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Rencontre

RAST : de singuliers « face-à-face »

Entre puissance d’un regard, présence texturée d’un visage et éléments en mouvement, les installations de RAST portent en elles un profond humanisme. Leur polysémie est une invitation à se laisser toucher par une histoire vivante et singulière.

RAST : artisterast.com
Instagram : @artisterast

Célébrant les anonymes qui peuplent les cinq continents par des portraits audacieux et authentiques, RAST rend visible ces invisibles. Sa démarche de création artistique, basée sur un travail approfondi d’une matière ultra dense garante d’une « texture signature » ou encore un gigantisme chaleureux à travers des fresques XXL, porte déjà en elle une profonde réflexion quant au rôle d’un art de rue partagé avec le plus grand nombre. Mais l’artiste va encore plus loin ! Ses œuvres ont en effet quelque chose en plus : elles s’animent ! Grâce à une motorisation pilotée par des énergies renouvelables, ses installations se mettent en mouvement, prenant vie sous le regard des spectateurs. En filigrane, les émotions, les combats, les engagements… de l’artiste face aux grandes questions de société. Des témoignages qui, au-delà de piquer la curiosité, raniment les consciences et nourrissent l’âme.

Quel est ton parcours ?
Très jeune, j’ai été attiré par le graffiti pour son côté illégal. Comme beaucoup, j’ai commencé par le tag. Puis, petit à petit, dans les terrains vagues, j’ai développé mon style, travaillant d’abord les portraits directement à la bombe.

Qu’est-ce qui t’attire dans le portrait ?
Le regard de mes sujets me captive totalement ! Je passe d’ailleurs énormément de temps à peindre les regards ! Voyageant beaucoup et étant plutôt ouvert d’esprit, j’aime découvrir d’autres cultures à travers la rencontre avec la population. Par mon travers, j’essaye de transmettre leur « beauté ». Cela passe par les regards, les silhouettes, les attitudes…, différents selon les régions, mais aussi la pigmentation de la peau, les tenues vestimentaires…

Comment ton style s’est-il imposé ?
En travaillant les détails. À force d’ajouter encore et encore des points, des traits, des giclures… dans tous les sens, la sur-texturisation, qui définit mon style, s’est imposée. Pour autant, même si j’applique le même traitement, je réserve davantage cette texture ultra-dense aux portraits d’hommes, afin de conserver leur beauté aux portraits de femmes. Les traits sont beaucoup moins marqués, moins contrastés également.

Comment choisis-tu tes modèles ?
Sans être photographe, je prends beaucoup de photos des personnes que je rencontre… avec leur autorisation, notamment lorsqu’un visage m’interpelle. Même lorsque je ne parle pas la langue, j’essaye de me faire comprendre. Ensuite, je m’inspire de certains éléments de différents clichés, un regard, une bouche, une casquette…, pour composer l’œuvre, tout en gardant l’authenticité et la culture des personnes.

Comment est née l’idée d’associer muralisme et installation, baptisée « Peinture mécanique » ?
Plus jeune, j’ai baigné autant dans la mécanique – je réparais des voitures – que dans la peinture – j’allais peindre dans les terrains vagues. Et malgré une adolescence difficile, j’ai réussi mes études supérieures. En tant qu’ingénieur mécanique, j’ai d’ailleurs travaillé longtemps dans l’automobile, notamment chez Renault. L’idée de réunir mes deux passions s’est donc imposée, plutôt naturellement… d’autant que cela n’avait jamais été fait. Et j’ai commencé par de petits tableaux, bien que réaliser des fresques « animées » me trottait depuis longtemps dans la tête… Je n’ai jamais eu peur d’expérimenter, dans ma vie comme dans mon art. Plus encore, j’adore ça !

Dans cette partie mécanique, qu’est-ce qui t’intéresse ? Le mouvement ?
Effectivement. Ayant étudié la mécanique pendant des années, le mouvement me passionne. Au-delà, c’est aussi une façon pour moi, qui travaille déjà sur le vivant à travers le portrait, de rendre mes fresques encore plus vivantes ! D’ailleurs, aujourd’hui, lorsque je peins une fresque « statique », j’ai l’impression qu’elle n’est pas aboutie.

