Artiste contorsionniste, PEZ joue à merveille de la dualité qui le caractérise pour créer des œuvres à la fois ironiques et oniriques… et en proposer une lecture mutine.


2. Hope Scotch, acrylique et aérosol sur bois, 20 x 120 cm.
Chez PEZ, la virtuosité du trait n’est pas qu’une simple prouesse formelle. Elle est en effet inséparable d’un contenu puissant où s’entrechoquent la force des innombrables détails qui alimentent une narration multiple, une composition minutieuse d’une technicité absolue et une subtile touche sarcastique, portés par le regard décalé d’un artiste sincère, touchant et pince-sans-rire. Ces œuvres à la signification convenue au premier abord cachent ainsi une narration puissamment suggestive, porteuse de messages ouverts et multiples, au gré de la sensibilité, de l’imagination et de l’intelligence du regardeur. Plusieurs lectures possibles entrent alors en tension les unes avec les autres, soutenues par une énergie qui, fixée sur papier où bois, vibre, rayonne, irradie. Le temps, pris à la fois par l’artiste pour construire ces captivants scénarios à la fois ironiques et oniriques, puis par le public, donne alors tout leur sens aux œuvres, chacune devenant pour lui comme pour nous une zone de liberté où il est possible de se prononcer sur l’état du monde et du quotidien pour y poser un regard caustique. PEZ nous offre ainsi des allégories jubilatoires dont on ressens la morsure, qui nous divertissent autant qu’elle nous instruisent. Et ce qui en sort est nécessairement plus intense…

Dessiner semble être pour vous une obsession…
Dessiner est sans doute la première chose que j’ai fait dans ma vie… dès l’âge de 3 ans [rire]. Mes parents ont d’ailleurs conservé mes dessins, notamment ceux de bateaux de pirates déjà ultra détaillés. J’ai toujours dessiné, avec plus ou moins d’intensité. J’ai d’ailleurs intégré une école d’art appliqué début 2000, travaillant parallèlement l’art digital… avant de revenir au dessin et à la peinture. Après mes études, je suis devenu graphiste indépendant, tout en continuant à dessiner pour mon plaisir personnel.
Que graffiez-vous dans la rue ?
Du gros lettrage pas très beaux d’ailleurs [rire], notamment PEZ, mon blaze qui vient de ma petite sœur. N’arrivant pas à prononcer Pierre-Yves, mon prénom, elle m’appelait PEZIZ. Ma famille s’y est mis puis, trouvant cela drôle, mes potes ont très vite adopté le diminutif PEZ… que j’ai gardé. Mais je n’ai pas graffé très longtemps, seulement deux ou trois ans avant d’entrer en école d’art où, totalement passionné, j’ai poussé ma technique académique du dessin, étant naturellement davantage attiré par l’illustration que le lettrage.


5. Through the Eye of a Pix, acrylique sur bois, 120 x 80 cm.
A quel moment est venue la reconnaissance ?
Lorsque, en 2010, j’ai ouvert ma page Facebook où ma série « Distroy » a cartonné de façon très viral… Les galeries ont alors commencé à s’intéresser à mon travail. Pour autant, après le succès de « Distroy », j’ai un temps craint que le public ne me suive pas dans mon évolution artistique avec l’apparition de nouvelles séries. Mais cela ne s’est pas produit [rire]. Dans mon travail, l’on reconnaît davantage un trait qu’un style.
Comment choisissez-vous de travailler sur une série ?
Selon l’inspiration, avec l’envie d’explorer à fond une thématique, comme les cartoons avec « Distroy » dans laquelle l’idée était de dévoiler l’intérieur des personnages de BD, ou l’écologie avec « Greenpiece ». Cela peut également être lié à l’actualité comme « Masquerade ». J’essaye également que certaines idées s’intègrent dans une série existante car aucune n’est fermée. Je m’autorise à y retourner lorsque j’en ai envie… même si cela en déroute certains [rire]. L’art n’est-il pas le domaine de toutes les possibilités, de toutes les libertés ? Le seul « endroit » où l’on peut tout transgresser ?

