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Rencontre

RNST, un passager clandestin sarcastique

Avec ses « gamins énervés », RNST fait mouche, fustigeant les travers d’une société malade, imposant avec force des idées humanistes et humanitaires.

Par des œuvres incisives parfois soulignées d’une courte légende, RNST livre ses révoltes, ses combats. Derrière la vigueur de ses charges d’une touchante sincérité, où la pensée critique le dispute à l’esprit caustique, l’enfant terrible dévoile pourtant une étonnante douceur. Ainsi, la dureté du sujet est-elle contrebalancée par la fragilité intrinsèque de l’enfance, ouvrant alors plusieurs niveaux de lecture. Puisant ses sujets dans l’actualité, à l’image d’un « dessinateur de presse », l’artiste renouvelle les pratiques autant que les questionnements, réveillant l’enfant qui sommeille en nous.

Quel est ton parcours ?
En échec scolaire, j’ai commencé à dessiner très jeune…, heureusement car j’aurais pu très mal tourner. Après avoir graffé toutes les tables du collège [rire], j’ai été orienté vers un CAP tailleur de pierre… avant d’entrer aux Beaux-Arts de Dijon, grâce à une rencontre, où je suis resté très peu de temps !

Comment était alors la scène urbaine dijonnaise ?
Inexistante lorsque j’ai commencé le graffiti, des lettres à la new-yorkaise dans les années 90. La ville, dont le slogan était « Dijon ville propre », ne comptait que quelques tags vandales ! Tu pouvais peindre toute la nuit, le lendemain matin tout était effacé ! Un vrai désert culturel. Dès 1995, nous allions graffer dans des terrains vagues puis, ensuite, aux anciennes tanneries, un squat libertaire où était la scène punk et où le graffiti était toléré.

Pourquoi as-tu changé de blaze ?
Pour éviter que l’on me trouve après que toute la bande se soit fait arrêter alors que j’ai réussi à passer entre les mailles du filet. De GEST, je suis passé à RNEST d’une part pour conserver le ST que j’aimais graffer, d’autre part pour prendre le contrepied des blazes américains à la mode à l’époque en choisissant un mon « vieille France ». Et c’est aussi une référence au Che.

Alors que tu dessines, pourquoi le pochoir, l’affiche et la sérigraphie ?
Parce que, en vandale, il faut aller vite ! Pour autant, j’ai toujours été passionné par l’affichage et le collage, que j’utilisais d’ailleurs dans la rue comme des tags, en référence à la mouvance punk, inconditionnelle du « do it yourself ». Mais je n’avais pas de règle. Dans les années 90, il n’existait pas autant de clivage qu’aujourd’hui entre les pochoiristes, les affichistes, les graffeurs… À l’époque, tu étais content de rencontrer un mec qui peignait parce que l’on n’était pas nombreux à le faire… Dès le départ, je me suis intéressé à la sérigraphie… que j’ai appris plus tard par moi-même, en référence à mai 68, allant jusqu’à fabriquer mes encres. J’ai même formé certaines personnes à ces deux techniques artisanales.

Après Dijon, tu es parti dans le sud…
Je suis parti car je ne supportais plus la pression permanente de la police. Dans le Sud en revanche, c’était la fête au village côté graffiti, aucune répression, notamment à Marseille et ses alentours, à Avignon… où mes pièces sont d’ailleurs encore visibles. Puis j’ai rencontré quelqu’un, eu un gamin… J’ai été manager d’un groupe de reggae, j’ai participé au montage d’une salle de concert, créé une agence de design graphique… Ma créativité n’était pas axée uniquement sur l’art. Surtout, j’ai longtemps été radicalement anti-système, au point qu’exposer en galerie ou même peindre sur toile m’était impossible. Mon seul terrain était la rue ! Je me suis ainsi laissé aller jusqu’à ce que je tombe gravement malade… ce qui m’a fait voir la vie différemment. C’est à cette période qu’est né RNST avec son identité : le côté rock punk, la sérigraphie…

