Galeriste aÌ Paris, Londres et Shanghai, mais aussi auteure dâune anthologie, commissaire dâexposition – notamment de Street Generation(s) aÌ Roubaix -, directrice artistique de la Villa Molitor… Magda Danysz multiplie les projets pour promouvoir lâArt Urbain.
Dans sa galerie parisienne, elle preÌsente le travail dâartistes urbains comme Obey, Vhils ou JR, mais aussi de la plasticienne Prune Nourry, du photographe Erwin Olaf, du peintre chinois Chen Yingjie… Car si le Street Art demeure son amour de jeunesse, Magda Danysz sâattache avant tout aÌ deÌfendre les artistes, en dehors de toute chapelle.
Comment eÌtes-vous devenue galeriste ?
Jâai ouvert ma galerie aÌ 17 ans. AÌ cet aÌge, on reÌfleÌchit moins quâon agit. Cela sâest donc fait treÌs naturellement, aÌ lâinstinct. Jâavais cette ideÌe en teÌte depuis lâadolescence. Dâune part, je pensais que cela serait facile, parce que je viens dâun milieu artistique, ma meÌre eÌtant artiste. Grave erreur ! Ce nâest pas parce que lâon a des parents artistes que lâon comprend quoique ce soit au marcheÌ de lâart. Jâavais neÌanmoins cette illusion. Dâautre part, il y a des rencontres deÌterminantes, comme celle avec le marchand dâart new-yorkais LeÌo Castelli, qui mâa beaucoup inspireÌ et beaucoup encourageÌ aÌ commencer jeune, parce que câest « le meÌtier dâune vie », lui eÌtant alors aÌ la fin de sa vie. Certaines personnes aÌgeÌes deviennent Tatie Danielle ; dâautres sont heureusement dans la transmission.
DâouÌ vient votre inteÌreÌt pour lâArt Urbain ?
TreÌs toÌt, ce sont les rencontres avec les artistes, en particulier avec ceux lieÌs aÌ lâArt Urbain, meÌme si le terme nâexistait pas encore, notamment JayOne, Ash et Skki qui formaient les BBC (Bad Boys Crew) aÌ lâeÌpoque et ont deÌfricheÌ, au sens propre, le quartier de Stalingrad. DeÌfendre lâArt Urbain a eÌteÌ la principale raison dâouvrir une galerie. Je ne comprenais
pas, avec mon cerveau dâadolescente, pourquoi le graffiti, qui fleurissait partout en cette fin des anneÌes 1980, nâeÌtait pas dans le milieu artistique. Il fallait que je trouve un moyen de participer aÌ ce mouvement. NâeÌtant pas artiste moi-meÌme, la moins mauvaise ideÌe que jâai trouveÌe câeÌtait galeriste.
En 30 ans, les choses ont-elles beaucoup changeÌ ?
Oui. Dâabord, dâun point de vue artistique, elles se sont beaucoup eÌtoffeÌes. On aurait pu en rester au graffiti mais il y a eu plusieurs reÌvolutions et câest extreÌmement inteÌressant. La sceÌne française, et on peut sâen feÌliciter pour une fois, a joueÌ un roÌle majeur, avec des artistes comme Lokiss qui ont mis aÌ mal le lettrage basique new-yorkais. Et la reÌpression a motiveÌ davantage les artistes aÌ expeÌrimenter encore et encore. Je ne sais pas si le collage aurait eu autant de succeÌs sâil nây avait pas eu cet aspect. Jâai entendu beaucoup dâartistes, graffeurs et pochoiristes, me dire : « Je nâai pas envie de passer encore une nuit au poste. Cette fois, je preÌpare tout aÌ lâavance ! ». Cela a permis de deÌvelopper de nouvelles pratiques aÌ un moment ouÌ le copy art sâeÌtait effondreÌ.
La perception de lâArt Urbain a-t-elle eÌvolueÌ ?
Par le public, certainement. Il nây a pas un mouvement artistique au monde dont 90% des gens dans la rue connaissent lâexistence. Si jâeÌvoque lâart minimal avec ma boulangeÌre, je ne vais pas susciter beaucoup de reÌaction. En revanche, le Street Art, tout le monde sait ce que câest. Le tsunami de la reconnaissance par le grand public a ainsi eu lieu. Au niveau des institutions, je serai plus prudente…
Peut-on encore parler de mouvement Street Art ?
Je pense que oui, meÌme si je ne suis pas totalement affirmative. Cela reste un mouvement artistique… meÌme si jâai envie de lui accoler en « s » tant il y a de choses qui se passent, encore maintenant. Je suis stupeÌfaite de voir des artistes renouveler la pratique. NeÌanmoins, en terme de mouvement intellectuel, il y a une histoire, une eÌcole, des valeurs, des codes, des techniques, un vocabulaire. Que les artistes soient dâaccord ou pas, quâils se revendiquent du mouvement ou non, tout est laÌ. Peut-eÌtre que ce nâest plus un mouvement et que câest devenu une culture.
Quelles sont les diffeÌrences entre lâArt Urbain et lâart contemporain ?
Jâaimerais quâil nây en ait pas ! Quelques galeristes et critiques dâart ont compris quâil se passait quelque chose maisilyenaeu,etilyenaencorebeaucoup,aÌqui cela ne parle pas du tout. Pour plusieurs raisons… Parce que ce nâest jamais plaisant de se dire quâun train est passeÌ et que lâon nâest pas monteÌ dedans, mais aussi parce quâil y a eÌnormeÌment dâartistes dits urbains. Je peux comprendre quâil est difficile dâentrer reÌellement dans lâoffre et dâavoir un veÌritable discours critique sur la valeur artistique. Il est plus simple de se cantonner aÌ rejeter des pratiques jugeÌes amateures.