Vos séries vous imposent-elles un rendu particulier ?
Certaines, notamment « Pixel » qui m’impose, outre le support bois que j’utilise pour toutes mes peintures, de grands formats et une technique particulière, contrairement à « Distroy » par exemple.
Pourquoi avoir choisi le bois ?
Je préfère les support fermes. Certes, le bois est par certains côtés plus « contraignant » mais j’apprécie sa surface sans aspérités. Je suis moins précis sur une toile en raison de son grain. Toutes mes peintures sont donc sur bois que j’enduis d’abord de plusieurs couches de gesso puis que je ponce pour que le support soit le plus lisse possible. J’attaque ensuite le dessin au crayon avant de peindre, excepté pour « Pixel » ou je termine par le fond après avoir détouré au cutter et masqué toute la scène, ce qui me prends énormément de temps.


8. Kunoichi, acrylique et aérosol sur bois, 90 x 120 cm.
Quelle place occupe la narration dans votre travail ?
Un place centrale puisque, dans mon travail, je raconte des histoires relativement faciles d’accès par leur esthétique, et qui, je l’espère, parlent au plus grand nombre, même si certains messages sont davantage liés à la culture artistique donc moins perceptibles. Pour chaque œuvre, je réalise en amont plusieurs sketchs, des tests de couleurs, différentes compositions… Chaque détail est ainsi réfléchi afin d’offrir plusieurs niveaux de lecture. Et quelle que soit la série, j’aime jouer de la dualité, entre l’abstraction et figuration, l’infiniment grand et l’infiniment petit… à l’image de ma « double personnalité » puisque je suis gémeaux [rire].
La narration est-elle au service de votre processus ou, inversement, votre processus est-il au service de l’idée ?
Au début, je cherchais d’abord l’idée « de génie », processus qui m’enfermait artistiquement. Je m’en suis donc écarté pour davantage de spontanéité picturale.


10. MC2 au CM2, acrylique et aérosol sur carton scolaire, 117 x 122 cm.
Quelle est la part de fiction et de réalité dans vos récits ?
Une mixture entre rêve et réalité. Étant sensible à ce qui se passe autour de moi et dans le monde, j’exprime mes émotions à travers mon travail où j’associe ironie et onirisme. Je crois également que je mets dans mes œuvres beaucoup de mes très bons souvenirs d’enfance, tout en essayant de pervertir ces images par une touche de sarcasme… La dualité encore et toujours… et ce côté pince-sans-rire anglais qui me vient de ma grand-mère.
L’art n’est-il pas le domaine de toutes les possibilités, de toutes les libertés ? Le seul « endroit » où l’on peut tout transgresser ?
PEZ


12. The Fifth Element, acrylique et aérosol sur bois, 47 x 55 cm.
Une caractéristique de votre pratique artistique est la précision, la minutie, la technicité. Est-ce indispensable pour offrir de multiples niveaux de lecture ?
Oui, car plus il y a de détails, plus l’œil peut se perdre. Ce travail minutieux a un effet cathartique sur moi qui suis totalement impatient. Cela me permet de gérer mon « hyperactivité ». J’adorerais parfois être libéré de cette obsession pour, un jour, lâcher prise… et travailler comme Jackson Pollock. Mais serait-ce vraiment moi ?
Quel rôle joue les couleurs dans votre travail ?
Une mise en perspective…, une dualité… Avec « Pixel » par exemple, la couleur en regard du noir et blanc matche parfaitement pour exprimer la fuite en avant technologique à laquelle nous assistons.


14. Always, crayons sur papier, 17 x 25 cm.
Dernièrement, c’est à travers votre personnage à capuche que vous vous exprimez…
Transversal puisqu’il s’exprime dans plusieurs séries – « pixel », « Greenpiece »… –, ce personnage rend compte d’une réflexion sociétale. Dans un monde qui célèbre le culte de l’individu et l’individualisme à outrance, cela m’amuse de constater que beaucoup se cachent sous une capuche hiver comme été, ce qui me semble assez paradoxal.
Le volume apparaît parfois dans votre travail…
Pour moi, le volume s’impose uniquement si l’œuvre a un sens. Je sculpte l’argile mais je ne réalise que peu de pièces car cela me prend beaucoup de temps… J’aimerais néanmoins en faire davantage. Récemment, j’ai également testé la résine avec Self Destruction, un vrai challenge pour rendre le mouvement du personnage qui se détruit.
Quels sont vos projets ?
Je prépare une expo personnelle… à Paris ou à Rome.
PEZ : pez-artwork.com
Instagram : @pezartwork