Cet artiste britannique a imposé son style original sur les murs du monde entier, soutenant un art de rue esthétique et exigeant, tout en explorant de multiples pratiques artistiques.
Otto Schade : ottoschade.com
Instagram : @otto_schade
Otto Schade est un garçon plein de paradoxes. Si son nom sonne incontestablement allemand, il est né au Chili – en 1971 – et c’est en Angleterre qu’il a développé sa carrière artistique. Alors qu’il est aujourd’hui un artiste urbain reconnu dans le monde entier, il a commencé par un travail d’atelier classique, maîtrisant la peinture à l’huile bien avant la bombe. Architecte de formation, il a développé un style personnel reconnaissable à ses « rubans » qui habillent aussi bien des portraits que des animaux ou des sujets issus de la culture populaire. Les thèmes à la base de ses compositions traduisent un sens personnel de la métaphore ainsi qu’une forte touche d’ironie. Éclectique et touche-à-tout, il aborde des pratiques originales comme le body painting. Ses œuvres puisent leurs sources à la fois dans l’abstraction, avec un superbe travail sur la couleur, et le surréalisme. Ce sont d’ailleurs ces influences – il cite Dali, Magritte, Miro, Giger et Beksiński – qui l’ont conduit à s’orienter vers une carrière artistique… avec succès, puisque ses fresques sont présentes à Londres – où les murs signés Osh, sont pseudo, sont nombreux, notamment à Shoreditch –, mais aussi à Miami, Berlin, Amsterdam, New-York, Denver, Munich, Santiago, sans oublier Paris.
Vous êtes architecte de formation. Vous ne vous destiniez donc pas à une carrière artistique ?
J’ai en effet étudié l’architecture à Conception, au Chili. Cela m’a été très utile pour faire des croquis. Et normalement, les architectes peignent aussi. Mon père, lui aussi artiste, m’a beaucoup appris et montré le chemin, pourtant, j’ai commencé à travailler comme architecte. C’est lorsque j’ai perdu mon emploi, avec la crise de 2009, que j’ai changé de voie.
Vous avez commencé en studio, bien avant de descendre dans la rue…
En effet, j’ai un parcours très différent de celui de nombreux artistes urbains. J’ai commencé à dessiner dès l’enfance, puis à peindre à l’huile lorsque j’étais à l’université, à partir de 1996. Je n’ai commencé à utiliser des bombes aérosols qu’en 2009 et je n’ai jamais peint de trains, par exemple. Un de mes amis chiliens, qui se trouvait à Londres à l’époque, m’a poussé à sortir et à peindre dans la rue. Il m’aidait à peindre la nuit car, à mes débuts, je peignais illégalement.
Vous souvenez-vous de votre première œuvre de rue ?
Il s’agissait d’un pochoir que j’ai posé une nuit sur un mur de briques, à un endroit qui avait déjà été peint par Banksy avant d’être recouvert de noir. Avec un pochoir et du blanc, j’ai pu créer des formes de mains et de visages, une pièce intitulée Hunted by the System (traqué par le système), en rapport avec la récession de l’époque. Ce message devrait être facile et rapide à peindre – 2 minutes –, juste au cas où…
Comment est né votre style « ruban » si particulier ?
En tant qu’artiste urbain, j’ai commencé par réaliser des pochoirs très similaires au style de Banksy. Assez vite, j’ai décidé d’inventer quelque chose de différent, d’un peu surréaliste. C’est ainsi que j’ai eu l’idée des rubans. The Kiss, dans la cour de la Old Truman Brewery à Londres, est la première grande œuvre que j’ai réalisée dans ce style. Elle a permis aux gens d’identifier mon travail. Dans ce baiser, le message de spiritualité et de connexion amoureuse entre ce couple est parfaitement clair.
D’où vient votre goût pour le vert ?
J’adore cette couleur, mais j’utilise également le jaune, l’orange, le rose, le noir et le blanc. Ce sont peut-être mes origines chiliennes qui transparaissent… J’aime les nuances très chaudes et très lumineuses, celles que l’on trouve dans les œuvres d’art latino-américaines.
Vous vous présentez sous votre nom, Otto Schade. Osch, votre nom d’artiste de rue, est-il toujours d’actualité ?