Est-ce important de faire sortir les artistes de lâunivers du Street Art ?
Je fais partie de ceux qui nâaiment pas trop ce terme, treÌs galvaudeÌ. Avant tout, on parle dâartistes. Dâailleurs, aÌ la galerie, la programmation dâArt Urbain ne repreÌsente que 30%, et jây tiens. Je veux que ces artistes soient reconnus comme des artistes aÌ part entieÌre. Dans lâArt Urbain, il faut trouver son propre style. Câest meÌme lâun des fondements car copier est treÌs mal vu. Il y a donc la meÌme volonteÌ creÌatrice que dans lâart contemporain. Jâaimerais que lâon puisse ne plus ghettoiser la pratique du Street Art… Heureusement, il y a des gens qui partagent mon avis.
Comment expliquer lâimportante diffeÌrence de prix entre les Ćuvres dâArt Urbain et celles dâun art contemporain plus reconnu ?
Le marcheÌ nâest pas lâart, ce sont des aspects bien distincts. Maintenant, il est vrai que câest hallucinant de voir que meÌme les fondateurs de lâArt Urbain sont totalement sous-coteÌs. Rares sont les artistes qui deÌpassent les 100.000 euros, voire les 50.000, ce qui, sur le marcheÌ de lâart contemporain, est freÌquent, meÌme par des artistes dont personne ne connaiÌt le nom. Pour autant, je ne suis pas suÌre que ce serait une bonne chose si le marcheÌ sâemballait, au risque de conduire aÌ une production de moindre qualiteÌ.
LâArt Urbain est-il un bon investissement pour les collectionneurs ?
Je ne suis pas Madame Soleil et je ne vends pas de retour sur investissement. Cela eÌtant, si on acheÌte dans cet esprit, il faut se poser la question de savoir quels seront les 5, 10, 20 ou 50 artistes urbains qui resteront. Et ça…
Ne pas connaiÌtre la reÌponse parce que ce mouvement est encore en construction, nâest-ce pas ce qui est beau justement ? NeÌanmoins, plus les anneÌes passent, plus on se rend compte que lâhistoire sâeÌcrit. Il y a dix ans, dans le Top 10, vous et moi aurions peut-eÌtre citeÌ 4 ou 5 noms en commun. Aujourdâhui, la plupart des connaisseurs sâaccordent sur 7 ou 8 artistes incontournables.
Vous avez deÌcouvert Shepard Fairey ou JR bien avant quâils soient reconnus. Avez-vous un secret ?
Avant meÌme de travailler avec lui, je disais aÌ JR, que je connaissais deÌjaÌ : « Tu sais, jâai eu beaucoup de chance de rencontrer Shepard Fairey. Pour un galeriste, voire un artiste exploser apreÌs lâavoir exposeÌ, cela nâarrive quâune seule fois ». Quand jâai preÌsenteÌ son travail, lui aussi a connu un grand succeÌs. Il sâest passeÌ la meÌme chose avec Vhils. Câest pour cela que lâon fait ce meÌtier. Je ne suis pas une treÌs bonne marchande, ce nâest pas mon moteur. Ce qui me motive, ce sont les rencontres.
Parmi vos artistes, y a-t-il des peÌpites aÌ deÌcouvrir ?
Quelquâun comme Felipe Pantone repousse 8 certaines limites. Ce nâest pas moi qui le dit, mais il deÌpasse un peu tout le monde. Nous exposons en ce moment Icy et Sot, deux artistes iraniens, deux freÌres, qui sont treÌs acclameÌs par les connaisseurs alors quâils commencent aÌ peine. Ils apportent une touche politique puisquâils ont quitteÌ leur pays pour se reÌfugier aux EÌtats-Unis. Au-delaÌ de ce coÌteÌ activiste, leur travail est aussi extreÌmement poeÌtique. Ils reÌalisent des installations urbaines, en repoussant eux aussi les limites de ce que lâon connaiÌt depuis 40 ans.
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans lâArt Urbain ?
Il y a en treÌs peu, trop peu, en effet, et pourtant, on les cherche ! Je pense que ce nâest pas speÌcifique aÌ lâArt Urbain ; câest aÌ peu preÌs la meÌme proportion dans lâart contemporain, pour les meÌmes mauvaises raisons. En tout cas, ce nâest pas suffisant. Ce qui est amusant, câest que, quand Yz a deÌbuteÌ il y a quinze ans, beaucoup pensaient que câeÌtait un homme. Maintenant quâelle peint des femmes et que son travail est plus poeÌtique, cela se sait davantage.
Vous avez une galerie aÌ Londres. LâArt Urbain est-il diffeÌrent de lâautre coÌteÌ du channel ?
Câest similaire parce quâil y a eÌnormeÌment de personnes qui sây inteÌressent. Mais chaque sceÌne a ses speÌcificiteÌs. Le succeÌs de Bansky a susciteÌ une reÌsurgence, si ce nâest du pochoir en tant que technique, de lâinspiration pochoiriste. Par ailleurs, tout ce qui est eÌdition fonctionne mieux aÌ Londres et suscite un veÌritable engouement. Et cela a donneÌ aux artistes dâautres pratiques, par exemple dans lâaffiche. Câest assez eÌtonnant, dâailleurs. En France, je suis treÌs old school sur le sujet. Si lâeÌdition est une chose rare, cela reste inteÌressant…