Par un travail de la couleur, Lady M offre de mélodieuses vibrations au pouvoir hypnothique capables d’enchanter le quotidien.
A voir
Lady M : lady-m-art.com
Instagram : @lady_m_art
Galerie Barthélémy Bouscayrol : galerie-barthelemy-bouscayrol.com
Galerie Martine Ehmeret : martineehmer.com
Galerie Ostendorff : ostendorff.de
Entre perception et illusion, l’art optique qui anime le travail de Lady M vibre incontestablement d’une énergie puissante, faisant naître chez le regardeur d’intenses émotions. Son exploration audacieuse, qui porte sur la vibration des couleurs, invite en effet à un dialogue visuel époustouflant. Abstraites mais profondément engageantes, ses œuvres fascinent tant l’apnée chromatique que propose l’artiste est tantôt apaisante, tantôt vivifiante. La quête de Lady M, sensorielle et positive, offre ainsi une expérience palpitante qui place l’humain comme acteur de l’œuvre dans laquelle il est plongé. Dans une libre interprétation, cette participation active du spectateur lui ouvre les portes de merveilleuses sensations, renouvelées sans cesse.
Comment passe-t-on de la réalisation de scénographies monumentales pour l’Opéra Bastille aux fresques personnelles dans l’espace public ?
J’ai énormément appris à l’Opéra, auprès de personnes extraordinaires qui m’ont transmis toutes les ficelles du métier. En tant que peintre décorateur, Bastille a ainsi été mon « école de la peinture ». Pour autant, bien qu’il y ait des similitudes entre peindre des fresques sur les murs et peindre des décors pour des spectacles vivants à l’Opéra, je n’étais pas décisionnaire. Je devais répondre aux thèmes imposés par les scénographes. Et bien que j’ai toujours eu une pratique d’atelier en parallèle, l’envie de développer un travail personnel dans la rue s’est finalement imposée lorsque je me suis sentie assez forte pour me lancer.
Pourquoi l’espace public ?
Cela est probablement le résultat de tout ce que j’ai appris pendant toutes ces années, lors de mes études d’architecture intérieure, de scénographie, de peintre en décor et mon expérience à l’Opéra où j’ai peint des façades entières après avoir passé le CACES [permis nacelle, NDLR]. Lors de mes interventions en extérieur, je suis ainsi animée par ce que j’ai envie de raconter, notamment par rapport à l’environnement. Je fais corps avec le mur tout en me confrontant aux intempéries, à la nature, aux bruits, à la rue, aux passants… C’est ainsi à la fois une confrontation, mais aussi une libération.
Comment ton style si singulier s’est-il imposé ?
Là encore, je crois qu’il est le résultat de mon parcours, notamment comment investir un espace, faire naître une sensation en travaillant les matières, les patines, les couleurs… pour susciter des émotions avec quelque chose de physique, de construit. Mon parcours a ainsi nourri mes recherches personnelles. D’ailleurs, avant d’attaquer les murs, et même si j’ai besoin d’oxygène, j’ai d’abord travaillé en atelier sur des toiles grand format, des formes plus ou moins simples liées à la géométrie dans l’espace, une façon pour moi de la réinterpréter.
5. Eternelle mouvance, 2023, Ø120 cm.
6. Voyage vers soi, 2024, Ø80 cm.
Le trait est la base de ton art. Que signifie-t-il pour toi ?
Le trait est effectivement fondamental et symbolise mon chemin, celui que j’emprunte dans une recherche incessante d’équilibre entre deux éléments : la terre, liée au monde matériel, et l’air, associé au besoin de nature, de liberté. Le trait, comme un fil rouge qui lie ces deux éléments dans mes compositions, me rassure et me guide.
Comment s’incarne désormais ton langage pictural ?
Mon abstraction optique est basée sur les émotions. À travers mes œuvres, j’ai besoin de transmettre une énergie. Pour cela, je travaille la couleur, notamment sa vibration, afin de troubler les sens des regardeurs. Pour certains, les œuvres sont totalement hypnotiques ; pour d’autres, elles sont perturbatrices. J’ai toujours eu un profond intérêt pour l’humain, ses traumatismes, son état émotionnel en général… J’ai d’ailleurs imaginé l’aider à travers l’art-thérapie, en créant des ateliers pour des personnes atteintes d’Alzheimer. Malgré mon désir, je me suis rendue compte que, étant une « éponge émotionnelle », j’étais incapable de les assister. Une expérience qui m’a d’ailleurs démolie… mais qui nourrit aujourd’hui mon travail. J’ai choisi de prendre un autre chemin, celui de provoquer des émotions et, surtout, de transmettre, à travers le filtre de la vibration, de l’énergie positive. Je me souviens encore des réactions des patients et de leurs accompagnants lorsque j’ai peint la fresque Le chemin des rêves sur la façade de l’hôpital pédiatrique Gaslini, à Gênes, en Italie. Beaucoup m’ont fait comprendre qu’en me regardant peindre, je leur avais offert « une échappatoire », et je me suis sentie utile. C’est en cela que l’Art Urbain est important pour moi : créer dans l’espace public un univers onirique coloré dans lequel chacun peut plonger, se réfugier, mais sans forcer quiconque à regarder.
Comment est née cette recherche ?
