Photographe, collagiste, muraliste… Softtwix, à travers son projet E.Doll, s’exprime avec puissance par des portraits lumineux qui, placés dans un écrin, jaillissent des ténèbres.
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2. E-Doll 80. Pour l’artiste, à la fois photographe, muraliste, collagiste… les retouches se font au pinceau.
Son travail en noir et blanc, porteur de pureté voire même d’apaisement, elle le réalise elle-même de bout en bout, des prises de vue à la composition, de l’impression à l’installation. « Je passe souvent une journée entière à assembler différents portraits – des yeux, une bouche, des pommettes… – pour voir apparaître la femme que je cherche, à trouver l’équilibre d’un visage tout en gardant l’asymétrie et la vérité d’un individu. Puis, je lui crée des cicatrices, reflet de son histoire, de ses blessures… », explique l’artiste. Ces créations, caractérisées par leurs remarquables contrastes, leurs blancs détaillés et leurs noirs profonds, s’imposent alors aux yeux de tous. Dans l’espace public, Softwix fusionne chaque portrait avec le mur, choisissant l’architecture adéquate. Dans les lieux d’exposition, elle crée les éléments nécessaires pour « amener l’extérieur à l’intérieur ». En urbex, elle placer son E.Doll comme une décoration, « une manière de redonner vie à un lieu abandonné. L’insertion prend alors la forme d’un petit écrin, rappelant l’époque où il était habité ». Pour l’artiste, l’année 2023 a été particulièrement dense, avec notamment trois réalisations XXL… à voir absolument !

Hommage à Albertine Sarrazin
Parmi ses travaux les plus récents, une installation magistrale au sein de la citadelle de Doullens, forteresse transformée en prison pour femmes. Investissant la cellule dans laquelle Albertine Sarrazin a été enfermée, l’artiste a ainsi rendu un vibrant hommage à l’auteure de L’Astragale. Une œuvre qui a nécessité une longue préparation. « Je devais d’abord cerner sa personnalité ». Pour cela, Softtwix ne n’est pas contentée de lire le récit autobiographique de son évasion spectaculaire, « lors de laquelle elle s’est brisée l’astragale, un os du pied », et de la cavale qui a suivi. Exigeante et passionnée, l’artiste a dévoré tous les écrits d’Albertine Sarrazin. « À travers ses mots, j’ai pu la « rencontrer« , « partager » un moment avec elle. Un vrai coup de cœur pour cette jeune femme qui, malgré ce qu’elle a vécu, reste d’une pureté et d’une intégrité magnifique ».



5. Albertine Sarrazin, la porte.
6. Albertine Sarrazin, les murs.
Cette plongée dans la vie, le destin et la personnalité d’Albertine Sarrazin au prisme de l’artiste est saisissante. Devant la cellule, par le judas, le visage expressif de la détenue apparaît avec « ses petits yeux coquins et sa bouche qui remonte à gauche et descend à droite lorsqu’elle sourit ». D’attachantes particularités « qui, si l’on n’y prend pas garde, apparaissent comme un défaut sur une image figée, donc complexes à travailler ». Un défi que l’artiste a relevé tant la puissance du regard capte déjà l’attention. La porte franchie, l’émotion s’amplifie devant ce visage lumineux mais blessé, installé en haut des marches qui se fondent dans le sol de la cellule, et qui semble « s’animer » au fur et à mesure que l’on s’avance vers lui. « Ces marches lui redonnent une certaine dignité… ». Une rencontre de laquelle il est difficile de s’extraire, d’autant que la volte face est surprenante. En recouvrant les murs de pages de livres, non pas simplement offerts et visibles mais teintés, l’artiste convoque une seconde lecture de l’œuvre, un second face à face. « Claires autour de la porte, les pages s’assombrissent au fur et à mesure que l’on retourne vers le visage », l’obligeant à revenir sur ses pas, au plus près du portrait. « Se faire éditer fut pour cette femme plusieurs fois emprisonnée une victoire. Il m’a donc semblé important de plonger le spectateur au cœur de ses écrits ».


