Il s’en passe des choses en province ! À Mulhouse, on peut voir des expositions d’art urbain mais aussi des fresques monumentales signées Vinie Graffiti, Seth, Dourone ou Jana & JS. Grâce à cette galeriste qui a une vision très large de son métier.

Orlinda est avant tour une passionnée. Lorsqu’elle n’accueille pas collectionneurs et simples curieux dans sa jolie galerie de Mulhouse, elle organise des projets dans la rue, les musées ou des lieux privés, participe à des foires et des salons en France, Suisse, Belgique et Luxembourg, imagine des objets textiles avec ses artistes… Comme elle le dit elle-même, elle ne se contente pas de vendre des œuvres d’art, elle veut mettre de la couleur dans sa ville et faire découvrir artistes urbains confirmés – OakOak, Shaka, RNST, C215… – et nouveaux talents. Graffeurs, pochoiristes, muralistes mais aussi sculpteurs, affichistes et autres explorateurs de techniques (le « paper cut » d’Aurel Rubbish) ou de supports originaux (les panneaux de circulation de Clet Abraham).

Nous essayons de ne pas être seulement des intermédiaires mais de créer des objets.
Orlinda Lavergne
Comment êtes-vous devenue galeriste ?
J’ai suivi un cursus en art plastique puis je suis passée par différents domaines professionnels. Mais je passais la plupart de mon temps libre à fréquenter les musées, galeries et expositions. Un jour, un artiste assez connu de la région m’a proposé de devenir son agent ; ensuite, j’ai participé à la création d’une galerie associative. C’est donc assez naturellement que le métier de galeriste s’est imposé à moi.

Pourquoi Mulhouse ?
Mulhouse est une ancienne ville industrielle en pleine mutation. Comme toutes les villes textiles, elle a connu l’enfer de la délocalisation mais, aujourd’hui, petit à petit, la cité se reconstruit. Il y a un vrai parallèle entre l’Art Urbain, art post-industriel par excellence, et l’histoire de Mulhouse. En outre, il y a, à Mulhouse, une tradition du mur peint depuis le XVIe siècle, que l’on appelle désormais neomuralisme, mais l’idée reste la même. Voilà globalement les raisons qui m’ont poussée à m’installer ici.


4. Mathieu Questel, Sacheen Littlefeather, huile sur toile en lin, 89 x 116 cm.
Quelle est votre définition de l’Art Urbain ?
Les artistes urbains sont d’abord des artistes qui s’expriment dans la rue, de manière légale ou illégale. Mais leur travail d’atelier, qui est un travail de recherche, est tout aussi fondamental. Ils poursuivent une démarche artistique globale quel que soit le support. À un certain moment, il a fallu identifier ce mouvement et les artistes qui s’y rattachaient pour lui donner de la visibilité et du crédit. Malheureusement, le succès « commercial » de ce mouvement et de ces nombreux artistes dans les années 2000-2010 ont poussé bon nombres de personnes à singer les street artistes en peignant à la bombe, ce qui a fini par galvauder le mouvement originel et à le rendre confus aux yeux du grand public. C’est dommage ! Selon moi, l’Art Urbain a encore du sens car je fréquente des artistes qui ont à la fois un discours et une pratique de la rue.

Vous donnez régulièrement « carte blanche » à vos artistes. Qu’en font-ils ?
Je leur laisse énormément de liberté et, évidemment, ils adorent ça. Charge à moi ensuite de convaincre les collectionneurs, ce qui n’est pas toujours facile ais c’est aussi ce qui fait le sel de ce métier.
Vous définissez votre galerie comme un « laboratoire artistique ». Que recouvre cette expression ?
Comme galeriste, je suis très respectueuse de la liberté des artistes, afin qu’ils puissent aller au bout de leurs idées. C’est en cela que j’aime l’idée d’être un laboratoire. J’ai la chance d’être dans une ville très ouverte aux pratiques artistiques dans l’espace public. Nous avons ainsi pu faire travailler des artistes dans les rues de Mulhouse sans qu’ils soient dérangés par la police. Certains ont d’ailleurs pu tester d’autres techniques sans avoir peur de se faire arrêter.

