Si un véritable artiste se démarque par sa capacité à se renouveler tout en conservant une empreinte reconnaissable, alors, aucun doute, Fintan Magee mérite amplement ce qualificatif.
Fintan Magee : fintanmagee.com
Instagram : @fintan_magee
Ă bientĂŽt 40 ans (il est nĂ© en 1985), cet infatigable globe-trotter a dĂ©jĂ une impressionnante carriĂšre derriĂšre lui. Des graffitis dans les rues de Brisbane Ă lâadolescence aux fresques monumentales sur les murs du monde entier, en passant par un travail dâatelier dâune grande maĂźtrise technique, cet artiste attachant a toujours su se remettre en cause, explorant sans cesse de nouvelles directions, Ă lâimage de son remarquable travail sur la dĂ©construction et le flou. De passage Ă Paris, entre un festival Ă Aurillac et un autre Ă Amiens, Fintan a partagĂ© avec nous sa vision de son art mais aussi de son Ă©volution personnelle et du monde de lâArt Urbain.
Vous ĂȘtes tombĂ© trĂšs jeune dans le graffitiâŠ
Jâai grandi Ă Brisbane, dans une famille crĂ©ative, auprĂšs de parents artistes : mon pĂšre est sculpteur et ma mĂšre urbaniste. Pour moi, il Ă©tait naturel de m’exprimer dans les espaces publics. Lorsque jâai commencĂ©, je devais avoir 12 ou 13 ans, il nây avait pas encore de Street Art, juste un peu de pochoir Ă Melbourne. Il sâagissait dâune pratique vandale, dâinspiration amĂ©ricaine, qui consistait Ă peindre Ă la bombe sur les trains et les murs. Bien que cosmopolite, Brisbane est probablement la ville la plus conservatrice dâAustralie sur le plan culturel, et le graffiti nây Ă©tait pas reconnu.
Comment avez-vous évolué vers une carriÚre professionnelle ?
Jâai Ă©tudiĂ© lâart dans une assez bonne Ă©cole, oĂč jâai appris les techniques classiques. Au dĂ©but, je peignais sur du bois, dans mon atelier, et je faisais des graffitis le week-end, principalement dans des bĂątiments abandonnĂ©s, avec dâautres artistes comme Guido Van Helten. Nous avons commencĂ© Ă poster des photos de nos murs sur Internet, les gens ont dĂ©couvert notre travail, et la reconnaissance est venue avec le temps. Ă lâĂ©poque, nous nâimaginions pas que nous pouvions ĂȘtre payĂ©s pour peindre des murs !
Vous souvenez-vous de votre premiĂšre fresque monumentale ?
Oui, câĂ©tait il y a presque 10 ans, Ă Glasgow, en 2014, Ă lâoccasion des Jeux du Commonwealth. Une Ă©quipe de jeunes conservateurs a obtenu un budget et a commandĂ© quatre murs. CâĂ©tait un beau projet.
Aujourd’hui, ĂȘtes-vous moins attirĂ© par les grands murs ?
Je ne sais pas si jâai encore assez dâĂ©nergie, peindre de grands murs est difficile et trĂšs fatigant. Dâun point de vue artistique, je trouve pourtant, d’une certaine maniĂšre, que les murs monumentaux sont moins exigeants. Personne ne regarde rĂ©ellement les dĂ©tails de prĂšs. DĂ©sormais, je veux faire des fresques plus petites, non seulement pour des raisons physiques, mais aussi pour des raisons artistiques. Peindre sur des silos Ă grains, comme d’autres le font en Australie, ne me passionne plus. Jâai dĂ©jĂ peint un bĂątiment de 16 Ă©tages Ă Kiev, je ne le referais pas. Aujourd’hui, un bĂątiment de quatre ou cinq Ă©tages est parfait, je nâai pas besoin de plus.
5. Girl with killer whale, Derry, Irlande, 2023.
Jâai lu quelque part que lâon vous appelait « le Banksy australien »âŠ
Cela vient dâun vieil article du Sydney Morning Herald. Mais, Ă l’Ă©poque, tout artiste de rue qui avait un peu de succĂšs Ă©tait comparĂ© Ă Banksy. Câest juste un truc pour obtenir des clics sur InternetâŠ
Quelles sont vos influences artistiques ?
Il y a beaucoup dâartistes que j’aime. En ce moment, je regarde le travail de Gerhard Richter. Je suis aussi des artistes contemporains comme Connor Harrington et Daniel Boyd. En tant que peintre, jâapprĂ©cie tous ceux dont lâĂ©nergie se ressent dans leur travail. En ce moment, je suis Ă©galement obsĂ©dĂ© par les images rĂ©alistes de dĂ©construction, donc les artistes qui travaillent de cette maniĂšre sont toujours inspirants pour moi.
Voulez-vous faire passer un message dans votre travail ?
