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Dossier

PRINTS et MULTIPLES, un premier pas pour les collectionneurs

Comment acheter une œuvre de Banksy, Kaws ou Shepard Fairey quand on n’est pas millionnaire ? En s’intéressant aux éditions limitées plus accessibles. Une démarche qui vaut aussi pour des artistes à des prix nettement plus accessibles.

Aux côtés de leurs toiles, les artistes urbains sont de plus en plus nombreux à proposer des « multiples », des reproductions numérotées et signées. Proposées à des prix évidemment très inférieurs à ceux d’originaux – de quelques dizaines à quelques centaines d’euros en moyenne –, ces éditions limitées suscitent l’intérêt des amateurs, qui y voient la possibilité d’acheter une – ou plusieurs – œuvres pour mettre sur leurs murs, mais aussi des collectionneurs qui flairent l’existence d’un véritable marché.

Grâce à l’Art Urbain…
La maison de ventes Digard à Paris organise des ventes d’éditions limitées d’Art Urbain depuis plusieurs années et a même ouvert un département dédié il y a six mois. Le signe d’un regain d’intérêt pour ce marché, comme l’explique la commissaire-priseur Marielle Digard : « Le multiple est un support que, personnellement, j’aime beaucoup, mais qui avait complètement disparu du marché. Dans les années 1974/1975, l’affiche est apparue et le grand public n’a absolument pas compris la différence entre une édition en nombre d’exemplaires limités, produite avec des techniques artistiques, qui peut être éventuellement rehaussée, et un poster. L’affiche a complètement tué le marché du multiple jusqu’à ce que des artistes urbains le remettent au goût du jour. Le premier est Shepard Fairey, qui a proposé des multiples via son site Obey, suivi par Kaws et Banksy ».
Si ces artistes urbains font partie de ceux dont la cote s’affole, l’experte ne pense pas que l’aspect financier soit prépondérant dans leurs démarches. « Il y a une grande diversité de techniques de reproduction artistiques, dont la qualité d’impression n’a rien à voir avec celle d’une affiche ou d’une impression numérique standard. L’atelier Idem à Paris par exemple, a repris les presses utilisées par Chagall et Picasso. Et les artistes ont pris plaisir à utiliser ces machines qui avaient été oubliées ». Mais ce regain d’intérêt a également permis d’ouvrir un nouveau marché. « Comme les éditions se font à plusieurs exemplaires, naturellement, le prix est moindre, donnant accès à une quantité de collectionneurs qui ont envie d’avoir des œuvres sur leurs murs mais pas forcément les moyens d’acquérir des originaux ».

L’affiche a complètement tué le marché du multiple jusqu’à ce que des artistes urbains le remettent au goût du jour.
Marielle Digard, commissaire priseur, Digard Auction.

… l’intérêt est revenu
« Ce marché est redevenu un marché de collectibles grâce aux artistes urbains qui ont expliqué aux collectionneurs combien ce moyen de production est intéressant. Aujourd’hui, il y un véritable second marché, comme pour les œuvres originales. Bien sûr, le second marché n’est pas l’espace de promotion des jeunes artistes, ce qui est le travail des galeristes. Il ne concerne naturellement que des artistes qui ont déjà une certaine reconnaissance, mais ils sont déjà très nombreux », explique Marielle Digard. Elle ajoute : «  Le second marché et les ventes aux enchères permettent de donner une transparence sur les transactions et donc la valeur d’une œuvre. Cette valeur va dépendre de nombreux critères, dont la qualité de la reproduction. Il y a malheureusement trop d’artistes qui ne sont pas attentifs à cette qualité et qui vont faire une impression numérique dans un magasin de reprographie. Banksy par exemple a imprimé chez Pictures on Walls, un véritable atelier de sérigraphie ». La question de l’authenticité est, elle aussi, cruciale. « Les systèmes de reproduction entraînent des faux de manière relativement aisée. Il est donc indispensable d’avoir la certification d’un professionnel ».

Pour les collectionneurs…
Le Soute, collectif d’artistes de Vichy et Clermont-Ferrand – Repy One, Keymi, Waro, Depht, So.Z et Motte – prépare une exposition collective du 25 novembre au 12 décembre, justement consacrée aux multiples. « L’objectif est d’abord de permettre aux gens d’acquérir à des prix abordables les œuvres de ces artistes : à partir de10 euros pour de petits tirages numériques pour les plus jeunes, de 80 à 150 euros pour des sérigraphies. Les prix ne devraient pas dépasser 300 euros, même pour les noms un peu plus connus. Notre association a pour vocation, outre la promotion des artistes, de diffuser le plus largement possible la culture du Street Art au plus grand nombre en proposant des expositions gratuites. Cet événement est l’aboutissement d’une réflexion qui vise à ouvrir la porte aux nouveaux collectionneurs, aux personnes qui veulent mettre un pied dans l’art, en leur permettant de repartir avec un souvenir de l’exposition. C’est beaucoup moins engageant pour un collectionneur ou quelqu’un qui veut juste se faire plaisir d’acheter un multiple, une œuvre d’art à part entière. Dans toutes les expositions que nous avons organisées, nous avons d’ailleurs toujours proposé des prints et des multiples », explique Motte.

C’est beaucoup moins engageant pour un collectionneur ou quelqu’un qui veut juste se faire plaisir d’acheter un multiple… qui est également une véritable œuvre d’art.
Motte, artiste.

… et les artistes
Pour Motte, cette démarche est aussi profitable aux artistes. « Le multiple est doublement intéressant : d’abord parce que cela offre une visibilité et une diffusion plus large auprès d’un nouveau public ; ensuite parce que, financièrement, il est plus simple de vendre une cinquantaine de multiples à 50 euros qu’une toile à 2.500 euros. Et c’est un processus de production relativement simple ». Ce qui ne signifie pas que la réalisation d’un multiple doit être pris à la légère. « Le multiple est une œuvre, certes différente d’un original, mais qui doit avoir une certaine valeur. Il y a une véritable réflexion artistique à mener sur le choix du sujet. Par exemple une déclinaison plus simple de ce que l’on fait sur la toile. C’est d’ailleurs ce que je compte faire pour cette exposition : des multiples dans le même esprit que mes œuvres originales, mais adaptés à la technique de reproduction. Il faut également être attentif au choix de celle-ci, qui fait aussi partie de la démarche ».

De véritables œuvres
« En tant qu’artiste, ce qui m’intéresse également, c’est de travailler avec des artisans d’art. Je fais de moins en moins d’impression numérique, mais je trouve que la relation avec une sérigraphie ou une lithographie est passionnante. Il y a un vrai savoir-faire en France, avec un choix très large. Pour les collectionneurs, c’est un point important, la technique utilisée influant sur l’originalité du multiple. Avec la sérigraphie par exemple, même s’il s’agit d’une reproduction, il y a toujours un petit détail, un “raté“, qui fait que chaque exemplaire est différent. Avec l’impression numérique, c’est autre chose puisque tous les tirages sont semblables ». Car une véritable édition limitée est bien une œuvre. Et cela est encore plus vrai pour les multiples rehaussés. « Certains artistes travaillent sur des rehauts qui changent sur chaque exemplaire, et le multiple devient alors unique. Pour ceux qui ont un type de création très chronophage, cela permet de répondre à une forte demande du public. En outre, certains acheteurs, après avoir acquis une sérigraphie ou un print, puis un multiple rehaussé, se tournent d’ailleurs vers des œuvres originales » souligne Motte. Car en matière de collection artistique comme dans beaucoup d’autres domaines, il n’y a que le premier pas qui coûte.