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Rencontre

LES HUMEUR DE GREGOS : totalement charismatiques !

Affichées sur les murs de tous les continents, les humeurs de Gregos instaurent depuis déjà plusieurs décennies un dialogue savoureux et impertinent dont on ne se lasse pas… Des visages moulés et peints qui séduisent autant qu’ils interpellent.

Gregos : gregosart.fr
Instagram : @gregosart

Peut-on qualifier l’oeuvre de Gregos d’éloquente ? Indubitablement tant les visages qu’il colle sur les murs livrent une émotion, une réaction, une sensation… D’ailleurs, n’a-t-il pas commencé par son visage tirant la langue pour montrer son agacement, comme l’a fait Einstein face à un photographe trop pressant lors de son soixante-douzième anniversaire ? Depuis donc, il moule, sculpte, peint… son visage, dévoilant par différentes expressions ses « humeurs » à la résonance singulière, donnant à penser par ce qui est donné. Derrière l’évidence esthétique se cachent non seulement le sens de la matière et de l’espace mais aussi des « références » à la fois universelles et intimes qui trouvent écho en chacun de nous. Une lecture en deux temps donc pour une œuvre décalée, surprenante, inattendue.

As-tu toujours fait de la sculpture, du moulage ?
Je fais de la sculpture depuis que je suis gamin… A 8 ans, j’ai sculpté une chouette en bois pour mon père parce qu’il les collectionnait. Mais je dessinais également beaucoup, notamment pendant cours où je portraitisais les copines qui me plaisaient et écoutaient studieusement. Seul le cours de dessin m’intéressait. J’aurais mieux fait d’écouter en classe, mon parcours scolaire aurait été meilleure [rire] ! D’ailleurs, je me suis fait viré de l’école. C’était le début du Hip Hop et, avec mes potes, la nuit nous partions en « missions » pour breaker, smurfer, tagger, graffer et faire d’autres choses moins avouables.

Tu as fait çà longtemps ?
Deux, trois ans, jusqu’à ce que le service militaire nous appelle. Nous nous sommes alors retrouvés chacun aux quatre coins de la France, ce qui nous a un peu calmé. D’autant qu’ensuite, il a fallu trouver un emploi. Heureusement, pendant mon service, j’ai pu passer mon permis poids lourds, ce qui m’a sauvé puisque je suis devenu chauffeur-livreur.

Continuais-tu une activité artistique ?
Je n’ai jamais arrêté. J’ai sculpté ma quille à la fin de mon du service militaire sur laquelle mes potes ont tous signé… et je l’ai toujours. Pour autant, en tant que chauffeur-livreur, j’ai dû mettre mes activités artistiques en sommeil. Ce n’est que lorsque je suis parti vivre en Grèce, entre 1995 et 1997, que le déclic s’est produit face au réalisme des sculptures antiques que l’on peut voir dans les musées. Lorsque je suis rentré en France, j’ai donc acheté mon premier pain de terre et je me suis amusé, essayant diverses choses : têtes de dragon, corps de femmes… un peu tout. Et comme je souhaitais reproduire mes pièces, j’ai essayé les techniques du moulage : latex, alginate, silicone… Puis, j’ai suivi la maman de mon fils à Boston, aux Etats-Unis. Comme je n’avais pas le droit de travailler, j’ai essayé de développé mon activité artistique. C’est la seule fois ou je suis entré dans les galeries pour savoir comment exposer. Et comme il fallait payer, je me suis rabattu sur les marchés artisanaux de Boston et Salem, proposant notamment des moulages de mains… Au bout de trois ans, nous sommes rentrés en France… et j’ai collé mon premier visage.

Comment t’es venu l’idée ?
Après les empreintes de mains et de pieds, j’ai envie d’autres chose… Alors pourquoi pas mouler un visage… Le seul que j’avais à disposition était le mien. Et j’ai tiré la langue, ce que je fais souvent dès sur les photos de famille, comme un jeu. J’ai choisi l’alginate qui a une prise instantanée, ce que les dentistes utilisent pour les empreintes dentaires, et qui permet un voire deux tirages en plâtre.

Et pourquoi l’as-tu collé dans la rue ?
Nous habitions à Pigalle, dans le XVIIIe, en face d’une école de musique. A l’époque, je travaillais de nuit et essayais de dormir le jour… sauf que, vers 16, 17 heures, les étudiants squattaient l’impasse pour jouer, discuter… Au lieu de leur gueuler dessus comme un vieux con, j’ai collé mon visage tirant la langue là où ils squattaient.

Ton premier masque était donc un message…
Effectivement [rire]. Le lendemain, un des jeunes était là lorsque j’ai pris le masque collé en photo. Il m’a demandé si c’était moi qui l’avait installé et m’en a demandé la raison. Je lui ai expliqué et cela l’a fait sourire… Résultat : les jours suivants, il y a eu nettement moins de bruit.

C’est une jolie anecdote…
Et comme j’avais un deuxième masque, je me suis amusé à le coller dans le quartier en promenant ma chienne. De 2006 à 2009, j’ai collé très peu, un ou deux visage par mois car je travaillais la journée, uniquement pendant la promenade de ma chienne, cela me rappelait les années tag. A l’époque, je remplissais mes moules vides avec du plâtre et ne le peignais pas. Et même lorsque que j’ai vu des personnes se prendre en photo devant mes masques, je n’ai pas percuté…, sans dote n’étais-je pas encore en mode « art de rue ». Ce n’est qu’en 2007, après les élections présidentielles, que je suis passé à un message plus sociétal, tirant plus souvent la langue à toute une frange de la population dans les IXe et XVIIIe arrondissements.

Avec mes humeurs, je n’envahis pas… j’investis une ville. J’aime voir la réaction des gens.

