Bien plus qu’être le street artiste chilien le plus connu – ce qu’il est, évidemment –, Inti est surtout un créateur exceptionnel, dont la maîtrise technique est mise au service d’un message humaniste universel.
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Né en 1982 à Santiago du Chili, Inti a commencé à peindre dans la rue à l’âge de 14 ans, dans sa ville de Valparaiso. Depuis, il s’est imposé comme un artiste internationalement reconnu – même si lui-même n’en est modestement pas convaincu – qui parcourt le monde avec une incroyable énergie pour réaliser des fresques monumentales. Son travail est d’ailleurs présent dans plus de 30 pays ! En Amérique du Sud, aux États-Unis, en Turquie, au Liban, en Inde, en Chine et bien sûr en Europe : Allemagne, Belgique, Norvège, Pologne, Suède, Slovaquie, Pays-Bas, France et Espagne, où il réside aujourd’hui. Pour saisir toute la richesse de ses œuvres, il faut les regarder de près, de très près. Ce n’est pas parce qu’elles sont monumentales qu’il suffit de les admirer de loin. Chaque détail, chaque touche de peinture minutieuse, pourtant effectuée à la bombe ou au rouleau, a son importance. Les colliers, les symboles en presque transparence…, rien n’est à laisser de côté. Ses peintures richement colorées représentent des personnages issus de la culture populaire sud-américaine, comme l’un de ses sujets fétiches, le Kusillo, un clown du carnaval bolivien, mais aussi des différentes religions. Inti est influencé par ses racines, par la tradition muraliste de son pays – notamment la Brigada Ramona Parra, groupe d’artistes en lutte contre la dictature militaire d’Augusto Pinochet –, et par ses différents voyages. Son nom, celui d’une ancienne divinité Inca du soleil, lui sied parfaitement, pour la lumière qui émane de ses œuvres, pour sa personnalité radieuse, qui transparaît dans son travail et incite à la réflexion, mais aussi pour ses propos empreints de positivité, d’empathie et de bonne humeur.
« Couleur, carnaval et résistance », est-ce toujours votre devise ?
Absolument ! Ces trois mots représentent ma principale motivation et ce qui conduit ma vie et mon travail : résister par la culture et dans la joie !
Comment avez-vous choisi votre pseudonyme ?
Mais ce n’est pas un pseudonyme ! C’est mon vrai prénom, celui que mes parents m’ont donné, comme si ils avaient su que j’aurais besoin d’un nom d’artiste…
Quelle est l’héritage du muralisme sud-américain, qui a largement précédé le Street Art, dans votre travail ?
À cause de la dictature, il y a eu dans mon pays un fossé culturel de vingt ans entre les muralistes des années 70 et ma génération. Il m’a fallu plusieurs années pour reconnaître l’importance de tout ce qui a été réalisé avant la dictature. Aujourd’hui, il m’est impossible de comprendre l’art dans les rues sans ce rôle d’éducation et de résistance qui caractérisait les brigades murales des années 70.
Plus particulièrement, votre ville natale est considérée comme le berceau du graffiti de protestation dans les années 1970. Cela vous a-t-il influencé ?
Pas particulièrement, j’étais très jeune. Mais Valparaiso a fini par avoir une grande influence sur moi pour bien d’autres raisons. Évidemment, par son histoire, mais surtout par son présent. Elle a toujours captivé les artistes et les bohèmes. On dit souvent que c’est en raison de son architecture unique, qui semble défier la gravité et toutes les règles de sécurité. Mais, de mon point de vue, c’est un mélange parfait de chaos et d’ordre, qui peut effrayer les conservateurs mais qui saisit tous ceux capables d’apprécier son originalité naturelle.
Est-ce le fait que vous ayez commencé dans celle que l’on appelle « la ville aux 42 collines » que vous vous êtes orienté davantage vers la verticalité que vers l’horizontalité ?
