Si un véritable artiste se démarque par sa capacité à se renouveler tout en conservant une empreinte reconnaissable, alors, aucun doute, Fintan Magee mérite amplement ce qualificatif.
Fintan Magee : fintanmagee.com
Instagram : @fintan_magee
À bientôt 40 ans (il est né en 1985), cet infatigable globe-trotter a déjà une impressionnante carrière derrière lui. Des graffitis dans les rues de Brisbane à l’adolescence aux fresques monumentales sur les murs du monde entier, en passant par un travail d’atelier d’une grande maîtrise technique, cet artiste attachant a toujours su se remettre en cause, explorant sans cesse de nouvelles directions, à l’image de son remarquable travail sur la déconstruction et le flou. De passage à Paris, entre un festival à Aurillac et un autre à Amiens, Fintan a partagé avec nous sa vision de son art mais aussi de son évolution personnelle et du monde de l’Art Urbain.



2. Healock, 2021, acrylique et huile sur toile.
3. Headlock 2, 2021, acrylique et huile sur toile.
Vous êtes tombé très jeune dans le graffiti…
J’ai grandi à Brisbane, dans une famille créative, auprès de parents artistes : mon père est sculpteur et ma mère urbaniste. Pour moi, il était naturel de m’exprimer dans les espaces publics. Lorsque j’ai commencé, je devais avoir 12 ou 13 ans, il n’y avait pas encore de Street Art, juste un peu de pochoir à Melbourne. Il s’agissait d’une pratique vandale, d’inspiration américaine, qui consistait à peindre à la bombe sur les trains et les murs. Bien que cosmopolite, Brisbane est probablement la ville la plus conservatrice d’Australie sur le plan culturel, et le graffiti n’y était pas reconnu.

Comment avez-vous évolué vers une carrière professionnelle ?
J’ai étudié l’art dans une assez bonne école, où j’ai appris les techniques classiques. Au début, je peignais sur du bois, dans mon atelier, et je faisais des graffitis le week-end, principalement dans des bâtiments abandonnés, avec d’autres artistes comme Guido Van Helten. Nous avons commencé à poster des photos de nos murs sur Internet, les gens ont découvert notre travail, et la reconnaissance est venue avec le temps. À l’époque, nous n’imaginions pas que nous pouvions être payés pour peindre des murs !
Vous souvenez-vous de votre première fresque monumentale ?
Oui, c’était il y a presque 10 ans, à Glasgow, en 2014, à l’occasion des Jeux du Commonwealth. Une équipe de jeunes conservateurs a obtenu un budget et a commandé quatre murs. C’était un beau projet.
Aujourd’hui, êtes-vous moins attiré par les grands murs ?
Je ne sais pas si j’ai encore assez d’énergie, peindre de grands murs est difficile et très fatigant. D’un point de vue artistique, je trouve pourtant, d’une certaine manière, que les murs monumentaux sont moins exigeants. Personne ne regarde réellement les détails de près. Désormais, je veux faire des fresques plus petites, non seulement pour des raisons physiques, mais aussi pour des raisons artistiques. Peindre sur des silos à grains, comme d’autres le font en Australie, ne me passionne plus. J’ai déjà peint un bâtiment de 16 étages à Kiev, je ne le referais pas. Aujourd’hui, un bâtiment de quatre ou cinq étages est parfait, je n’ai pas besoin de plus.


5. Girl with killer whale, Derry, Irlande, 2023.
J’ai lu quelque part que l’on vous appelait « le Banksy australien »…
Cela vient d’un vieil article du Sydney Morning Herald. Mais, à l’époque, tout artiste de rue qui avait un peu de succès était comparé à Banksy. C’est juste un truc pour obtenir des clics sur Internet…
Quelles sont vos influences artistiques ?
Il y a beaucoup d’artistes que j’aime. En ce moment, je regarde le travail de Gerhard Richter. Je suis aussi des artistes contemporains comme Connor Harrington et Daniel Boyd. En tant que peintre, j’apprécie tous ceux dont l’énergie se ressent dans leur travail. En ce moment, je suis également obsédé par les images réalistes de déconstruction, donc les artistes qui travaillent de cette manière sont toujours inspirants pour moi.
Voulez-vous faire passer un message dans votre travail ?
Parfois, même si je ne le sais pas toujours. Je peins simplement ce que je ressens. Les célébrités ne m’intéressent pas, je préfère les gens du quotidien. Avec eux, il y a toujours un aspect social ; chacun a une histoire, un contexte que j’aime explorer. Mais je ne suis pas un artiste engagé, il n’y a pas de slogans révolutionnaires dans mon travail. Je trouverais un peu arrogant d’exprimer mes idées et mes convictions. Je préfère conserver une part de mystère, laissant à chacun la liberté d’interpréter ce qu’il voit.


