Admiré ou critiqué pour sa capacité à montrer sans détour et parfois avec brutalité le monde qui nous entoure, cet artiste engagé s’intéresse aux sujets « ordinaires » avec l’ambition de faire évoluer la société vers un monde meilleur.
À voir
« Nobody is innocent »
Jusqu’au 30 avril 2024
Mardi de 9h à 18h, du mercredi au samedi de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Galerie deux6
66 avenue de la Bourdonnais 75007 Paris
deux6.com
K-litystreet : @klitystreet

Cet ancien basketteur professionnel a fait le choix audacieux de quitter le monde du sport au début des années 2000 pour embrasser celui de l’art. En peu de temps, il s’est imposé sur la scène contemporaine avec des œuvres percutantes, à la fois naïves et puissantes, qui lui ont valu la reconnaissance de Gilbert Ganivenq, fondateur du musée-galerie Le Réservoir à Sète ou d’Erró, pionnier de la figuration narrative.

Tu as un parcours qui peut sembler atypique…
Je viens du basket et, c’est vrai que la transition entre le sport et l’art peut étonner. Je suis venu à la peinture en autodidacte, par des rencontres, avec l’envie d’exprimer ce que je ressentais et que je ne retrouvais pas chez les autres. Il y a tout de même des points communs entre les deux mondes, à commencer par la passion, mais aussi le travail. Pour être un sportif ou un artiste de haut niveau, il faut un travail constant et un mental fort pour aller là où on veut arriver. C’est une course de fond. Quand tu joues au basket, le jeu te permet de créer des passes, des dribbles… Pour la peinture, c’est un peu pareil ; tu sollicites ton cerveau pour développer ton imaginaire, afin que les gens puissent comprendre – ou non – ce que tu veux dire. Mais, à la différence du basket, un artiste est seul ; il doit se motiver pour créer.

Comment qualifierais-tu ta démarche artistique ?
On parle parfois de néo-expressionnisme, parfois de primitivisme. Je pense que c’est un mélange des deux. Certains disent que je fais de l’art contestataire ou de l’art politique, mais c’est d’abord pour moi un moyen de porter un certain regard sur la société, ce que l’on vit, notre quotidien…, alimenté par une touche d’ironie.
Ton langage pictural est composé de textes, de couleurs, de traits. Quelle place accordes-tu à chacun de ces éléments ?
C’est un équilibre qui se fait naturellement, en fonction de ce que je souhaite exprimer. Mes personnages peuvent évoquer une idée, une réflexion, un fait…, l’écrit renforçant alors le message, et les couleurs permettent d’harmoniser l’ensemble. Dans la composition, les textes sont néanmoins souvent « décalés » par rapport aux personnages ou aux situations représentées.

Ce décalage est une caractéristique de ton travail. D’où vient-il ?
Je trouve que ce décalage entre le texte, le dessin et les couleurs donne une profondeur à l’œuvre et apporte une certaine harmonie, comme en musique, lorsque la voix n’est pas parfaitement en phase avec le son, cela sonne plutôt bien. Mais je n’impose rien au spectateur. Chacun est libre de voir une harmonie entre tous les éléments ou, au contraire, de percevoir surtout les décalages. Je trouve d’ailleurs intéressant de découvrir comment chaque spectateur s’approprie un tableau, ne serait-ce qu’en prenant des photos…
Comment construis-tu tes œuvres ?
Je me nourris du quotidien et de ce qui m’entoure. Cela peut-être l’actualité, les faits divers mais aussi une situation banale, un ami qui se casse la jambe, une fête…. Je suis une éponge ! Ce quotidien fait naître en moi une image et le besoin de livrer un sentiment, une impression, une réflexion, une constatation… le point de départ que je pose alors sur la toile et que je développe au fur et à mesure, pour construire des bouts d’histoire qui s’assemblent de manière cohérente, un peu comme un puzzle, l’ensemble formant un récit.

Tu te décris comme pacifiste. Mais ton trait est irrégulier, puissant, peut-être même porteur d’une certaine « violence »…
On peut être pacifiste et révolté. Et ce n’est que de la peinture, il ne s’agit pas de violence physique, plutôt d’une expression plus forte, intellectuellement parlant. Ce que je veux, c’est réveiller les consciences. Aujourd’hui, je trouve qu’on a tendance à tout accepter, à tout laisser aller.
Cette force se retrouve aussi dans la saturation des éléments – couleurs, textes, personnages… – qui composent tes tableaux…
J’ai essayé d’aller vers plus d’épure, les spectateurs se perdant parfois, mais, finalement, cela ne me convient pas. Je gère mal le vide, j’ai toujours l’impression d’un manque, que l’histoire n’est pas finie, que l’œuvre n’est pas aboutie. Le fait que la toile soit saturée, que chacun prenne le temps de regarder, de lire, d’analyser, me convient bien.