8. E-Doll 74.
S’approprier l’espace
La même puissance se retrouve dans chacune de ses E-Doll, toujours encadrés d’éléments architecturaux. « Comme Albertine Sarrazin, elles portent sur le visage les cicatrices de leur histoire, en réaction à l’injonction que la femme, quoi qu’elle vive, doit rester fraîche, belle et dispo, sans que rien ne marque ni son visage ni son corps ». Pour chaque projet, l’artiste s’impose ainsi une immersion totale, entraînant inévitablement à sa suite le spectateur. La Résidence Mont-Blanc à Rillieux-la-Pape (accessible au public périodiquement et gratuitement), où Sofftwix a réalisé l’un des appartements-œuvres, en est un parfait exemple. « Je n’avais jamais entendu parler de ce type de projet auparavant ; c’était donc pour moi un challenge ». Une réalisation que Sofftwix a pris à bras le corps en restructurant totalement l’espace, pour une visite immersive percutante.

Dans le salon, l’artiste a réalisé un recouvrement totalement, façonnant un mur de briques y compris sur les fenêtres, « la lumière étant une partie importante de mon travail », ce qui lui permet pour jouer avec une composition en vis-à-vis : l’E.Doll 75, placé dans l’alcôve, fait face à une seconde alcôve et un autre mur de briques, par dessus lequel elle distingue un morceau de ciel. « Dans mon travail, j’aime utiliser des éléments architecturaux afin d’amener l’extérieur à l’intérieur, mais aussi jouer des contrastes, comme cette E.Doll qui aperçoit le ciel et non la cité autour de l’immeuble, ou la brique en lieu et place du béton environnant . De même, je souhaitais que les visiteurs se retrouvent dans la rue alors qu’ils sont dans un appartement ». Ce face à face entre le visiteur et l’E.Doll 76 enfermée dans un cube s’intensifie encore dans la deuxième pièce avec une proximité troublante… qui s’amoindrit dans la troisième pièce, l’E.Doll 77 regardant la cité par la fenêtre, libérant alors le visiteur de son emprise. Un parcours remarquablement articulé qui laisse entrevoir l’histoire… trois visions différente du monde.

Créatrice d’émotions
En présentant ses E.Dolls dans des éléments architecturaux choisis avec soin, Sofftwix crée non seulement une mise en abyme qui renvoie aussi bien à une réalité qu’à une émotion. Cette tendance à placer la femme sur un piédestal, c’est-à-dire proposé à l’admiration de tous, l’artiste l’a d’ailleurs exploitée dans l’exposition « À contre-emploi » à la Collégiale Saint-Martin d’Angers. « Les contraintes liées à ce lieu patrimonial m’ont largement nourri, puisque mes E.Doll s’insèrent dans des écrins, que je crée ou que je découvre dans l’espace public…, écrin transformé à La Collégiale en temple ». Encadrées par des colonnes antiques et séparées par un escalier, deux E.Doll s’imposent dans un effet trompe-l’œil magistral. « En harmonie l’une avec l’autre, les deux E.Doll pourraient être jumelles, et pourtant… ». À bien y regarder, on comprend en effet qu’aux traits angéliques de l’une répondent les traits diaboliques de l’autre. « J’ai réellement voulu être « À contre-emploi » pour cette installation dans la plus vieille église d’Angers, en jouant avec l’ange, le diable et l’esclalier », s’amusent Sofftwix, parfaitement consciente de « chatouiller » sa conscience et la notre en marquant avec justesse la dualité qui est en chacun de nous et des choix que l’on doit régulièrement faire. Ne sommes-nous pas toutes et tous à la fois ange et démon ? Devant cette œuvre, où vous situez-vous ? Et monterez-vous l’escalier pour découvrir ce qu’il y a en haut ?