7. Exit Strategy, 2020, acrylique et huile sur toile.
Vos fresques s’inspirent-elles de leur environnement ?
Oui. Lorsque vous peignez un mur dans un espace public, vous avez une responsabilité envers les personnes qui y vivent. J’essaie de trouver une histoire intéressante sur le lieu ou la communauté, et de l’intégrer dans mon travail. Je ne veux pas peindre des gens simplement parce qu’ils sont beaux. Il y a toujours une raison pour que je choisisse une personne comme sujet.
Comment votre travail en studio s’articule-t-il avec votre travail dans la rue ?
L’atelier me permet de combler le temps qui s’écoule entre les fresques mais également d’expérimenter. Avec les grands projets, tout doit être organisé, précis et calibré. À la moindre erreur, il faut deux jours pour la corriger. On ne peut pas juste repeindre dessus, comme sur une toile !
Est-il important pour vous d’expérimenter ?
Tout à fait. Par exemple, pendant le confinement, j’ai peint des natures mortes, parce qu’il était compliqué de travailler avec des modèles vivants. J’avais besoin de continuer à peindre. Il faut simplement être prêt à s’adapter aux contraintes de son environnement. Pour un artiste, cela doit être naturel.


9. Heads in the Clouds, Estarreja, Portugal, 2016.
Vous travaillez à l’huile sur toile. Est-ce l’héritage de votre formation classique ?
Oui, mais je ne suis pas très patient. Je ne pose pas beaucoup de couches, je ne fais pas de glacis comme les grands peintres traditionnels.
Dans vos travaux récents, vous proposez des portraits déformés à travers un prisme…
C’est aussi quelque chose que j’ai découvert en regardant ma main à travers un morceau de verre, et j’ai trouvé le résultat fascinant. Normalement, je n’aurais pas été plus loin, mais avec la pandémie, j’ai eu beaucoup de temps libre. Nous avons tous eu beaucoup de temps libre [rires].
S’agit-il d’une nouvelle orientation pour votre travail ?
Je pense que je suis un peintre réaliste depuis longtemps. Aujourd’hui, je veux explorer de nouvelles façons de déconstruire les images, par le biais du flou ou de la pixellisation. C’est ce que j’aime dans le travail de quelqu’un comme Gerhard Richter, qui a lui aussi commencé par le réalisme. C’est une approche suivie par de nombreux artistes comme Chuck Close et même Picasso – qui a commencé par la période bleue –, et sont devenus de plus en plus abstraits.


11. Stamped, 2021, acrylique et huile sur toile.
Ressentez-vous le besoin d’évoluer ?
Il est important de ne pas faire toujours la même chose. Quand on est un peintre réaliste, il y a un moment où on ne peut plus avancer, où on ne peut pas obtenir un meilleur résultat qu’une photographie. Je ne sais pas si j’ai atteint ce niveau, qui n’est qu’un défi technique. Suis-je intéressé par l’amélioration du réalisme de mes peintures ? Pas vraiment. Et aujourd’hui, avec la technologie numérique et l’intelligence artificielle, cela n’a plus beaucoup de sens… Je suis plutôt opposé à toutes ces technologies.
Continuez-vous à voyager dans le monde entier pour participer à des festivals ?
Oui. Mais je pense qu’avec la situation économique, la demande de murs va diminuer. En Australie, il y a eu beaucoup de construction de logements ces dernières années. Et cela commence à ralentir. De toute façon, rien n’est éternel dans la vie. Surtout, je souhaite réaliser moins de murs pour développer mon travail sur toile. De toute façon, je peux appliquer sur les murs tout ce que j’imagine dans l’atelier.