Menu
Rencontre

MOTTE : une énergie créative visuelle et narrative

Au-delà de l’esthétique visuelle colorée riche d’émotions, Motte parsème ses œuvres d’une narration allégorique à travers des compositions qui feuillettent le temps.

Motte : @mottemicmac

Féru de culture populaire, récente ou non, mais biberonné à la peinture classique, Motte s’applique à transcender le pouvoir émotionnel de l’art tout en brouillant les codes. La vivacité des traits et la touche énergique, accentuée par une lumière remarquable, offrent d’emblée une forte émotion… qui se prolonge et s’accentue au fur et à mesure que s’imposent les éléments de la composition. La narration se dévoile alors, accessible ou complexe, mais toujours précieuse puisqu’elle questionne, amuse, souligne… Ce rapport étroit entre l’émotion par l’image et la communication visuelle qu’instaure Motte et qui définit son style rend ses œuvres singulières, faisant glisser l’expérience esthétique dans le monde des idées. Un vrai bonheur !

Est-ce vrai que, tout petit, tu reproduisais des œuvres classiques et des bandes dessinées ?
C’est vrai, avec de la gouache, des feutres… tout ce qui me tombait sous la main. J’avais déjà une certaine attirance pour les arts plastiques. Ma grand-mère me donnait des crayons pour m’occuper, tout comme mes parents, une façon pour eux d’avoir la paix [rire]. J’ai mis le doigt très jeune dans la bande dessinée et me suis amusé à reproduire ce que je voyais. À la maison, ma maman pratiquant la peinture en amateur, la bibliothèque de mes parents était largement fournie en livres de Beaux-Arts. Souvent très imagés, ils n’étaient pas inabordables pour l’enfant que j’étais. Ma mère m’a également inscrit à des cours de peinture pour adultes, les seuls qui existaient dans les années 80. Comme les grands, j’ai donc reproduit les œuvres classiques. Mais cela me plaisait. J’aimais décortiquer chaque toile, les décomposer pour retrouver la recette utilisée, puis les recomposer. Quand tu reproduis une peinture à l’huile à la gouache, le résultat est toujours un peu bizarre… et pourtant, cela fonctionne [rire]. J’ai d’ailleurs conservé certaines reproductions.

Comment as-tu commencé à graffer et que graffais-tu alors ?
Au lycée, vers 16-17 ans. Moi qui ait toujours été curieux, le graffiti a très tôt attisé ma curiosité par ses gros lettrages, ses lettres déformées, étirées, ses personnages inspirés des comics américains upgradant les lettres, ses couleurs… Et si j’ai de solides bases artistiques classiques, elles sont encore plus imposantes en comics américains, bandes dessinées franco-belges, mangas et compagnie, un pan de culture important pour moi. Voir ces grandes fresques sortir d’un format habituel m’a fasciné. Mes parents habitant à la campagne, j’ai du attendre d’être au lycée pour partir en week-end sur Lyon avec des potes, acheter des fanzines et des bombes dans les premiers bombes shops, s’inventer un crew, se trouver des blazes, styliser ses tags puis vandaliser les murs, les bâtiments publics… [rire]. Avec peu d’argent de poche, il fallait aller à l’économie d’où le tag et le flop. Très vite néanmoins, je me suis davantage intéressé aux personnages, prenant plaisir à compléter les lettrages de mes potes.