Ton côté libertaire refusait le rapport à l’argent…
Quand tu vis dans le milieu alternatif, l’argent est un questionnement incessant. Et quand l’art devient un business, c’est compliqué… Mais j’ai compris que l’on n’a qu’une vie… à condition d’être clair avec soi-même… et je le suis. Le peu d’argent que je gagne, je le réinvestis dans des projets qui permettent à d’autres d’en profiter, notamment en tirant des sérigraphies en soutien aux migrants, à des salles de concerts, à des cheminots en grève…, par des performances gratuites pour des associations… Pour moi, l’argent est un moyen et non une fin.

Les migrants sont un sujet qui semble te tenir à cœur…
Parce que l’on est tous égaux et qu’il ne devrait pas y avoir de frontière ! Cela me choque qu’on laisse crever les gens. J’en pleure ! Je suis content de ne pas habiter à côté de Cédric Herrou, inculpé de « délit de solidarité » ! Là, on a vraiment touché le fond ! Depuis, c’est l’escalade, entre le tout sécuritaire, les problèmes migratoires, les stigmatisations à outrance… comment ne pas être en colère ?

Comment as-tu finalement accepté de vendre ton travail ?
En ayant vu évoluer des personnes autour de moi, notamment mon pote Stéph Moscato qui n’a pas eu l’air traumatisé d’entrer en galerie [rire]. Je bosse avec Ben [Le Lavo//matik, NDLR], un mec sincère et authentique qui a tout plaqué pour ouvrir la plus petite galerie de Paris par amour, et cela a du sens pour moi, mais aussi avec Bear Galerie à Uzès qui m’a découvert dans un squat à Nîmes… Je vends également en direct les sérigraphies que je réalise moi-même à l’atelier. Les œuvres uniques, je les réserve pour les expos. Le process est assez long entre le dessin, la composition graphique et la création du pochoir… D’autant qu’il faut que l’affiche raconte quelque chose, qu’elle interpelle.

Pourquoi as-tu choisi le langage de l’enfance pour exprimer cette colère ?
Parce que l’enfance est une « juste » colère. Mon travail dévoile ainsi mon enfant intérieur, terrible, agité, mais aussi le tien ! J’ai envie de parler à l’enfant intérieur de chacun. Pour que chaque adulte se « détente » un peu, qu’il se rappelle que l’enfance est insouciante et rebelle. Je crois que, pour toucher quelqu’un, il faut aller chercher l’enfant qui est en lui, sa fragilité, le sens même d’une relation basée sur un sentiment d’égalité et de partage d’émotions. L’enfance est fragile, précieuse et ne dure pas longtemps. Plus on vieillit, plus on perd cette fragilité, cette sensibilité. Saint-Exupéry l’a très bien décrit lorsque Le Petit Prince dessine un boa avec un éléphant dans le ventre et que les adultes y voient un chapeau.

Pourquoi tes petits agités sont-ils masqués ?
Parce qu’ils sont clandestins. Ne sommes-nous pas tous des passagers clandestins ? Le masque, apparu dans mon travail lors de la première vague de migrants, fait le lien avec l’apparition du face tracking mais aussi avec le petit enfant et son masque de Zorro qui est en nous. Ce masque ne parle pas de violence, qui est un langage d’adulte, mais de l’ambivalence entre « force » et « fragilité », à l’image de l’arbre dont les racines creusent la terre et cassent le roc en regard de la vulnérabilité de ses feuilles. L’image que je propose n’est donc pas violente mais dure, afin de marquer le spectateur aussi profondément qu’une racine s’ancre dans le sol. Je vais là où ça le titille et, en retour, je me prends parfois des « coups de bâton » verbaux ou intellectuels… mais c’est bien, même si ce ne sont que des gamins énervés…

Utiliser des enfants n’adoucit-il pas ton propos ?
Je crois que l’enfance facilite surtout la réception du message… J’aime la colère mais j’aime aussi la douceur et mes choix graphiques le prouvent. Cela dépend également de ce dont j’ai envie de parler, à l’image de No one is illegal en soutien à la famille iraquienne ou Le vol des abeilles, deux œuvres assez douces, bien que le côté noir et tranché de mon dessin apporte une certaine dureté. Je suis fragile, doux, mais très colérique et soupe au lait… et je n’ai jamais été violent, même si je me suis battu pour me défendre.

