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Rencontre

Monsieur Lebleu : une addiction qui fait du bien

Son univers pop et coloré, ses créations ludiques et originales, sa manière d’aborder des sujets profonds avec légèreté… cet artiste inclassable pourrait bien nous rendre tous accros !

Parcours original pour cet artiste atypique que rien ne prédestinait à le devenir. Vincent Bertoncini, aka Monsieur Lebleu, n’a jamais été franchement dans la norme, que ce soit lors de ses études orientées « digital web », dans son association de création graphique qui collaborait avec des rappeurs – la musique de sa jeunesse – puis dans le groupe Publicis, comme directeur artistique. Le fil rouge ? Un constant désir de création qui ne pouvait que le conduire à franchir le pas d’une démarche artistique protéiforme.

Comment as-tu commencé à peindre ?
Un jour, en 2019, en rentrant chez moi, devant un mur blanc, je me suis dit que je n’avais pas envie d’y accrocher le travail d’un autre ! J’ai acheté ma toute première toile, des bombes et je me suis lancé. J’ai peint un premier tableau, puis un deuxième, un troisième… et j’ai commencé à montrer mon travail, une petite expo dans un bar. Cela a bien fonctionné et j’ai eu envie de continuer.

Pourquoi la bombe alors que tu ne viens pas de la culture graffiti ?
Tout simplement parce que, dès le début, je voulais utiliser des couleurs fluo. Je suis marqué par les années 1980 [rires]. En outre, j’avais en tête de jouer avec l’éclairage, que les gens découvrent sous la lumière noire une œuvre différente de celle qu’ils voyaient le jour.

Comment as-tu trouvé ton style ?
Il y a des influences évidentes, les comics, le Pop Art… J’aime bien Roy Lichtenstein, certains codes graphiques comme les patterns se retrouvent encore dans mon travail, même si j’essaie de m’en détacher pour affirmer ma propre identité. Je sais que je ne suis pas un grand dessinateur, je ne saurais pas faire de portraits hyperréalistes. Mais – et c’est un retour qu’on me donne souvent –, j’arrive à marier les couleurs entre elles et les assemblages que je choisis fonctionnent plutôt bien.

Tu aimes aussi travailler sur le relief…
C’est peut-être mon passé digital, j’aime la technologie et je suis fan de la découpe laser. Cela ne se voyait pas sur mes premières toiles, mais dès mes débuts, j’ai cherché dans cette direction et j’avais une idée de là où je voulais aller. Plus le temps passe, plus j’essaie de travailler en volume. Je ne dispose pas encore de tous les moyens pour les mettre en œuvre, mais j’ai plein d’idées pour des installations, des œuvres interactives qui puissent changer en fonction de l’humeur et des envies des spectateurs… J’avance un peu au hasard, mais, au final, c’est une démarche néanmoins très construite.

Est-ce dans cet esprit que tu t’es imaginé comme une « marque » ?
Cela vient de mes années Publicis, sans doute. J’ai très vite trouvé un logo, une identité. Même si mon nom d’artiste n’a pas une grande histoire puisque je l’ai emprunté à un personnage d’une mini-série policière burlesque, Le p’tit Quiquin, un gars tout maigre, tout chauve. Mes potes m’ont surnommé ainsi et je me suis dit que j’allais le garder. C’est rigolo, plein d’autodérision, et cela va bien avec le côté coloré de mes toiles.

Est-ce aussi ton expérience de la pub qui te conduit à avoir une approche plus orientée « produit », peu courante dans le monde de l’art ?
Sûrement, mais également l’envie de faire partie du quotidien. Je viens d’un milieu modeste ; j’ai grandi dans une cité. Avec mes potes, on regardait des œuvres, on les trouvait belles, mais on ne pouvait pas se les offrir. C’est pour cela que je propose des prints, toujours sur un papier de qualité, que je rehausse à la bombe pour en faire des œuvres véritablement uniques à des prix accessibles. Les collabs avec des marques, comme LeeCooper ou les sacs Cabaïa – je ne démarche pas, on est toujours venu me chercher – sont dans le même esprit : entrer dans la vie des gens. Dans le même esprit, je porte un soin particulier au packaging et aux goodies, comme les porte-clés avec ma signature. Pour moi, c’est important que, lorsque quelqu’un achète quelque chose, il ait du plaisir rien qu’en regardant le paquet.

