mais je n’imaginais pas que je faisais la même chose. Il n’y avait pas de recherche esthétique, c’était juste des tags. Je n’étais pas un street artist, plutôt un artiste dans la rue.

Tu n’en es pas resté là ?
Non. Je voulais proposé des personnages que l’on reconnaisse. Alors j’ai fait des super-héros Marvel, C’était la grande époque du magazine Strange dont j’étais et je suis toujours un grand fan. J’ai une collection qui occupe plusieurs valises. J’ai commencé à main levée… mais je ne suis pas un très bon dessinateur. Les paysages, ça pouvait encore aller… [rires].
Comment es-tu passé au pochoir ?
Je dis souvent que c’est après avoir vu une œuvre de Blek, mais je ne suis pas certain que cela soit vrai [rires]…

Comment ton travail a-t-il évolué ?
Vers l’abstraction. Contrairement à Jef ou d’autres, je ne cherche pas le côté réaliste. Si on comprend l’image, cela me suffit. Mais parfois, elle est presque invisible dans le fond. Aujourd’hui, j’ai pas mal progressé et je peux mieux expliquer ma démarche artistique.
Tu n’as pas franchement eu une carrière professionnelle…
J’ai toujours continué à peindre dans la rue. Au début, j’avais un peu d’argent qui me restait d’un héritage. Disons que j’avais de quoi manger, et encore, pas tous les jours [rires]. Ensuite, il y a eu le RMI. À un moment, je suis parti vivre à Turin et je revenais tous les trois mois pour signer mes papiers. J’ai vécu ainsi pendant 35 ans.


7. Le penseur, 1982-1983, bombe aérosol et pochoirs sur toile, 157 x 270 cm.
Tu as développé un travail d’atelier ?
Quand j’avais de la place [rires]. Mais je fais la même chose que dans la rue, ce qui me prend le plus de temps, jusqu’à une dizaine d’heures. Puis la peinture va très vite, d’autant que je fais du mono-pochoir.
Tu as quand même vendu des toiles…
Au départ, j’ai fait très peu de toiles. J’ai beaucoup utilisé le carton, avant qu’il ne soit à la mode, c’est un support que j’aime bien. Et ce n’est pas cher, on en trouve facilement dans la rue. À la fin des années 80, un galeriste que je connaissais un peu et qui avait vu mon travail dans la rue, m’a dit qu’il fallait que je fasse des toiles, pour faire plus sérieux. Alors je m’y suis mis… un peu…

Tu es passé à côté de la reconnaissance du Street Art ?
J’ai vécu tout ça dans mon coin. Il n’y a que les spécialistes qui me connaissent. Mes potes de la rue comme Jef ou C215 me disent que je devrais être plus célèbre. Mais cela ne m’intéresse pas. Ce qui me branche, c’est de peindre. Je ne me suis jamais soucié du reste. Le côté commercial, ça me gonfle. Et ce qui me gonfle, je ne le fais pas. Bien sûr, c’est mieux si les gens voient ce que tu fais. Mais, au fond, je peins pour moi. Je ne cherche pas la renommée. Je ne suis pas contre mais il ne faut pas me demander de m’en occuper.
Les choses ne changent-elles pas ?
Il y a cinq ans, Henri, un avocat qui est fan de mon travail, m’a pris sous son aile. Il m’a fait entrer dans une belle galerie… J’espère que ça va marcher. Ce que je gagne passe dans le matériel. Lorsque j’en aurais un peu plus, je reprendrais un atelier. L’argent n’est pas important mais c’est un moyen pour pouvoir peindre. Il n’y a que cela qui compte dans ma vie. Comme je dis souvent, la seule chose qui m’intéresse, c’est de savoir si je vais mettre une tâche de jaune ou une tâche de rouge. Quand je peins, je suis serein. Dans notre société, on n’est jamais serein. Aujourd’hui les gens sont incapables de regarder un film sans en passer une partie en accéléré. Moi, j’aime bien prendre tout mon temps.
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