Qu’est-ce qui t’a mené vers les Beaux-Arts et les Arts Appliqués ?
Mon parcours artistique… J’ai donc intégré les Beaux-Arts, même si je n’ai pas fini la première année, dans la même promo que Pitr, déjà très actif sur Lyon et Saint-Étienne avec les KNX et les OSP, mais aussi les AOT. J’ai alors découvert ce qu’était le vrai graffiti. Avec du recul, je pense que je n’était pas assez mature pour comprendre ce qu’était une pratique artistique et l’expérimentation, travaillant bêtement les exercices des cours sans réellement chercher mon propre style. J’ai réalisé énormément de dessin, appris énormément de techniques différentes…, ce qui m’a donné une solide base technique que j’ai appliquée au graffiti plutôt qu’à une production artistique. À l’époque, le graffiti était pour moi une pratique vandale avec des revendications adolescentes et non un art « monétisable ». Puis, aux Arts Appliqués, j’ai fait la connaissance d’autres graffeurs, notamment ceux du crew RJ, des « trainsites », auquel j’ai très vite adhéré pour leur philosophie. Jusqu’en 2003-2004, ma pratique a ainsi été purement vandale, travaillant des personnages et des illustrations un peu plus construits.

Tu es passé par le stylisme textile, la direction artistique, la direction marketing. La « création » était-elle alors toujours présente ?
Grâce aux Arts Appliqués, j’avais toutes les clés pour réussir dans ce domaine… et aucune idée sur la façon de monétiser le graffiti. N’étant ni rentier ni fils de rentier, je devais travailler. Au-delà, gagner ma vie m’a permis de commencer une véritable pratique artistique, en dehors de mon activité professionnelle, cherchant ce que je pouvais apporter. Je me suis d’ailleurs battu contre moi-même pour trouver mon style, au lieu d’emmagasiner de la documentation et de l’information visuelle pour la recracher bêtement.

Ton style est singulier, à la fois illustratif et narratif. Comment s’est-il imposé ?
Mon style est effectivement empreint d’illustration, avec toujours une narration, qu’elle soit comique ou autre, qui porte sur de grands lieux communs – la vie, le quotidien, les problématiques simples, l’amour, la joie, la peine… et mes névroses personnelles – afin de parler à tout le monde. N’étant pas assez pertinent, sans doute trop sarcastique et peut-être même blessant plus qu’intelligible, je garde les messages politiques pour faire rire les copains. Cela ne m’empêche pas « d’alambiquer » certaines oeuvres pour un second niveau de lecture, avec par exemple des références « à la marge » issues de la Pop Culture passéiste des années 70-80 qui me parlent. Une façon d’amener les gens à découvrir autre chose que ce qu’ils consomment déjà tous les jours. Pour travailler mes séries, j’accumule divers éléments que je mixe jusqu’à trouver un bon compromis. Cela doit me satisfaire tant visuellement qu’au niveau du discours. Issu du graffiti, j’aborde ainsi ma pratique artistique comme un DJ Hip-Hop le ferait, composant mes murs et mes tableaux comme il composerait sa musique : des samples mis bout à bout et transformé, détourné, superposé… pour livrer une composition qui est la sienne.

Tires-tu uniquement tes éléments de la culture populaire des années 80-90 ?
En ce moment, je suis plutôt sur les années 80 début des années 90, mais il m’arrive d’aller chercher des éléments des années 50-60. Par exemple, je suis un passionné de l’illustration publicitaire des années 50, faites par des dessinateurs qui auraient pu faire carrière dans la bande dessinée, l’illustration et même l’art – certains l’ont fait d’ailleurs. N’ayant pas connu cette époque, je me documente sur cette histoire populaire à travers des livres, bandes dessinées, affiches, films – souvent des nanars. J’aime aller piocher dans les séries D, Z, la science fiction, les films d’horreur… Il y a toute une imagerie intéressante et des partis pris artistiques souvent très poussés. Je me nourris également de musique, en essayant de comprendre les problématiques de l’époque à travers les paroles… même si les thématiques abordées sont parfois très légères. Dans mon travail, je trouve intéressant d’aborder des problématiques contemporaines tout en utilisant une imagerie passée mais décortiquée, recomposée, « resamplée ». Il m’arrive aussi de m’inspirer de la culture Pop contemporaine, celle que je consomme tous les jours et assimile naturellement. J’ai vite compris que j’étais quelqu’un de très curieux, un calvaire pour mon entourage [rire].

