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Rencontre

R.NUAGE : des portraits chargés en émotions

Donnant une « voix » à ses modèles, l’artiste pochoiriste délivre un message humaniste à travers ses portraits emprunts d’un nuancier sensoriel délicat.

R.Nuage : rnuage.com
Instagram : @r.nuage
Facebook : Rnuage

Autodidacte, les œuvres de R.Nuage naissent d’un travail soigneux et exigeant, doublé d’une recherche constante pluridisciplinaire et d’une empathie sincère envers les êtres vivants. Lorsque l’on découvre ses portraits, la singularité des visages, l’expressivité des traits, la finesse des détails, la justesse du regard, le cadrage particulier, l’attitude émouvante… frappent l’œil et parlent à notre cœur autant qu’à notre notre intellect par une contemplation active. Car derrière cette peinture figurative se dissimule un récit… suggéré mais pas imposé.

D’où vient ton pseudo R.Nuage… De ton nom mais pourquoi le R ?
Pour connaître l’origine de mon pseudo, je dois te raconter une longue histoire, mon parcours de peinture de rue. J’espère que tu as du temps… [rire]. à mon entrée au collège, vers 1998, j’ai commencé le tag et le graffiti sous le blaze de Mizer, les deux premières étant le début de mon prénom, les dernières symbolisant la misère dans la rue. J’aimais travailler ces lettres… Mais signer 5 lettres, c’est long, surtout en vandale ! Au fil des années, Mizer s’est transformé en Zer puis en R à la manière des marques déposées. Cette pratique m’a posé quelques soucis avec l’adjoint du procureur, juste avant mes 18 ans. J’ai alors arrêté de peindre des murs pendant 8 années, période pendant laquelle j’ai étudié le développement de logiciels. J’ai même fini par avoir un doctorat en informatique ! Devenu geek, je me suis mis aux jeux en ligne où il te faut également un pseudo. Je m’amusais à en changer régulièrement : piv-R, mol-R, perv-R, calv-R… La communauté des gamers m’a ainsi surnommé Mr.R. Peu de temps avant mes derniers examens, pour m’aérer la tête, j’ai fait découvrir à un ami les joies de peindre un mur dans un terrain vague. Ainsi est né notre duo, mr.R et papa.giBs. Nous nous sommes rapidement fait remarquer et les premières « commandes » sont arrivées. Notre entreprise, baptisée « Mur’mure Visuelle », et notre duo a bien fonctionné pendant quelques années. Nous nous amusions mais manquions d’argent. Surtout, l’entreprenariat a transformé notre amitié. Lorsque je me suis remis à peindre en solo, j’ai souhaité changer de nom et trouvé Nuage, l’anagramme de mon nom de famille, accolé au R., mon air.

Autodidacte, tu dessines depuis l’enfance…
Je dessine et je construis, m’évadant dans des mondes faits de dessins et de legos. Originaire d’Angoulême, ville de la BD, j’ai d’ailleurs gagné quelques concours de BD pour les enfants. Par la suite, les rencontres avec d’autres graffeurs m’ont permis d’enrichir ma technique.

Comment as-tu découvert le graffiti ?
Par un atelier graff lorsque j’étais en 6ème. Dans mon quartier, cette initiation à une pratique artistique passait mieux qu’un atelier de nu à l’huile [rire]. Deux jeunes nous ont appris les bases d’une lettre, leur transformation. Un vrai cours théorique ! Ce fut ensuite la grande aventure en allant graffer dans des lieux abandonnés.

Pendant ta période graffeur, était-ce du lettrage ou déjà des persos ?
J’ai commencé par le lettrage à la bombe mais, n’étant pas très bon, je me suis rapidement mis aux persos, peignant notamment des B-Boy.

Tu es à la fois ingénieur et artiste…
Mes parents voulaient que je fasse des études… pour avoir un « vrai » métier [rire]. Et j’ai trouvé en écrivant des lignes de codes une expression de mon envie de créer à travers un autre outil. Pourtant, après mes études, je me suis lancé dans la peinture, mais avec la contrainte de devoir en vivre en répondant à des cahiers des charges, des commandes… Ce qui ne me satisfaisait pas. En travaillant comme ingénieur, j’ai pu enfin retrouver dans la peinture la pratique d’un art sans contrainte. Aujourd’hui, je combine ainsi l’informatique, le dessin et la peinture. Et je crois avoir trouvé mon équilibre.

En quoi écrire des lignes de codes t’aide à dessiner ?
J’écris des programmes donc j’ai développé une intelligence artificielle, @Sarah2g2, capable de me faire des propositions, par exemple des calligraphies. En amont, je lui fournis des morceaux d’images, des indications, des mouvements… que j’ai sélectionnés et une demande spécifique. Lorsque la proposition ne me convient pas, soit je corrige mes lignes de codes, soit je transforme le « croquis ». 80% de mon temps est ainsi un travail préparatoire fait d’étapes successives auxquelles je prends beaucoup de plaisir : je compose, teste, modifie les couches… avant la découpe laser puis la mise en peinture sur mur ou toile. Un travail long et exigeant. Alors que j’aime tout maîtriser, jusqu’à la direction des éclaboussures [rire], je m’autorise néanmoins de plus en plus les « surprises » lors de la mise en couleurs au pinceau et à l’encre en atelier, notamment pour les fonds, mais aussi en retouchant le dessin à main levée, sortant ainsi de ma zone de confort.