Je trouve qu’Osch est plus facile pour les gens à prononcer et je suis très satisfait de son logo. Alors je l’utilise toujours…
5. Sexy Look 1, 2020, aérosol et technique mixte sur toile, 50 x 50 cm.
6. Close your eyes, 2020, aérosol et technique mixte sur toile, 50 x 50 cm.
Que pensez-vous du fait que les œuvres d’art de rue puissent être effacées ou détruites ?
Je comprends que l’art de rue soit toujours en évolution. Mais, parfois, certaines pièces étonnantes sont recouvertes par d’autres, qui ne sont pas aussi intéressantes, voire moins. Je pense que les collectivités devraient s’impliquer davantage pour conserver les œuvres les plus intéressantes. C’est ce qui se passe en Californie par exemple, et c’est pour moi une bonne chose.
Comment choisissez-vous les endroits où peindre ?
Comme j’ai une formation d’architecte, je choisis naturellement ceux qui ont une bonne visibilité. C’est le spot qui m’invite à le peindre ! Il y a un premier dialogue entre le mur et l’artiste, comme une phase de séduction.
Aujourd’hui, comment répartissez-vous votre travail entre les fresques et les toiles ?
Pour moi, le travail dans la rue précède celui en atelier. D’ailleurs, le plus souvent, je peins une toile après avoir réalisé une fresque.
Quelle différence faites-vous entre le travail d’atelier et sur les murs ?
Ce sont deux expériences bien distinctes. Quand j’ai commencé à peindre des murs, je n’étais pas habitué à ce que les gens me regardent travailler. J’étais un peu mal à l’aise de sentir des regards dans mon dos, mais, au fil du temps, on s’habitue. De plus, lorsque l’on est dehors, il faut faire face à la chaleur, au froid, à la pluie… En revanche, j’apprécie que les gens parlent de mon travail. Et leurs réactions sont toujours très positives. Certains habitants m’apportent même de la nourriture, des boissons ou d’autres choses.
8. Sting, 2018, aérosol et technique mixte sur toile, 122 x 91 cm.
Vous peignez des personnalités célèbres telles que Bowie, Amy Winehouse et Bob Marley. Pourquoi ?
J’aime beaucoup ces musiciens. Surtout, la technique des rubans dans mon travail me permet de traiter n’importe quel sujet, même des portraits réalistes.
Vous expérimentez beaucoup, de la peinture corporelle aux objets en 3D. Est-ce important de se diversifier et d’être curieux ?
J’aime essayer tout ce qui attire mon attention. Travailler avec des rubans me donne beaucoup de flexibilité. Pour être honnête, il s’agit d’être heureux dans ce que l’on fait. La curiosité et la capacité d’être surpris sont les principales clés du développement de notre créativité.
Le succès international de vos œuvres monumentales a-t-il stimulé votre carrière artistique ?
Probablement. Je suis déjà connu dans de nombreux endroits et cela me conforte à continuer de réaliser des peintures murales dans le monde entier. J’adapte naturellement mes œuvres aux différents pays, tout en conservant le style « ruban ».
Avez-vous un message à faire passer ?
Le fait d’avoir vécu mon enfance sous la dictature de Pinochet m’a aidé à penser en « rebelle » et à peindre des œuvres en réaction au système. Aujourd’hui, j’aimerais encourager les nouvelles générations à croire en ce qu’elles font et, en même temps, à le faire avec passion.
Londres est-elle toujours une ville particulièrement active pour l’Art Urbain ?
Jusqu’au Brexit, c’était l’une des capitales les plus importantes d’Europe, et beaucoup d’artistes étrangers venaient pour peindre ici, surtout que les policiers sont beaucoup plus ouverts d’esprit que dans d’autres pays. Aujourd’hui, cette dynamique est un peu ralentie.
Quand vous reverra-t-on en France ?
J’étais à Paris en 2018, 2019, 2020, 2021 et en août dernier. Donc, je serais probablement là l’année prochaine. J’adore cette ville et j’ai eu de très bons retours de la part des français. À Paris, mais aussi à Berlin et à Amsterdam, l’accueil du public est particulièrement enthousiaste et spontané et je crois que les gens de ces pays vibrent plus avec mon art. Et j’aime ces villes pour ces raisons.