Accessibles, les œuvres de Millo ne sont pas pour autant inoffensives. Par leur pouvoir évocateur, leur dimension scénique et leur force émotionnelle, elles soulignent, interrogent avec acuité et pertinence notre contemporanéité.
Dorothy Circus Gallery : dorothycircusgallery.com
Millo : millo.biz
Instagram : @_millo_
Ancrés dans un paysage urbain au décor architectural austère, anonyme et reproductible, les personnages surdimensionnés de Millo rêvent, imaginent, jouent, se souviennent… en un mot vivent ! Derrière cette apparence que l’on pourrait croire simpliste, les sentiments – l’amour, l’espoir, la crainte, la mélancolie, le doute… – qui animent l’artiste et chacun d’entre nous se révèlent pudiquement. Dans l’intensité du noir et blanc apparaît l’éclat lumineux des couleurs, véritable mise en exergue du message qui s’offre alors au regard. L’acuité avec laquelle l’artiste représente notre monde contemporain nous invite ainsi à faire « un pas de côté », décalant notre perception du quotidien mais aussi des événements qui ont impacté l’histoire récente, comme pour nous rappeler la fragilité, mais aussi la résilience des êtres humains.
Votre style et votre univers artistique sont singuliers (personnages surdimensionnés dans un environnement urbain, figures faites de traits noirs et blancs ponctués de couleurs vives, décalages de proportions…). Quand et comment se sont-ils imposés ?
Depuis mon enfance, j’ai toujours eu cette urgence d’exprimer par le dessin mes sentiments. En grandissant, ce qui devait rester un passe-temps a pris le dessus. J’ai d’emblée créé arrière-plans et personnages, afin qu’ils s’inscrivent dans un contexte contemporain. La ville et son chaos, décors du mode de vie actuel, sont ainsi devenus le cadre idéal pour eux. Je les vois comme une représentations d’êtres qui se sentent la plupart du temps si petits, « hors d’échelle » dans les mégalopoles d’aujourd’hui. Et j’ai inversé la perspective pour en faire des géants capables de force et de faiblesse.
On vous connaît pour vos peintures murales à grande échelle. Comment est née cette pratique et comment s’est-elle imposée à vous ?
C’est arrivé par hasard… J’ai d’abord commencé à peindre sur d’autres supports que les murs. Un jour, j’ai juste eu envie d’essayer. J’ai ainsi réalisé ma première fresque il y a près de quinze ans et, immédiatement, j’ai su que le mur était ma surface préférée. Sur toiles, le sentiment de paix que j’éprouve ne dure que le temps de création. Sur un mur en revanche, ce sentiment se prolonge bien plus longtemps. En outre, par ses dimensions, il me permet de développer davantage mes idées. Autant de raisons pour lesquelles je n’ai jamais cessé de peindre des fresques.
Vos personnages, qui sont-ils ? Et que racontent-ils ? En quoi sont-ils universels ?
Je considère mes personnages, que je crée en m’inspirant de ma vie et de celle de mes proches, comme des acteurs qui incarnent sur la fresque ce que j’ai en tête. Ce sont eux qui donnent vie à mes idées. Beaucoup les voient comme des enfants, certains comme des extraterrestres, mais pour moi, ils représentent la partie la plus pure de nous-mêmes, celle qui n’a pas oublié de s’émerveiller ou de se laisser surprendre.
Comment travaillez-vous le contraste entre le noir et blanc et la couleur ? Quelle en est pour vous la signification ?
J’ai longtemps considéré le noir comme une réponse à mon besoin urgent d’expression. C’est donc en noir que je me suis d’abord exprimé puisque travailler avec une seule couleur m’offrait la rapidité que je souhaitais. Puis, petit à petit, j’ai ressenti le besoin d’ajouter d’autres couleurs pour souligner davantage les messages que je souhaitais transmettre à travers mon travail. Aujourd’hui, je crois avoir trouvé l’équilibre entre le noir, le blanc et les couleurs.
5. An open door, 2022, France.
Vos œuvres, outre embellir l’espace urbain, portent-elles systématiquement un message, même si chacun est libre de son interprétation ?
Au début de ma carrière, je n’avais pas envie de donner mon point de vue aux spectateurs. J’avais une façon très minimaliste d’exprimer ce que j’avais en tête. Surtout, je n’étais pas conscient de la puissance d’une fresque murale. Certaines fresques ayant fait l’objet d’interprétations dystopiques, j’ai pensé que ce serait une bonne chose d’en dire plus sur chaque œuvre, sur les raisons qui me poussent à les faire et sur l’idée qui se cache derrière. Pour autant, j’aime le fait que chacun soit libre de les interpréter comme il le souhaite et j’espère que chacun le fasse. C’est à mon avis la raison d’être de l’art.
Est-ce vos études d’architecture qui vous valent un sens aigu de l’espace et de l’urbanisme ?
Je ne peux nier que mes études d’architecture ont eu un impact sur ma vie et mon travail. Elles m’ont notamment aidé dans la composition esthétique. Ce n’est un secret pour personne que, dans mon labyrinthe de rues et de bâtiments, se cache une critique contre l’aménagement urbain et les problèmes qu’il engendre, quelles que soient les villes du monde, des lieux qui ne sont pas à l’échelle humaine, d’où il est difficile de sortir.
7. When we thought we could fly, 2023, acrylique sur toile, 120 x 100 cm.
Quels sont les défis que vous devez relever pour travailler à une aussi grande échelle ?
Au regard de leurs dimensions, la réalisation de ces fresques est toujours un défi, à commencer par les efforts physiques que cela demande. De même, travailler en extérieur signifie être systématiquement exposé aux conditions météorologiques. À chaque fois, je dois utiliser différents outils, peintures et matériel. Ce ne sont que des problèmes de logistique. Une fois sur place, je dois trouver le bon état d’esprit : comprendre où je suis et ce que je fais, penser à ceux qui devront vivre avec l’œuvre tous les jours et savoir ce que je souhaite laisser à cet endroit.
En quoi vos peintures murales modifient-elles la perception des immeubles sur lesquels elles prennent place ?
Vous n’imaginez pas le nombre de fois où il m’est arrivé d’entamer une conversation avec une personne déclarant : « Avant votre peinture, je n’avais pas remarqué que ce mur était là ». Nous sommes habitués à ce que j’appelle les aberrations architecturales et, en choisissant de travailler dessus, je les mets en quelque sorte en lumière. Je laisse les gens les voir tout en modifiant leur perspective, leur point de vue : au lieu d’un mur aveugle, ils découvrent un dessin qui parle à tout le monde. Je ne peux pas changer ce qui a été construit sans aucune considération humaine, mais j’essaie d’en donner une vision différente.
Comment s’inscrit votre pratique d’atelier dans votre recherche picturale ?
Si mon style reste le même, sur toile, je peux approfondir des thèmes et des sujets qui seraient difficiles à aborder et même à réaliser sur un mur. De même, sans limite de temps, le travail sur toile me permet d’améliorer mes compétences, d’essayer de nouvelles choses… ce qui est impossible sur un mur.
À quand un solo show de Millo en France ?
Bientôt, j’espère, même si aucune date n’est aujourd’hui fixée.
Quels sont vos projets ? Vos prochains défis ?
D’ici la fin de l’année, je dois réaliser plusieurs fresques avant de me consacrer au travail d’atelier et à d’autres projets et productions parallèles.