J’ai vu quelques grandes peintures murales dans des magazines et j’ai aimé le défi. Il me semblait que les compositions verticales étaient plus impressionnantes. Mais l’architecture de Valparaíso offre des murs aux angles uniques et variés qui ne répondent pas à la même logique qu’une ville classique, ce qui constitue un défi et une motivation encore plus grands.
5. Resistencia, 2023, acrylique sur toile, 200 x 140 cm.
6. Polvere di Stella, 2020, acrylique sur toile, 130 x 90 cm.
Vous êtes connu pour vos fresques monumentales. Comment parvenez-vous à concilier le gigantisme et le souci du détail ?
C’est tout le défi ! Cela demande des heures de travail. Mais c’est aussi une habitude. Aujourd’hui, j’admire beaucoup d’autres peintres qui parviennent à rendre une belle image vue de loin sans accorder trop d’importance aux détails. Je trouve cela encore plus difficile…
Quelle est la symbolique de vos couleurs préférées, le jaune et le violet ?
Le jaune-orange, c’est le soleil, la lumière, la nature. Le violet, c’est le sacré, créé par l’homme pour l’homme. Les deux mondes dialoguent ou se combattent.
On vous décrit comme un « artiviste ». Peindre dans l’espace public est-il également un engagement ?
Je ne me considère pas comme un « artiviste », même s’il faut parfois agir comme tel. Je pense que travailler dans la rue implique une grande responsabilité, parce que c’est utiliser un espace qui appartient à tout le monde. Si l’on m’accorde ce privilège, je dois pour le moins faire de mes œuvres un bien commun, proposer quelque chose qui, idéalement, éveille la curiosité mais aussi aide à réfléchir.
Quels messages souhaitez-vous faire passer dans vos œuvres ?
L’axe de mon travail est le syncrétisme culturel. Toute culture est la somme d’autres cultures, que ce soit par une convergence forcée ou par une assimilation volontaire. Ce phénomène, qui s’est toujours produit et continue de se produire, m’intéresse énormément, car je crois qu’en le mettant en lumière, il nous confronte à nos certitudes. Nous croyons tous que nous sommes différents, que nous avons raison, que notre Dieu est le seul et l’unique… Nous croyons, nous croyons, nous croyons… alors que tous nos symboles et coutumes sont empruntés ou sont une réinterprétation de ce qui a existé auparavant. À partir de cette réflexion, j’essaie de construire de nouveaux syncrétismes où les madones portent des Adidas et adorent des objets de tous les jours, où le passé joue avec le futur, et où les possibilités infinies de mélanges apparaissent. La beauté et l’émerveillement sont dans ce qui nous différencie, dans ce qui nous invite à comprendre le monde à partir d’autres perspectives.
A-t-il évolué au fil du temps ?
Il change tous les jours ! Et mon travail également. Si on considère qu’il est le reflet de celui qui le crée, alors il doit changer en même temps que lui. Si le travail n’évolue pas, c’est mauvais signe. C’est la preuve que vous n’avez pas construit une œuvre personnelle, mais un produit qui n’est pas le vôtre.
Après des années de travail à un rythme infernal, vous avez dit que vous souhaitiez ralentir un peu. Avez-vous réussi ?
Oui, mais je n’ai jamais cessé de travailler. Tout récemment, j’ai arrêté de poster sur les réseaux sociaux pendant un an, pour me tester face au maelström des festivals et des projets, et pour me convaincre que je n’en dépendais pas. Cela a été une expérience intéressante.
Après « Profane » en 2018, vous revenez à la galerie Itinerrance pour une nouvelle exposition. Qu’allez-vous proposer ?
J’exposerai principalement des peintures que j’ai réalisées au cours de cette année dans mon atelier de Barcelone. Je dirais qu’il s’agit d’un résumé des différentes étapes de mon travail, des études au fusain jusqu’aux grandes fresques murales.
Il s’agit de votre quatrième exposition à Paris. Avez-vous une relation particulière avec la ville et la France ?
Oui, j’ai vécu en France pendant six ans et j’ai toujours envie de revenir là où je suis bien accueilli !