J’ai besoin de tout contrôler, cela me rassure. Pourtant, certaines erreurs se sont révélées être de profondes avancées créatives dans mon travail, même si cela a été émotionnellement difficile à vivre… Ainsi, en 2021, lorsque le groupe Frey m’a invitée à peindre une façade de 130 m² dans le centre commercial Woodshop de Cesson. J’ai souhaité emmener les visiteurs dans un autre univers. Le bardage métallique m’y a aidé avec la contrainte des pleins et des vides dans lesquels j’ai travaillé deux couleurs, ce qui crée une vibration, puis, au premier plan, une ellipse, comme un vortex, qui vous aspire vers la couleur. Cette idée, je m’en sers désormais sur les murs comme en atelier, travaillant la vibration à travers la superposition des couleurs, questionnant alors la personne qui regarde.
Comment travailles-tu les couleurs ?
Si les couleurs ont une symbolique qui parle à tous – le dynamisme du rouge ; la lumière et la chaleur du jaune, l’apaisement du bleu… –, les assembler, les harmoniser, les contraster… permet de créer différentes vibrations. Selon l’émotion que j’ai envie de transmettre, je travaille ainsi les couleurs soit en opposition, soit en camaïeux, soit en complémentaires… L’intérêt est également de comprendre comment l’œil du regardeur, face à deux teintes superposées mais non mélangées dans le pot de peinture, crée une troisième couleur.
8. Labyrinthe, 2024, acrylique et aérosol sur toile, 81 x 100 cm.
9. Deep crystal, 2024, acrylique et aérosol sur toile, 100 x 120 cm.
10. D’un monde à l’autre, 2024, acrylique et aérosol sur toile, 100 x 81 cm.
Dans tes œuvres, il y a également une dimension « musicale »…
Venant d’une famille de musiciens, la musique a toujours été présente dans ma vie. J’ai étudié le solfège, le piano, la clarinette… À l’Opéra, j’ai évidemment été bercée par les grands classiques – Wagner, Beethoven, Mozart… Pour créer chaque décor, il était important pour moi de m’imprégner de ces classiques, notamment en allant écouter les répétitions. Parallèlement, je suis branchée rock et électro. Ainsi, même perchée sur ma nacelle, je crée toujours en musique, choisissant le morceau selon ce que je souhaite peindre. N’oublions pas que, tout comme le son, la couleur vibre. Si l’oreille capte les vibrations musicales et l’œil celles des couleurs, toutes font naître des émotions. Par exemple, pour la fresque que j’ai réalisée entre les stations Auber et Opéra, un lieu clos et souterrain, j’ai peint au son d’une musique qui donne envie de danser et j’ai choisi le jaune, plein d’énergie, qui évoque la lumière, le soleil. Puis, comme un chef d’orchestre, j’ai joué de touches plus acides pour apporter de la profondeur, de lignes qui passent du blanc au bleu pour donner du rythme…
Que recherche-tu en tant qu’artiste ?
J’ai besoin de me donner corps et âme à la création… qui n’est finalement qu’un outil à la recherche du bien-être, de l’équilibre, de l’harmonie, du bonheur. Seule cette quête m’intéresse, comme une auto-thérapie, mais aussi pour les autres, en leur transmettant de bonnes ondes ! Et même si cette recherche peut également être une « torture », elle me permet d’avancer.
Cette quête, où prend-elle racine ?
Comme beaucoup et sans entrer dans les détails, en tant que femme, j’ai connu des moments difficiles et je me suis battue pour exister. C’est d’ailleurs pourquoi je me nourris de certains parcours, celui de Niki de Saint Phalle, de Frida Kahlo, de Georgia O’Keeffe, de Janis Joplin…
Travail d’atelier et fresques, est-ce le même processus ?
Non, parce qu’un mur s’appréhende de manière différente, techniquement, physiquement et psychologiquement. Lorsque je dois peindre un mur de 130 m² en seulement trois jours, je l’aborde comme une guerrière, car il n’y a pas de place pour l’erreur. N’étant pas très « robuste », ma tête décide de tout ! Je dois faire confiance à ma force mentale, tout en étant attentive à ma bonne condition physique afin que mon corps assure. Ainsi, dans la rue, tout est donc déjà réfléchi, autant en termes de technique que de concept. Je prends alors beaucoup de plaisir dans la réalisation. À l l’inverse, l’atelier est un petit cocon où je peux me permettre de me tromper, puis recommencer. L’atelier, c’est le temps de la recherche, l’endroit où je travaille mes idées. Étant ultra-sensible, cette étape est parfois difficile… comme si je m’allongeais sur le divan d’un psy pour pointer ce qui bloque et ce qui coule. Mais que je sois devant un mur ou dans l’atelier, j’aime la confrontation, le challenge ; ils me permettent de créer et c’est libérateur. Pour avoir le sentiment d’avancer, j’ai besoin de dépasser mes peurs. Ce n’est qu’à cette condition que j’arrive à trouver mon équilibre.
12. Le M.U.R. Bordeaux, 2023.
Quels sont tes projets ?
Je réalise actuellement une immense fresque aux Halles de la Cartoucherie, à Toulouse, une façade de 300 m², mon plus grand mur à ce jour et pérenne ! Cet été, je peindrais deux autres fresques, l’une à Marseille, l’autre à Bourges. J’ai également un travail d’atelier pour les galeries avec lesquelles je travaille – Barthélémy Bouscayrol à Biarritz, Martine Ehmeret à Bruxelles, Ostendorff à Münster – et qui, toutes, parlent d’une manière créative et artistique de mes œuvres. Enfin, je prépare un solo show pour décembre prochain, ce qui me demande du temps, car je mets tout mon cœur dans chaque tableau.
Vers quoi vont te mener tes recherches artistiques ?
J’ai envie de travailler le tissu, toujours en lien avec mon travail optique, sans vraiment savoir ce que cela peut donner [rire].