Comment trouves-tu ton inspiration ?
Le premier tableau que j’ai réalisé parlait d’une histoire personnelle, la mort de mon père qui m’avait beaucoup marqué à l’époque. Peindre m’a permis d’en parler et de me guérir un peu, comme souvent avec l’art. Ensuite, j’ai cherché le moyen d’aborder des sujets assez graves touchant aux relations humaines d’aujourd’hui – j’y suis très sensible –, marquées notamment par les réseaux sociaux, tout en gardant ce côté pop, coloré, disons un peu ludique et joyeux. C’est comme ça que j’ai commencé à peindre des yeux – symbole de la perception des autres et de soi-même sur les réseaux – et des bouches, pour illustrer les changements dans notre manière de nous exprimer.

Et pour ta dernière série autour des addictions, Lebleu Treatment ?
Au début, ce sont ces pilules – des gélules homéopathiques –, qui m’ont inspiré. Je cherchais comment les exploiter, visuellement et matériellement. C’est un élément graphique qui a déjà été traité par beaucoup d’artistes et je souhaitais trouver une approche originale. L’angle du traitement par rapport à nos addictions, quelles qu’elles soient, s’est rapidement imposé, ainsi que le rapport de celles-ci avec notre environnement numérique. Être constamment derrière un écran a profondément modifié notre façon de nous rencontrer, de nous jauger, de nous juger. Mais j’essaie réellement de ne pas être toujours négatif, parce que ce n’est pas toujours le cas. De toute manière, c’est le monde dans lequel nous vivons, nous n’avons pas le choix, nous sommes obligés de faire avec.

Avec ce travail, tu veux aller au-delà d’une seule série ou d’une seule exposition…
L’idée, c’est de créer un projet global qui puisse toucher un grand nombre de personnes parce qu’il y a un véritable intérêt social. C’est pour cela que la première exposition s’est intitulée « Chronic 01 ». L’idée est de traiter une addiction différente par « chronique », avec une nouvelle exposition à chaque fois. Pour cette première édition, le sujet était « Love, social et synthèse ». Par la suite, on pourra parler du jeu, du sport… des thèmes pour lesquels les réseaux sociaux jouent un rôle. Ce sont eux le fil conducteur, parce qu’ils ont vraiment changé notre vie. J’ai aussi l’idée de sortir un ouvrage qui soit à la fois un livre d’art et un recueil de témoignages de personnes qui parleraient de leurs addictions.

Est-ce important pour toi de passer un message ?
J’ai rarement fait des prods qui soient uniquement graphiques ou esthétiques. J’ai envie d’aborder des sujets disons sociétaux ou, du moins, humains, mais pas d’une manière rébarbative. Ce qui m’intéresse, c’est que l’on trouve mon travail cool, coloré, attractif, mais aussi qu’il puisse interpeller, faire réfléchir. Pour moi, c’est vraiment l’esprit du Pop Art, que beaucoup ont perdu de vue. Quand j’explique de quoi mes œuvres parlent, le regard change. Cela me touche vraiment, personnellement. Lors de ma dernière exposition sur ce thème, certains visiteurs, des personnes que je ne connaissais pas, se sont livrés, racontant des choses très personnelles…

Tu n’as jamais songé à travailler dans la rue ?
Comme je n’ai pas d’atelier, il m’arrive parfois de travailler dehors, quand le temps le permet. C’est intéressant de voir les réactions de gens qui ne sont pas là pour « voir de l’art » comme dans un musée ou une galerie. J’ai beaucoup traîné avec des graffeurs mais je n’ai jamais été attiré par le graffiti pur. À une époque, je collais des petites bouches découpées sur les murs, mais j’ai arrêté parce que cela me revenait trop cher [rires]. J’aimerais bien y revenir, toujours avec des petits formats, comme un clin d’œil. J’ai aussi détourné des panneaux de signalisation que je transformais en donuts [rires]. Les fresques me tentent bien, on m’a d’ailleurs proposé de peindre une colonne au Spot 13 à Paris. C’est sans doute une de mes forces, ce que je fais peut se décliner, aussi bien sur une toile, un mur, un coussin ou un blouson.

À voir
Monsieur Lebleu : @monsieur_lebleu