Tu parles beaucoup de l’enfance…
Parce que je suis un enfant…

Certaines de tes œuvres s’accompagnent d’une punchline…
Parfois, la punchline précède le dessin, d’autres fois, elle est en contradiction avec l’image, comme avec « Moi j’ai fait la guerre, Monsieur !!! », illustré par deux personnes assises sur un canapé en train de fumer des clopes et de boire une bière. Certaines encore sont extraites d’un long pamphlet comme dans Je me souviens. J’aime ce double langage entre la phrase et l’illustration, les jeux de mots… mon côté libertaire sans doute.

Comment travailles-tu ?
Comme un dessinateur de presse, en réaction à l’actualité. Chacun des dessins est donc lié à une histoire, un événement, un fait qui m’a touché. Si j’étais Black bloc, je serais toujours dans la rue à foutre le feu… Je l’ai fait plus jeune et cela n’a servi à rien, à part me faire gazer [rire]. Mon travail raconte cette lutte permanente pour la liberté, qui est pour moi essentielle, un principe indissociable de toute vie. Et si j’interviens dans la rue, c’est pour qu’il y ait une résonance directe. Avec RNST, que j’ai créé en 2009, j’ai voulu garder mon âme revendicatrice.

L’art peut-il faire bouger les choses ?
Une grande question… d’autant que je fais non pas de l’art mais de l’illustration, que je colle principalement dans la rue, en vandale, ce qui est essentiel pour moi.

Es-tu un artiste engagé…
Impliqué plutôt qu’engagé… bien que je n’aime pas réduire les choses à un mot. Mais toute action sociale n’est-elle pas politique et vice versa ?

Après 20 ans dans le sud, tu es revenu à Dijon…
Il y a seulement 4 ans. J’ai retrouvé la scène punk rock et son énergie et reçu un accueil plutôt favorable de la mairie avec le projet du M.U.R pour faire découvrir l’Art Urbain, bien accepté par les riverains d’ailleurs. J’ai également créé le festival Banana Pschit, en octobre, pour développer cette culture qui m’est chère… Nous avons réalisé plusieurs grosses pièces, nous construisons également des modules devant le musée des Beaux-Arts…

Tu fais entrer l’Art Urbain dans le musée ?
C’est en pourparlers… La boutique du musée a déjà pris deux de mes pièces. Il y a une réelle ouverture, notamment grâce à Christine Martin, adjointe au maire de Dijon chargée de culture. La mairie a compris que la culture était primordiale pour le lien social.

Le Street Art comme expression de la révolte, n’est-ce pas un peu cliché ?
Pire, ça n’existe plus ! Nous sommes loin des années 2000 où l’essence même de ce courant était non pas la révolte, trop réducteur, mais un coup de gueule qui a donné naissance à un courant artistique qui dure dans le temps, même si une scission existe entre le graffiti vandale et l’Art Urbain. À l’époque, le mur, ce n’était pas sur Facebook ! J’appartiens à la dernière génération qui a connu le monde sans Internet. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la rue reste mon support prioritaire, même si je poste sur Instagram afin de faire passer le message au plus grand nombre.

Quels sont tes projets ?
« No future » !… Je fais le M.U.R de rennes du 25 au 28 février puis celui d’Aix-les-Bains du 28 mars au 1er avril. Du 25 au 29 mai, je participe à un festival jam graffiti à Bergerac. Et dès le 24 juin, un solo show au Lavo//matik.

À voir
Le Lavo//matik
20 Bd du Général d’Armée Jean Simon 75013 Paris
lelavomatik.com

RNST : rnst-art.com
Instagram : @rnst_art