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Rencontre

Les stimulants paradoxes de Motte

Jouant sur l’inattendu, tant émotionnellement qu’intellectuellement, la singularité de Motte repose sur un choc visuel immédiat derrière lequel s’impose son regard critique et amusé.

L’art de Motte attire par la multiplicité, parfois étonnante, de ses expérimentations picturales, vives et rythmées, tout autant que les thèmes qu’il choisit d’aborder. Simples sujets du quotidien ou interrogations sociétales complexes, ses œuvres, au-delà de l’émotion esthétique née d’une captivante composition – entre personnages, motifs, couleurs, vibrations… –, dévoilent une vision tragi-comique où l’absurde n’est jamais loin, celle d’un artiste qui porte sur la vie, le monde et ses semblables son regard acéré. Touchante comme une présence, son expression picturale invite autant à la contemplation qu’à la réflexion. En témoigne l’exposition muséale « VHS » au centre d’art contemporain Jean Prouvé d’Issoire.

Comment est né cette exposition dans un centre d’art ?
Par des rencontres avec certaines équipes de la ville qui ont débouché sur différents projets, notamment une commande du centre Jean Prouvé. L’institution, ancien couvent de religieuses bénédictines puis tribunal de commerce, désirait être davantage identifiée comme un centre d’art contemporain. J’ai ainsi réalisé la fresque Art is Essential sur le mur extérieur du bâtiment. À cette occasion, j’ai rencontré Églantine Pacquot, responsable du pôle Arts & Patrimoine, qui, en accord avec la politique de la ville, souhaitait s’ouvrir à l’Art Urbain qui repoussent les limites de l’art contemporain. Et lorsqu’elle m’a proposé ce projet d’exposition il y a deux ans, j’ai évidemment accepté.

As-tu eu carte blanche ?
Absolument. C’est d’ailleurs la première fois qu’un artiste peut intervenir sur les murs ; j’ai promis néanmoins d’aider les services techniques à remettre le lieu en état [rire].

Quel thème as-tu choisi de développer ?
VHS, acronyme de Very High Sensitivity renvoie aux cassettes vidéo et parle d’une époque, celle des années 1980-1990, à travers son esthétisme, ses références et le traité de l’image. Je me suis notamment intéressé aux altérations vidéo des bandes analogiques inhérentes à ce support.

Certaines pièces traitent de sujets qui me fascinent, m’amusent, m’interpellent ou me choquent, et sur lesquels je porte un regard parfois humoristique, parfois grinçant, voire cynique.

motte

Est-ce une évolution de ta série Glitch ?
Effectivement. Mais alors que le Glitch appartient plutôt à l’ère numérique, je le confronte ici aux altérations analogiques. Sur toile, mixant aérosol, acrylique, encre…, je retranscris, avec mon traité pictural habituel, les dégradations physiques liés aux support VHS : déformations, altérations, bugs d’image… jusqu’au décalage de couches RVB.

Comment as-tu procédé ?
À la base, il y a un dessin en noir et blanc que je mets en couleur puis que j’altère sur ordinateur. Je décale ainsi les couches RVB selon une fréquence choisie, avant de transformer ces couleurs, cherchant des nuances plus pop, plus criardes : des rouges deviennent roses, des verts turquoises… Je m’écarte ainsi de la pure synthèse des couleurs, afin de gagner en lisibilité et de trouver un bel équilibre. Je reproduis ensuite sur toile cette esquisse numérique qui n’a servi qu’à cette recherche.

Tu as également travailler la typographie…
Venant du graffiti, le travail de la lettre, de la typographie en général, est dans mon ADN. Ainsi, pour certaines pièces, les mots appuient le propos, d’autres sont un point d’entrée ou encore une clé de compréhension. En les travaillant dans une typo impactante, en corrélation avec les éléments graphiques – personnages, motifs, fond… –, l’idée est d’offrir aux spectateurs des pistes de réflexion au-delà de l’esthétisme du visuel proposé, qu’il voit plus loin que la jolie fille en maillot de bain.

Combien de pièces pourra-t-on découvrir ?
Plus d’une vingtaine de toiles ainsi que des digigraphies. Je présenterais également une des pièces réalisées avec la maison d’édition en broderie Vangart. Un travail passionnant au regard de mon passé de styliste coloriste. Je n’ai d’ailleurs pas hésité à me rendre dans leur banque de tissus pour en choisir quatre, chacun servant à la réalisation de cinq œuvres. Pour corser la chose, j’ai ajouté une sérigraphie, différente par le dégradé, sur chaque tissu. Après le travail de broderie, je rehausserai à la main ces 20 pièces… finalement uniques. Enfin, un quadriptyque de 8 x 2 mètres réalisé in situ, ouvrira l’exposition. On y retrouvera la thématique et les séries présentées. Cette œuvre d’appel permettra de plonger d’emblée le visiteur dans la scénographie que j’ai imaginé, tout en rythmant le parcours.