Travailles-tu sur d’autres supports que le mur ? En atelier ?
Les tableaux « mécaniques » que j’ai réalisés par le passé m’ont permis d’arriver aux fresques murales. Le travail d’atelier n’est alors que dans la préparation. J’aime avant tout le gigantisme, la rue, le contact avec la population, notamment les personnes qui n’ont pas accès à l’art… La moitié du temps, j’interviens d’ailleurs dans des quartiers populaires, voire sensibles, même à l’étranger. Je voyage avec mon sac à dos, je loge en auberge de jeunesse ou j’accroche un hamac dans la rue… Cela fait partie de l’aventure et de la cause que j’essaie de défendre !

Laquelle ?
Aider les jeunes qui se sentent perdus, comme je l’ai moi-même été. En cela, le graffiti m’a clairement sauvé. Outre l’accès à l’art pour tous, j’espère que, derrière mes installations, ces jeunes comprennent le message que je leur envoie : « vous pouvez vous en sortir ; trouver ce qui vous passionne ». Et lorsqu’ils me répondent qu’ils ne savent rien faire, j’essaye de leur prouver qu’ils ont tort ! D’ailleurs, beaucoup s’intéressent, viennent me voir travailler, posent des questions… Je leur montre les techniques et certains prennent même le pinceau pour peindre avec moi. Pour chaque projet, quartier populaire ou non, outre la fresque, il y a obligatoirement la dimension de partage. J’organise ainsi le plus souvent possible des ateliers d’initiation.

Je suppose que tes installations demandent une minutieuse préparation…
Effectivement, c’est une longue préparation en amont… Une vraie « mission » pour expédier le matériel, gérer les mauvaises surprises lors de la réalisation… Sur place, je travaille à la bombe pour les détails et à l’acrylique pour le fond, notamment les grands aplats de couleurs. Ensuite, il y a la partie mécanisation pour laquelle j’utilise la plupart du temps des panneaux solaires, un choix écologique ! Il m’est arrivé de travailler 5 jours et nuits sans m’arrêter pour finir dans le temps imparti. Lorsque je suis rentré en France, j’ai dormi durant une semaine.

Comment choisis-tu la partie que tu vas mettre en mouvement ?
Selon l’inspiration et l’observation de ce qui m’entoure. Le plus souvent, tout part du mouvement. Par exemple, si je croise une fille dans la rue qui tient dans sa main un éventail, j’imagine comment mécaniser l’éventail. Ensuite seulement, je cherche le visage le plus adapté. Dans les quartiers, les gens étant entourés de béton, j’ai cherché à leur apporter de la couleur. J’ai donc mécanisé des fleurs pour ajouter une touche colorée à mes peintures. Sur la Marianne, ce sont les ailes qui bougent…

Le mouvement est-il permanent ?
Non. En général, je propose que le mouvement se déclenche chaque jour pendant deux ou trois heures dans la journée. Il suffit que je programme la mise en marche définie en amont. Comme un rendez-vous pour les résidents qui peuvent alors se rencontrer, échanger, partager… Je pense que ce côté « événement » est plus intéressant. Je réfléchis néanmoins à d’autres systèmes…

Tu interviens principalement dans la rue. On a donc peu de chance de te voir en galerie…
Aujourd’hui, il est vrai que je prends énormément de plaisir à travers mes voyages et mes installations dans la rue. Je sais pourtant qu’à un moment, je retournerais à un travail d’atelier, notamment en volume, pour exposer, sinon en galerie, plutôt dans une institution. Peut-être l’année prochaine… Je souhaite auparavant réaliser davantage de fresques mécaniques afin de marquer mon identité.

Certaines sont-elles déjà programmées ?
Oui, surtout à l’étranger, car j’ai envie que les peintures mécaniques voyagent en dehors des frontières de l’Hexagone. Et ma récompense reste de voir la réaction du public. Je me dis que, malgré ce travail de fou, cela valait le coup !