Parfois, mĂȘme si je ne le sais pas toujours. Je peins simplement ce que je ressens. Les cĂ©lĂ©britĂ©s ne m’intĂ©ressent pas, je prĂ©fĂšre les gens du quotidien. Avec eux, il y a toujours un aspect social ; chacun a une histoire, un contexte que j’aime explorer. Mais je ne suis pas un artiste engagĂ©, il nây a pas de slogans rĂ©volutionnaires dans mon travail. Je trouverais un peu arrogant dâexprimer mes idĂ©es et mes convictions. Je prĂ©fĂšre conserver une part de mystĂšre, laissant Ă chacun la libertĂ© d’interprĂ©ter ce qu’il voit.
7. Exit Strategy, 2020, acrylique et huile sur toile.
Vos fresques s’inspirent-elles de leur environnement ?
Oui. Lorsque vous peignez un mur dans un espace public, vous avez une responsabilitĂ© envers les personnes qui y vivent. Jâessaie de trouver une histoire intĂ©ressante sur le lieu ou la communautĂ©, et de lâintĂ©grer dans mon travail. Je ne veux pas peindre des gens simplement parce quâils sont beaux. Il y a toujours une raison pour que je choisisse une personne comme sujet.
Comment votre travail en studio sâarticule-t-il avec votre travail dans la rue ?
Lâatelier me permet de combler le temps qui sâĂ©coule entre les fresques mais Ă©galement dâexpĂ©rimenter. Avec les grands projets, tout doit ĂȘtre organisĂ©, prĂ©cis et calibrĂ©. Ă la moindre erreur, il faut deux jours pour la corriger. On ne peut pas juste repeindre dessus, comme sur une toile !
Est-il important pour vous dâexpĂ©rimenter ?
Tout Ă fait. Par exemple, pendant le confinement, jâai peint des natures mortes, parce quâil Ă©tait compliquĂ© de travailler avec des modĂšles vivants. Jâavais besoin de continuer Ă peindre. Il faut simplement ĂȘtre prĂȘt Ă sâadapter aux contraintes de son environnement. Pour un artiste, cela doit ĂȘtre naturel.
9. Heads in the Clouds, Estarreja, Portugal, 2016.
Vous travaillez Ă lâhuile sur toile. Est-ce lâhĂ©ritage de votre formation classique ?
Oui, mais je ne suis pas trĂšs patient. Je ne pose pas beaucoup de couches, je ne fais pas de glacis comme les grands peintres traditionnels.
Dans vos travaux rĂ©cents, vous proposez des portraits dĂ©formĂ©s Ă travers un prismeâŠ
Câest aussi quelque chose que jâai dĂ©couvert en regardant ma main Ă travers un morceau de verre, et jâai trouvĂ© le rĂ©sultat fascinant. Normalement, je nâaurais pas Ă©tĂ© plus loin, mais avec la pandĂ©mie, jâai eu beaucoup de temps libre. Nous avons tous eu beaucoup de temps libre [rires].
Sâagit-il dâune nouvelle orientation pour votre travail ?
Je pense que je suis un peintre rĂ©aliste depuis longtemps. Aujourdâhui, je veux explorer de nouvelles façons de dĂ©construire les images, par le biais du flou ou de la pixellisation. Câest ce que jâaime dans le travail de quelquâun comme Gerhard Richter, qui a lui aussi commencĂ© par le rĂ©alisme. C’est une approche suivie par de nombreux artistes comme Chuck Close et mĂȘme Picasso â qui a commencĂ© par la pĂ©riode bleue â, et sont devenus de plus en plus abstraits.
11. Stamped, 2021, acrylique et huile sur toile.
Ressentez-vous le besoin dâĂ©voluer ?
Il est important de ne pas faire toujours la mĂȘme chose. Quand on est un peintre rĂ©aliste, il y a un moment oĂč on ne peut plus avancer, oĂč on ne peut pas obtenir un meilleur rĂ©sultat quâune photographie. Je ne sais pas si jâai atteint ce niveau, qui nâest quâun dĂ©fi technique. Suis-je intĂ©ressĂ© par lâamĂ©lioration du rĂ©alisme de mes peintures ? Pas vraiment. Et aujourdâhui, avec la technologie numĂ©rique et lâintelligence artificielle, cela nâa plus beaucoup de sens⊠Je suis plutĂŽt opposĂ© Ă toutes ces technologies.
Continuez-vous Ă voyager dans le monde entier pour participer Ă des festivals ?
Oui. Mais je pense quâavec la situation Ă©conomique, la demande de murs va diminuer. En Australie, il y a eu beaucoup de construction de logements ces derniĂšres annĂ©es. Et cela commence Ă ralentir. De toute façon, rien nâest Ă©ternel dans la vie. Surtout, je souhaite rĂ©aliser moins de murs pour dĂ©velopper mon travail sur toile. De toute façon, je peux appliquer sur les murs tout ce que j’imagine dans l’atelier.