On n’imagine pas que la perle de la Côte d’Azur soit un spot dynamique de la création artistique urbaine. Comme quoi, il faut toujours se méfier des idées reçues.
Nice est la ville de naissance d’Ernest Pignon-Ernest, qui a d’ailleurs réalisé une superbe statue de la déesse grecque Niké (celle qui a inspiré la célèbre Victoire de Samothrace), installée dans la station de Tramway de la place Garibaldi. Mais c’est loin d’être son seul lien avec le Street Art. Andy Dewet, un vrai « local de la French Riviera », comme il se décrit lui même, a créé Nice Street Art Tour après plusieurs années passées dans l’événementiel. Il propose de visiter sa ville de cœur, avec des promenades de deux ou trois heures à la découverte de plus d’une trentaine de fresques, dont beaucoup sont réalisées par des artistes locaux. « La plupart des participants, qu’il s’agisse de touristes ou de locaux, sont surpris de constater qu’il y a du Street Art dans une ville comme Nice. C’est aussi l’occasion pour les visiteurs de découvrir des zones où ils n’ont pas l’habitude d’aller, comme les quartiers Est, en pleine rénovation ». Car, si l’Art Urbain n’est pas très présent dans le centre-ville, où de très nombreux bâtiments de styles sont classés et où le moindre tag est rapidement effacé par les services municipaux, de nombreux spots autorisés ont vu le jour depuis une dizaine d’années. « C’est un peu le paradoxe de Nice, nous avons ici plus d’œuvres pérennes qu’éphémères ».
Une municipalité impliquée
Les travaux de la ligne 2 du tramway, qui engendrèrent nombre de chantiers et la présence de beaucoup de palissades disgracieuses, ont été le déclencheur du changement. Le délégué à l’art dans l’espace public de l’époque, Robert Roux (devenu depuis adjoint à la culture) a eu l’idée de faire intervenir des Street Artistes locaux. Deux d’entre eux, Faben et Thomas Debatisse aka Otom ont pris l’initiative de créer l’association Whole Street pour structurer le projet dans son ensemble, en partenariat avec la mairie. « Pour Nice, et le département tout entier, c’était du jamais vu, une petite révolution ! Il était nécessaire pour nous, les artistes, de montrer nos talents, notre sérieux et notre capacité à produire des œuvres et des événements de qualité. Nous voulions promouvoir l’Art Urbain dans un territoire où il était encore très clandestin, dans lequel il n’avait pas de place pour exister dans le paysage de carte postale de la Côte d’Azur. À la grande surprise de beaucoup, l’opération Street Art sur les palissades du chantier fut un succès retentissant et les niçois ont plébiscité cette démarche. Depuis lors, nous travaillons en étroite collaboration avec la ville sur de nombreux projets artistiques, à chaque fois un peu plus conséquents ». Ce partenariat inscrit dans la durée a structuré la production artistique, favorisant le développement d’une scène locale dynamique.
4. La Marianne pixelisée de Jen Liller.
5. Coexistence de César Malfi.
Des locaux à suivre
Thomas Debatisse le rappelle, à Nice comme ailleurs, tout a commencé avec les pratiques vandales de crews comme ADN ou HN. « Il est important pour nous de ne pas oublier que l’Art Urbain contemporain n’existerait pas sans la détermination et l’acharnement de ces personnes qui ont pris des risques pour mettre de la peinture sur les murs, pour la simple beauté du geste. À partir des années 2010, une pratique « légale » s’est développée dans les terrains aux abords de la ville, le long de la quatorzième rue de Carros, avec des pionniers comme Pleks, ou sur les hauteurs de Monaco, avec notamment Mr One Tease, qui fut le premier à organiser des grosses productions avec son crew Los Gringos ». Aujourd’hui, la scène urbaine locale, bien qu’encore petite, à bien grandi et, aux côtés des plus « anciens » qui s’exportent ailleurs, comme Faben, une nouvelle génération entre en jeu. « Quelques artistes s’imposent avec un style marquant, comme Artmor1 dont les pochoirs d’enfants, de sages, pris en photo au fil de ses périples, nous font toujours voyager, et qui reste l’un des artistes favoris des niçois. Brian Caddy est sans conteste l’artiste au style le plus inimitable avec ses couleurs vives et son trait faussement naïf. Il réinvente les exercices de style de l’art académique comme les natures mortes avec des couleurs éclatantes, donnant une vibration positive à ses murs. Il vient de terminer une fresque de 15 mètres de haut au profit de Côte d’Azur Habitat, le bailleur social de Nice. Dans le cadre de ce projet, Jen Miller a peint une Pixelated Marianne sur 11 mètres de haut dans le quartier de Bon voyage. La performance de représenter un portrait pixélisé sur un mur aussi grand est incroyable et le rendu est magnifique », souligne Thomas. Quant à Andy, il apprécie les Mangas d’HKA et ne manque pas de citer un autre artiste niçois, très présent dans la ville. « Les fresques de César Malfi sont reconnaissables à leur style classique, entre Antiquité et Renaissance. Il a notamment réalisé une fresque de 50 m2 sur les murs du Château Crémat, l’ancien lieu de villégiature de Coco Chanel, au cœur du vignoble de Bellet ».
7. Anamorphose de Faben.
Murs libres et centre culturel
Dans le cadre du partenariat entre Whole Street et la municipalité, trois murs d’expression libre ont pu être installés en plein centre ville. « Pour faire bouger la scène niçoise, il était vital de créer un lieu à proximité du centre ville, où n’importe qui pourrait venir peindre, s’entraîner, rencontrer du monde, échanger avec les passants, être vu.… Ces lieux ne sont pas des sanctuaires, tout le monde peut y aller, débutant comme confirmé, et peindre s’il le souhaite. Grâce aux murs d’expression libre, nous avons vu émerger des fresques plus poussés, s’éloignant des codes du graffiti, allant vers le pochoir, le réalisme, le collage, l’abstraction, le naïf… », précise Thomas. L’un de ces murs a pris place sur l’enceinte du 109, un pôle dédié aux cultures contemporaines, devenu un bastion de l’Art Urbain. : « Le 109 s’est installé dans les anciens abattoirs de la ville réhabilités. Pour l’anecdote, le père d’Ernest Pignon-Ernest travaillait aux abattoirs. Tous les ans, le 109 héberge le festival Éclairage Public, dont le président pour la 5ème édition en 2021 n’était autre que Speedy Graphito qui, pour l’occasion, a peint des fresques toujours visibles », explique Andy.
D’autres artistes internationaux ont laissé leurs traces, comme Rero, Astro, le néerlandais Shoe, le brésilien Leandro Leite… aux côtés des locaux, toujours très présents. Le Street Art s’étend également jusqu’au port de Nice, au marché aux puces où l’on retrouve C215, Stew, Etnik…, sous différents ponts de la voie Mathis, dans le quartier Fabron, dans le tunnel de la gare SNCF Nice Centre habillé par d’étonnants Regards, sans oublier les façades monumentales commandées par Côte d’Azur Habitat. De nombreuses créations rendent ainsi compte de la diversité et de la richesse des graffeurs Niçois. De quoi satisfaire à la fois les habitants et les artistes, et permettre aux visiteurs de porter un autre regard sur la ville. Thomas Debatisse nous livre même un scoop : « Nous envisageons l’organisation d’un grand Festival d’Art Urbain en 2024, pour continuer à motiver les artistes niçois ! ». À suivre…