Depuis quand travailles-tu sur cette exposition ?
Depuis janvier 2023, quand j’ai réalisé les premières recherches, les premiers croquis et commencé à réfléchir à la scénographie, en tenant compte des contraintes du lieu, le centre d’art Jean Prouvé étant un bâtiment classé, accueillant la collection permanente [les œuvres de Kim en Joong, NDLR] qui doit rester visible. J’ai d’ailleurs imaginé le quadriptyque monumental pour faire résonner cette collection avec ma proposition artistique.

A travers le thème de l’exposition, tu abordes différents propos…
Effectivement, certaines pièces traitent de sujets, plutôt d’actualité, qui me fascinent, m’amusent, m’interpellent ou me choquent, et sur lesquels je porte un regard parfois humoristique, parfois grinçant, voire cynique, sans pour autant me poser en donneur de leçon ! D’autres, plus intimes, livrent des moments de mon vécu personnel.

Qu’est-ce qui t’amuse et te fascine ?
La « folie » autour des réseaux sociaux par exemple, notamment la course à l’audience dans Notoriety Scavenge, où un auto-stopper sur le bord de la route cherche 100k followers ; la certification Instagram dans Data Taming, où un dompteur tente de soumettre le badge convoité ; les singeries des influenceuses et de leurs unboxings dans Influencer…

Et ce qui t’interpelle, qui te choque ?
Les donneurs de leçons sur l’écologie que j’ai pu croiser cet été en Corse, entre celui qui enorgueillit d’avoir installé un tri-compost chez lui mais qui prend son 4 x 4 pour rejoindre une petite crique sauvage, et celle qui s’émeut du réchauffement climatique mais qui se fait rôtir au soleil. Plus choquant, les panneaux « Voisins Vigilants » qui fleurissent un peu partout en France. Ce gros œil noir sur fond jaune m’évoque foncièrement les milices fascistes – et l’on sait où cela a conduit – ou, plus proches de nous, les rednecks, ces américains blancs, armés et racistes. Sur la toile, cela s’est traduit par cette voisine, à l’air plutôt sympathique, surveillant ses voisins coiffée d’une casquette SS.

Un travail sur l’absurde ?
Absolument ! L’absurdité de la pensée actuelle humaine m’intéresse.

Et une prise de risque, comme avec chacune de tes séries ?
Je n’aime pas m’enfermer dans une routine et j’apprécie les challenge. Pour autant, il existe une logique dans mon travail, les séries n’étant pas déconnectées les unes des autres. Elles se nourrissent tant sur le fond que sur la forme et m’ouvrent de nouvelles perspectives, font naître de nouvelles idées. Certaines que je garde en réserve depuis plusieurs années d’ailleurs, comme le volume et la sculpture, par manque de temps.

Que proposeras-tu comme scénographie ?
De belles surprises autour de la thématique !

Peux-tu nous donner des indices sans tout dévoiler ?
Télévision cathodique, système de colorimétrie RVB, couleurs criardes… [rire].

Bien qu’il s’agisse d’une exposition muséale, peut-on acquérir les œuvres ?
Oui, mais le musée ne s’occupe pas de la vente. Le musée peut fournir la liste des prix aux visiteurs qui, si ils sont intéressés, contactent la galerie Christiane Vallé.

Comment te sens-tu à la veille de cet évènement ?
Comme un gamin qui déballe ses cadeaux de Noël, je suis extrêmement heureux de présenter mon travail dans un centre d’art contemporain, une étape supplémentaire et une reconnaissance gratifiante en tant qu’artiste issu du Street Art. Cette exposition prouve que les mentalités évoluent et que certains personnes à la tête d’institutions culturelles ne nous regardent plus comme des pestiférés. Aux visiteurs de juger…

À voir
« VHS »

Du 15 décembre 2023 au 15 mars 2024
Du mardi au dimanche, de 14h à 18h, samedi de 10h à 12h30 et de 14h à 18h
Centre d’art Jean-Prouvé
19 rue du Palais 63500 Issoire
issoire.fr/centre-dart-jean-prouve

Motte : motte-artist.com
Instagram : @mottemicmac