C215, L’Atlas, Clet Abraham, Shaka, RNST… Vous représentez des artistes emblématiques de l’Art Urbain contemporain. Comment les avez-vous convaincu ?
Souvent, en commençant par un projet dans la rue. C215 a fait un parcours boîte aux lettres à Mulhouse ; Shaka une fresque ; Clet a eu l’autorisation municipale de coller sur les panneaux de circulation ; RNST, quant à lui, ne demande aucune autorisation… [rires].
Comment sélectionnez-vous vos artistes ?
Il faut que leur travail me plaise, qu’ils aient un discours et une vraie personnalité.
Quelle place accordez-vous aux artistes émergents ?
Chaque année, je consacre au moins un ou deux solos shows à des artistes qui n’ont pas encore un parcours très conséquent en galeries. C’est le rêve de chaque galerie d’être la première à exposer un artiste en devenir sur le point d’exploser.

Votre galerie fête ses 8 ans. Comment le marché de l’Art Urbain a-t-il évolué sur cette période ?
C’est une question difficile… Ici, en province, les gens sont moins saturés qu’à Paris. Au départ, je vendais beaucoup sur Paris ou à l’étranger via les foires ou Internet. Petit à petit, les collectionneurs locaux se sont intéressés à ce que je faisais. Et aujourd’hui, le marché local représente une très grosse part de mon chiffre d’affaire annuel.
L’Art Urbain touche majoritairement les 35/55 ans. Parvenez-vous à élargir votre cible ?
Oui. Parmi mes clients, j’ai quelques très grands collectionneurs, des personnes qui possèdent des pièces de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros mais qui restent curieux. Ils s’intéressent à ce que nous faisons. Ce n’est évidemment pas la majorité, mais je suis très contente de savoir que certaines de mes pièces sont dans leur collection.

La situation de votre galerie vous permet de toucher les clientèles françaises, suisses et allemandes. Quelles différences entre les collectionneurs de ces trois pays ?
Chaque pays aime ses artistes. Je travaille avec des artistes allemands donc j’ai la chance d’avoir des clients en Allemagne. Je participe à des foires en Suisse où j’ai aussi quelques bons clients. La France reste cependant mon principal marché et une locomotive.
À côté de l’activité traditionnelle de galeriste, vous développez une démarche d’accompagnement des institutions publiques et sociétés privées dans leur communication artistique. Concrètement, que proposez-vous ?
Par exemple, il y a quelques mois nous avons fait venir Petite Poissone pour qu’elle intervienne dans une entreprise mulhousienne d’engineering très pointue, dont le dirigeant se veut irréprochable sur l’égalité salariale hommes/femme. Il a donc voulu que l’artiste écrive en grand sur le mur d’une des salles de réunion une de ses phrases fétiches : « si ma tante en avait, elle serait mieux payée »… C’est assez percutant et cela ne laisse aucun doute sur l’esprit qui règne dans cette entreprise. L’art peut être un merveilleux moyen de communication… et c’est cela que nous développons.


10. Exposition Aurel Rubbish.
Comment vous est venu l’idée d’une collection de textiles – coussins, plaids et tapis originaux – créé par des artistes urbaines ?
Nous essayons de ne pas être seulement des intermédiaires mais de créer des objets. Mulhouse est une terre de textile depuis très longtemps. C’est dans son ADN. Produire des objets textiles haut de gamme fabriqués en Alsace en utilisant les graphismes de nos artistes, cela a du sens pour nous. Au même titre qu’un tirage papier multiple, le coussin permet à certaines personnes d’acquérir une « œuvre » de leurs artistes préférés sans se ruiner. Cela peut être un premier pas vers une collection.
À voir
Orlinda Gallery
33 rue des Trois Rois 68100 Mulhouse
Jeudi et vendredi de 10h à 12h et de 14h30 à 19h, samedi de 10h à 12h30 et de 14hh30 à 19h
orlinda.gallery
Instagram : @orlinda.gallery