Gregos

Quand as-tu commencé à peindre tes masques ?
En 2009, la veille de la fête de la musique, ce qui les a rendus plus visibles. Le premier, je l’ai collé passage des Abesses dans le XVIIIe, alors fermé à la circulation. Il y avait tellement de monde que j’ai fait la queue pour prendre la photo du visage installé pendant la nuit. En une heure, j’ai vu défiler une cinquantaine de personnes. J’ai alors compris qu’il y avait quelques chose à faire. Et je me suis demandé ce qui se passerait si j’en collais 100, 200, 300… Aujourd’hui, à Paris, en dehors les grandes installations, j’ai collé plus de mille visages.

Tu es ensuite parti à la conquête de la France puis du monde…
Tout artiste de rue qui voyage souhaite laisser une trace. Et il prend une photo parce qu’il sait pas si ou quand il reviendra. Mais je n’envahis pas… j’investis une ville ! En France, j’ai collé à Caen, Dreux, Perpignan, Montpellier, La Rochelle, Bordeaux, Roubaix… et Nice dernièrement. Hors de l’Hexagone, j’ai commencé par Malte, les dernières vacances avant la naissance de mon fils. J’avais emporté une dizaine de visages pour tester… Puis il y a eu Athènes, Winston, Madrid, Londres, Amsterdam, Berlin, Monaco, Lisbonne, San Francisco, Los Angeles, New York, Ibiza, Genève, Rome… Mais je dois en oublier. A mes frais, j’achète un billet d’avion, je me prends un hôtel pour une semaine et je colle seul. Mes amis m’ont longtemps pris pour un fou d’ailleurs. Aujourd’hui, ils voient ça d’un autre œil et viennent aux expos.

Dans chaque ville, combien poses-tu de masques généralement ?
Tout dépend du temps dont je dispose. A l’étranger, au début j’emportais 25 masques ; aujourd’hui environ 75, ce qui représente deux valises de 20 kg chacune, plus 1 sac de 10 kg. Alors forcément, je paye un excédent bagages… mais mon retour est nettement plus léger [rire].

Est-ce la raison pour laquelle ton travail de rue est différent à Paris ?
Effectivement. A l’étranger, tout est prêt : je colle uniquement des visages déjà peints. Dans Paris, je réalise désormais une rapide mise en scène : j’ajoute des mains, un petit pochoir, de la peinture autour, du papier… Et puisque c’est en vandale, ce n’est évidemment pas des grands formats mais plutôt du 50 x 50 cm. Mais le plus grand mur que que j’ai réalisé fait 2,50 mètres par 2,50 mètres.

Tes œuvres sont-elles souvent dégradées ?
Mes visages ne sont généralement pas recouverts, exceptés par la peinture de la ville, ni enlevés parce qu’il faut des outils. En revanche, il y a de la casse et beaucoup de vols.

Ton art est singulier puisque tu colles dans la rue une sculpture. Comment es-tu perçu ?
Je suis un artiste plasticien qui intervient majoritairement en milieu urbain, bien qu’il m’arrive de coller en forêts sur des arbres.

Aurais-tu un énorme égo pour coller ton visage partout ?
C’est du grégocentrisme [rire]. En réalité, j’aime voir la réaction des gens. En 2010, lorsque mon fils est né, j’ai décidé de sculpter une nouvelle expression, peut-être en avais-je assez de toujours coller le même masque. Alors j’ai créé le sourire, la béatitude, puis d’autres humeurs comme le bisou par exemple, que j’ai créé pour répondre aux selfies que prenaient les gens qui, souvent, embrassaient le visage sourire, notamment les filles. D’autres encore en réaction à certains événements qui m’ont touché, comme la tristesse par rapport au Printemps arabe pour une installation avec l’AFP, à des émotions personnelles comme le visage qui souffle…

Ton art s’est donc enrichi et notamment avec les visages utilisés comme pixels. Est venu naturellement ?
Non, plutôt grâce à des recherches mais aussi à des rencontres avec des professionnels du domaine. Cela m’a permis de travailler avec d’autres matières que du plâtre polyester, notamment la résine. Je n’ai envie ni de m’enfermer, ni de me limiter. J’utilise ainsi toujours mes visages mais aussi de l’acrylique, de la spray, du papier, des photographies… sur de nombreux supports différents avec mon travail d’atelier, mais toujours en gardant mes humeurs. J’essaie tout ce que j’ai en tête. Si je me plante, je me plante. Si ça marche, ça marche. D’ailleurs, parfois en se plantant, il y a des trucs qui marchent.

Quelle est la différence entre ton travail de rue et d’atelier ?
Certaines pièces réalisées en atelier ne peuvent qu’aller dans la rue en raison d’un message un peu trop dur. Je ne les produit donc pas sur toile, bois ou sur un autre support. Néanmoins, le travail de rue inspire le travail d’atelier et vice versa.

Aujourd’hui, alors que tu exposes depuis 2010 en galerie, la rue reste-t-elle toujours une partie importante de ton activité ?
Ah oui ! C’est un vice ! Dès qu’un mur et l’ambiance autours me plaisent, j’imagine d’emblée une installation. Et désormais, lorsque j’investis une ville, je colle de jour comme de nuit. J’aime les villes la nuit ; je retrouve la sensation que j’avais avec mes potes quand on sortait. Je suis un oiseau de nuit. Il y a une ambiance particulière que j’apprécie. La rue est une magnifique vitrine. Un pied de nez aux grandes agences de pub qui nous pourrissent la vie tous les jours. Eux, ils paient pour faire ça ; pas nous !

Quels sont tes projets ?
Beaucoup de travail de rue et plein de nouvelles pièces chez Urban Gallery !

Urban Gallery
163 boulevard du Montparnasse 75006 Paris
urbangallery.fr