Dans tes tableaux, il y a souvent des références au passé. Est-ce important pour toi ?
Oui, surtout pour la génération actuelle qui n’a pas forcément les bases. J’aime utiliser des éléments qui viennent de mon enfance, puisés dans les dessins animés, dans l’histoire et la géographie apprises à l’école, dans les musiques que mes parents ont pu me faire écouter… Je crois que, sans connaître le passé, tu ne peux pas avancer. Surtout, tu vas refaire les mêmes erreurs. Hélas, l’être humain oublie vite, trop vite. Alors, à mon niveau, je fais un petit travail de mémoire.
Tes œuvres dénoncent les travers de la société. Est-ce le rôle d’un artiste ?
La peinture est peut-être l’une des dernières formes artistiques où tu peux pointer du doigt ce qui ne va pas dans le monde ! Alors que la plupart des humoristes, des philosophes, des écrivains, des paroliers… sont désormais muselés, le peintre, sur la toile, peut se montrer politiquement incorrect. C’est peut-être le seul espace de liberté qui nous reste, y compris pour le spectateur qui a le choix d’aimer ou non, de regarder ou de détourner le regard, de comprendre ou d’ignorer. Alors, oui, pour moi, un artiste doit être engagé, même si cela ne plaît pas à tout le monde.

Ton travail artistique est-il aussi un combat ?
Tout dépend où tu places le curseur. Disons que mon combat, c’est éduquer, regarder le passé pour construire le présent. Et c’est d’abord un combat qui m’est propre. En tant qu’être humain, j’ai aussi mes casseroles, comme chacun d’entre nous. Peindre est donc aussi une manière de me libérer, je ne dirais pas de mes angoisses, mais plutôt de mes ressentis. Et c’est parfois douloureux… Heureusement, je ne suis pas uniquement dans la souffrance, peindre restant un plaisir. La douleur et le plaisir ne sont-ils pas cousins ? Surtout, tu ne peux pas connaître le bonheur si tu n’as pas connu le malheur, et inversement.
À côté des toiles, tu réalises également des installations..
Avec le temps, j’ai besoin d’explorer de nouvelles pratiques, de nouveaux supports, pour continuer à m’exprimer. Avec ce travail en volume, j’occupe l’espace comme je sature la toile. À la différence d’un tableau accroché au mur, les spectateurs peuvent contourner l’œuvre, donc contourner ton inspiration. Je touche alors un autre public. Mais je ne fais pas des installations pour faire des installations. Ce sont des œuvres qui me parlent et qui ont un sens, parce que j’utilise ce que les gens jettent et que je récupère. Une manière de dénoncer la société de consommation, de parler d’environnement également…

Quelle est ta vision de l’évolution de l’Art Urbain ?
Depuis que le graffiti est devenu « Street Art », courant artistique populaire, il a perdu en quelque sorte ses lettres de noblesse. Il y a beaucoup de monde sur ce secteur, dont des artistes très talentueux, mais de moins en moins d’œuvres qui secouent, qui dérangent… Je fais d’ailleurs le parallèle avec le rap. À l’origine, lorsque c’était encore une musique underground, il y avait des revendications, du flow, des plumes. Aujourd’hui, c’est un grand fourre-tout. C’est la même chose pour la peinture, avec de plus en plus « d’art déco ».
Que vas-tu proposer dans ton solo show à la galerie Deux6, intitulé « No one is innocent » ?
C’est un constat, celui de l’individualisme qui grandit dans notre société. Avec ce titre puissant, j’espère interpeller, même si se sentir responsable n’est facile pour personne. Mais je préfère garder une part de mystère, afin que les visiteurs aient la surprise de la découverte. Je tiens cependant à remercier l’équipe de la galerie qui m’a laissé carte blanche. Pour chacune de mes expositions, j’ai toujours amené mes tableaux au dernier moment et ils m’ont toujours soutenu, ne m’ont jamais dit que j’allais trop loin. C’est vraiment une relation hors-norme. Dans mon parcours, j’ai aussi la chance d’être aussi soutenu par des artistes devenus des amis, comme Softtwix, Marco Five, Tomadee, Saki… C’est important parce que cela influence la vision que je peux avoir de l’art aujourd’hui.