Que ce soit sur les murs, les objets qu’elle détourne ou les vieilles photos qu’elle affectionne, ces punchlines parfois caustiques font sourire, rêver, réfléchir. Des jeux de maux qui résonnent avec ceux de notre époque…
Reconnaissables à leurs polices de caractère aux boucles pleines, à leurs sens multiples et à leur humour décalé qui frise parfois l’absurde, les slogans de cette ancienne directrice artistique, passée par les Beaux-Arts et passionnée de romans graphiques, se sont imposés depuis une dizaine d’années dans le paysage urbain .
Première question que tout le monde – ou presque – se pose, pourquoi Petite Poissone ?
Il n’y a pas vraiment de raison [rires]. Il y a quelques années, je cherchais un nom pour mon site Internet en tant que graphiste et il m’est tombé dessus, un peu au hasard, à 4 heures du matin, en attendant de trouver mieux. Et c’est resté depuis 15 ans. Je ne suis pas certaine que si je m’étais torturé les méninges pendant des heures, j’aurais trouvé mieux. Il ne veut rien dire mais je trouve qu’il me va bien.
Peinture, dessin, photo…. vous avez une démarche artistique plutôt multiforme…
Vous le savez parce que vous êtes curieux [rires]. Mais le Street Art a pris l’essentiel de mon temps et la plupart des gens ne me connaissent que pour ça. J’essaie d’aménager des plages pour expérimenter, parce que je n’aime pas me contenter d’une seule activité. Dans les expos, j’ai toujours présenté des dessins et des peintures, pour que les gens voient qu’un street artiste, ce n’est pas que ce que l’on voit dans la rue. Et, à côté de mon activité artistique, j’ai longtemps conservé mon métier de directrice artistique, parce que cela me semblait important d’avoir une indépendance financière, mais aussi parce que j’adorais ça.
2. Elle, collage sur couverture de magazine.
3. Y a-t-il un pilote, collage sur photographie.
Comment s’est faite la découverte du Street Art ?
Par amour de la langue française. Une belle chanson, comme celles de Barbara, m’émerveille. Un soir, il y a plus de 10 ans, je suis allé coller des textes dans la rue, juste pour m’amuser. Et cela m’a vraiment plu…, une expérience en soi. Il faut trouver le bon endroit, et quand on y arrive, c’est une satisfaction de chasseur. Parfois, on rentre bredouille, mais cela fait partie du jeu. D’autant que je ne colle pas seule mais avec des amis, et on interagit avec les gens que l’on croise. J’adore !
Qu’est-ce qui fait un « bon » lieu ?
L’esthétique. Il doit fonctionner avec la forme du texte, c’est important. Je ne peux pas coller dans un endroit qui ne me plaît pas. Être vue n’est pas ce qui compte le plus. Ce n’est pas grave si je fais un collage de 5 centimètres dans un recoin et que personne ne le remarque.
Les messages sont-ils adaptés en fonction de chaque lieu?
Non, ce serait trop compliqué. Pour moi, cela n’aurait pas de sens de coller un slogan sur un monument ou dans un lieu en rapport avec le sujet. J’aime au contraire que l’on ne s’attende pas au message. Je veux surprendre.
5. Collage sur une bite d’amarrage à Sète.
Comment trouvez-vous l’inspiration ?
J’ai des carnets que je remplis quasiment tous les jours avec tout et n’importe quoi, j’écris ce qui me passe par la tête, je dessine… Lorsqu’une phrase me plaît, j’ai besoin d’aller la coller presque immédiatement, pour partager ce que je viens d’écrire.
Le texte vous suffit-il ?
Dans la rue, je trouve que cela fonctionne bien. Il se passe quelque chose entre le message et celui qui le regarde, comme si le mur lui parlait. Au début, je ne signais pas, n’y voyant pas d’intérêt. J’ai commencé à signer parce que c’est sympa de se faire connaître.
Pourtant, votre position a un peu changé ?
C’est un peu dommage de dessiner et de ne rien en faire. Mais ajouter un dessin juste pour ajouter un dessin, cela ne m’intéressait pas. Dans les derniers festivals auxquels j’ai participé dernièrement – Grimaud, Rostrenen en Bretagne ou Le Mans –, j’ai associé des personnages à mes textes. J’ai toujours dessiné des femmes assez opulentes, voire très très, très fortes. Je leur mets des masques de sorcière. Elles me plaisent bien et apportent du sens.
7. Erratum, collage sur assiette.
Cela correspond aussi à une évolution dans vos messages ?
Oui. Quand j’ai commencé, j’écrivais beaucoup de textes sur l’amour désabusé, ce que je fais encore. Mais je n’osais pas aborder des sujets trop politiques ou trop féministes. D’abord, parce que c’est difficile d’être juste en disant « non à la guerre » ou « non au racisme ». On tombe vite dans le côté ado rebelle. Il faut trouver la bonne formule et ce n’est pas simple d’être subtil. Mais, petit à petit, je me suis autorisé à y aller.
Qu’est-ce qui, pour vous, fait une bonne formule ?
C’est difficile à dire. D’autant que, ce qui me plaît le plus n’est pas forcément ce qui fait réagir les gens. J’ai peut-être une préférence pour mes textes plus alambiqués, plus subtils… un peu tirés par les cheveux [rires]. Parfois, il y a des textes que je trouve simplistes, que j’hésite à mettre… et tout le monde adore. Je fonctionne au feeling, je veux juste que l’on se dise : « Ça c’est bien trouvé ». Si cele fait sourire, ça me suffit. Et il faut que cela soit musical, c’est peut-être le principal critère.
Dans votre travail d’atelier, vous utilisez d’autres supports, comme des objets ou de vieilles photographies. Est-ce la même démarche ?
Oui. Ces supports me permettent de coller des messages que je ne pourrais pas poser dans la rue, parce que le texte seul n’aurait pas de sens. Les collectionneurs peuvent les regarder à plusieurs reprises. Je peux ainsi m’autoriser des textes plus complexes et aussi plus personnels, par exemple sur l’enfance. C’est touchant parce que les gens se les approprient avec leur propre histoire.
9. Collage sur une boîte à lettres à Boulogne-sur-mer
10Collage à Grimaud.
Plusieurs artistes féminines, comme Miss Tic ou la Dactylo, ont choisi de jouer sur les mots. Est-ce un « truc de fille » ?
Je me suis fait la réflexion il n’y a pas longtemps, mais je n’ai pas trouvé de réponse [rires]. Certains hommes posent des slogans… souvent plus politique. Quand on écrit, on révèle quelque chose d’intime, et les hommes ont sans doute tendance à davantage cacher leurs sentiments… question d’éducation peut-être.
Se dévoiler ainsi, n’est-ce pas délicat ?
Quand j’ai commencé, j’étais persuadée qu’on allait me jeter des cailloux [rires]. Aujourd’hui, je suis rassurée quand on me dit : « ça me parle, ça me touche, j’ai vécu la même chose ». Tu te rends compte que ton « intime », que tu croyais bizarre, est le même pour beaucoup. Chacun peut s’approprier une formule. L’une de mes plus connues, qui n’est pas ma préférée, c’est « Plan A, restez digne. Plan B., tout démonter ». Tout le monde peut y trouver un sens, dans sa vie, dans son couple, dans la société… Je ne révolutionne pas la vie des gens, mais je crée un lien avec eux, je leur fais un peu de bien, ils me l’écrivent et cela me fait du bien en retour. C’est quand même fantastique.
À voir
Petite Poissone : petitepoissone.com
Instagram : @petitepoissone