Te critique-t-on pour cette association ?
Evidemment… La critique existe peu importe sa pratique et sa technique et c’est toujours blessant de ne pas avoir l’aval de ses pairs, notamment lorsque l’on est jeune. On me critiquait déjà quand je faisais des persos à l’époque du lettrage, ensuite lorsque je me suis mis au pochoir face au dessin à main levée. Quand j’ai commencé à utiliser une découpe laser, on m’a accusé de « tricher ». Aujourd’hui, mon œuvre est en partie réalisée par le programme d’intelligence artificielle que j’ai conçu et certains affirment que c’est la machine qui fait tout ! Pour moi, il s’agit simplement d’une recherche artistique différente. Il m’arrive pourtant de prouver à mes détracteurs que je sais peindre à main levée, découper un pochoir au cutter…

Pourquoi avoir choisi les animaux et les êtres humains, en axant tes œuvres sur une attitude, un regard… ?
Nous sommes nombreux à voir qu’il y a des progrès possibles pour tendre vers plus de justice, plus de partage, plus de respect. Dans la période mr.R et papa.giBs, j’ai peint beaucoup de portraits de sans-abris et de personnes âgées pour sensibiliser à leurs causes. Je trouve dans les visages « burinés » une profondeur incroyable. Comme un abîme d’histoire qui ne demande qu’à être lu. Pour moi, certains regards invitent à plus d’empathie. Avec un peu d’entraînement et une certaine sensibilité, on peut ressentir des sentiments similaires pour toutes les espèces vivantes qui méritent probablement eux aussi plus de justice et de respect.

Comment choisis-tu tes « modèles » ?
Je me base sur mon ressenti et passe beaucoup de temps à les choisir. Lorsque ces modèles me transmettent une émotion forte, je les peins en espérant que ma réinterprétation véhicule à son tour des émotions. Il y a très souvent un histoire derrière l’être vivant peint. Certains ont d’ailleurs toute une vie [rire].

Comment s’est imposée ta « signature » : couleurs, calligraphies, déchirures, cadrage…, sans oublier parfois les punchlines percutantes ?
Les « punchlines » rendent explicites les messages humanistes que je souhaite transmettre. Le graphisme associe tout ce qui me plaît parmi les milliers d’images que je dévore sur les réseaux sociaux. à titre d’exemple, les déchirures, utilisées par de nombreux artistes et dont le maître est probablement Add Fuel, est un élément ponctuel que j’avais envie d’expérimenter dans mes réalisations pour faire apparaître des « MAUX cachés par les MOTS » mais qui va probablement disparaître. Le cadre, je t’avoue qu’il n’est pas conscient [rire]. Mes recherches actuelles me poussent désormais à assumer de plus en plus mon identité visuelle en mêlant une superposition de papier finement découpé, des gestes instinctifs et des compositions calligraphiques proposées par @Sarah2g2 en superposition, transparence, couches…

Et les couleurs ?
Les couleurs sont ma bête noire [rire]. Je paye ici mon manque d’apprentissage formel. Aucune de mes peintures n’est pour moi satisfaisante dans la mise en couleur. à mon avis, j’ai une sérieuse marge de progression [rire]. J’échoue souvent mais ce ne me pose pas de problème… j’apprends !

Tu expérimentes beaucoup…
Ta démarche artistique est d’ailleurs pluridisciplinaire. Comment ton travail évolue-t-il ?
Outre un travail sur les couleurs, mes peintures sont de moins en moins chargées pour laisser davantage de place à la suggestion, à une certaine « respiration »… avec juste une esquisse par exemple sur certaines zones du personnage principal. Des calligraphies dont il est composé disparaissent ainsi par endroit. J’intègre également des perspectives dans mes arrière-plans pour davantage de profondeur.

Fais-tu le lien entre ton travail d’atelier et la rue ?
Complètement. La rue impose des contraintes : rapidité de réalisation, œuvre à regarder de loin, grosse texture qui casse des détails, retour instantané des spectateurs qui partagent des bouts de leur histoire… Dans la rue, j’apprends énormément. Mais l’atelier est également extrêmement important puisqu’il permet de la création sur du temps long. Je peux explorer d’autres possibles, me tromper, ressayer encore et encore.

Te considères-tu comme un artiste engagé ?
J’aimerais dire oui, mais ce ne serait pas honnête ; je ne prends pas assez de risque ! Comment comparer une petite phrase sur un coin de mur avec ce que font certains activistes ou militants ! En ce moment, je suis impressionné par les femmes Iraniennes prêtes à se faire massacrer en s’opposant au régime en place. à mon échelle, la seule chose que je compte faire c’est leur rendre hommage par la peinture, afin de ne pas les oublier à l’heure où une info en chasse une autre.

Quels sont tes projets ?
Peut-être une participation au Colors Festival Paris où j’ai soumis un projet mêlant peinture et énigmes à la façon d’un escape game. Une œuvre immersive et interactive pour les visiteurs. Je suis aussi en préparation de nouvelles œuvres pour la Ki Galerie qui m’expose régulièrement et qui m’a encouragé à présenter mon travail à District 13 Art Fair [R.Nuage a peint en live lors de la dernière édition, NDLR]. J’ai sur le feu un projet avec le duo d’artistes satiriques Canned (Charlotte Parenteau-Denoël et Mofart’z) mélangeant sérigraphie et peinture. Enfin, pour 2023, je prépare la sortie de mon premier livre en édition limitée vendu en complément d’une peinture sur toile. Ce projet nommé « 50/50 » est une collaboration à parts égales avec un ami enseignant dans un quartier populaire. Souhaitant découvrir mon processus de création, il participera le temps d’une œuvre à toutes les étapes de réalisation d’une toile que nous peindrons en 50 exemplaires. Tous mes secrets et nos ressentis seront compilés dans ce livre/journal de bord abondamment illustré.


A VOIR
Ki Galerie
127 rue Jeanne d’Arc 75013 Paris
ki-galerie.com
Instragram : @kigalerie