Alors que tes œuvres ont plusieurs niveaux de lecture, tu sembles attaché à l’esthétique…
Devant une peinture, une photographie, je ne m’attache pas à lire d’emblée le concept ! J’ai d’abord besoin qu’elle suscite une émotion, que ce soit du dégout ou de l’admiration. Ce n’est qu’ensuite que je vais m’y perdre pour l’analyser. Beaucoup de personnes consomment l’art sans faire ce pas supplémentaire, cherchant uniquement l’émotion. Il est assez simple alors de les amener vers une oeuvre par la couleur, la vibration optique, la composition, sans qu’ils y aient besoin d’en comprendre la narration. Ensuite seulement, certains chercheront les messages cachés, se poseront des questions. Mon premier message est donc de les toucher par la couleur… et cela me satisfait pleinement. En revanche, j’ai besoin de raconter une histoire, parfois légère, parfois profonde, sur mon quotidien, celui des autres ou les grandes thématiques humaines et humanistes, grâce à des samples issus de la culture populaire dont la puissance est de parler au plus grand nombre et d’énerver les gardiens du temple. La culture populaire me passionne par ce côté un peu « révolution tranquille » que les « intellectuels » aiment consommer lorsqu’ils ne sont pas dans des soirées mondaines [rire].

Qu’est-ce qui t’intéresse tant dans la culture populaire ?
Elle est très riche, fédératrice… et dérange certains bien-pensants ! Ainsi, alors que le Hip-Hop n’est toujours pas reconnu comme un mouvement culturel majeur, il représente 80% de la musique consommée en France, toutes catégories confondues. À Vichy, avec nos petites expositions Street Art, en un mois nous avons accueilli autant de visiteurs que le musée des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand en 6 mois !

Tu travailles par série. En quoi est-ce important pour toi dans ta recherche artistique ? Et n’est-ce pas « déstabilisant » pour les galeristes et/ou collectionneurs ?
Je travaille par série pour aller au bout de ma recherche sans m’enfermer dans une routine qui me ferait tourner en rond sur les mêmes thématiques, pour ne pas être redondant dans mes propos et, en général, je n’y reviens pas. Je compose ainsi toujours les séries Néons, Glitchs et quelques Bad Cover mais plus aucune Kids Are Back. Et souvent, en parallèlement, j’expérimente de nouvelles idées qui donneront une série… ou alimenteront la corbeille à papier [rire]. Cela peut être déstabilisant pour les galeristes et collectionneurs, mais c’est un risque que j’assume. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai choisi de présenter sur District 13 ma nouvelle série Glitch en live painting. Il est important pour moi de me confronter au public pour connaître son ressenti. J’aime savoir ce que cela lui évoque, si ça lui parle… et en tirer des leçons. Les émotions que suscitent des œuvres artistiques, qu’elles soient cinématographiques, musicales ou autre, m’ont toujours interpellé, passionné. C’est la raison pour laquelle je suis à la fois consommateur de culture… et « producteur » [rire].

Aujourd’hui, tu partages ton temps entre travail d’atelier et fresques murales. Est-ce la même démarche ? Le même travail ?
J’essaye le plus possible de lier les deux, cherchant la plupart du temps une connexion entre l’atelier, donc un travail de peinture plus « classique », et les murs. Ainsi, une de mes dernières fresques de 10 x 15 m, un néon géant fait à Aurillac, est un élément de la série Néons mais en format mural. Sur les murs, j’utilise les bombes solvantées, mon outil de prédilection, et l’airless pour les gros aplats. Pour les détails, j’emploie des bombes avec réducteurs de pression mais très vite j’attrape les pinceaux afin de réaliser les traits les plus fins. Sur toile, les fonds, les aplats et les effets sont réalisés à la bombe et les détails à l’acrylique et au pinceau. Je suis à l’aise avec pas mal de techniques…

A voir
Galerie Christiane Vallé

15 rue Philippe Marcombes 63000 Clermont-Ferrand
Instagram : @galeriechristianevalle