En jouant des métamorphoses de la perception, Speedy Graphito invite à une relecture de l’image sous toutes ses formes, pour une expérience sensorielle audacieuse.

Dans une société saturée par les images, où chaque regard semble dicté par des codes invisibles, Speedy Graphito propose à chacun un salutaire exercice de déconstruction. Les œuvres exposées appellent ainsi à une réflexion sur la place de l’image dans notre quotidien, tout en confrontant notre perception formatée. Effets de surprise, illusion optique, perception de l’espace, jeux de couleurs…, l’artiste bouleverse nos repères visuels et mentaux, déjouant nos attentes et nos habitudes. Il ne s’agit plus alors de simplement voir, mais de décoder, de reconsidérer l’image dans toutes ses dimensions. Ce qui fait la force de cette exposition ? L’interaction qu’elle exige du spectateur. Loin d’être un simple observateur passif, ce dernier devient acteur principal, nécessaire à l’activation du dispositif artistique. Les œuvres, surprenantes et énigmatiques, ne prennent véritablement forme qu’à travers le regard de chacun, nous rappelant que l’art ne trouve sa signification que dans l’échange avec celui qui le contemple. Speedy Graphito orchestre une expérience sensorielle audacieuse, où le spectateur est invité à se perdre pour mieux se retrouver.

On te connaît plusieurs styles, pourquoi ce changement permanent ?
Ce n’est pas calculé. C’est l’attrait pour la découverte qui stimule ma curiosité. Je ne suis pas dans une démarche définie par les lois du marché où le style vaut pour signature. Je considère mes œuvres un peu comme les cailloux du Petit Poucet, les repères de ma pensée artistique. L’intérêt de mon travail n’est pas dans l’œuvre elle-même, mais dans les passages de sa métamorphose. La vraie thématique de mes recherches est l’évolution de la pensée à travers son histoire, ou comment l’esprit construit son devenir à partir de son passé. J’aime créer des univers tridimensionnels où le spectateur n’est pas juste devant une fenêtre, mais à l’intérieur même de la pensée de l’artiste. Je conçois donc mes expositions comme des mondes à part entière où chaque œuvre exposée est la pièce d’un puzzle formant ma pensée artistique de l’instant.

Comment est né ce projet ?
Nicolas [Laugero Lasserre, NDLR], qui avait envie depuis quelque temps déjà que je fasse quelque chose sur Fluctuart… me l’a proposé. Tout est partie de là. Christophe Rioli [ArtFive Gallery, NDLR], mon galeriste et curateur de l’événement, a organisé la visite de la péniche. Comme souvent lorsque je découvre un lieu, arrive un moment où je rêve de l’expo. En me réveillant, je note mes idées.
Quelle thématique as-tu choisi d’exprimer pour cette exposition ?
Dans un monde où l’image est omniprésente et reconnue comme source de propagande idéologique, où les frontières entre la réalité et la fiction se confondent, j’ai cherché à emmener le spectateur dans un parcours éducatif et ludique. Le choix des œuvres exposées proposent différents points de vue sur notre rapport à l’image. J’ai voulu mettre en avant l’influence des images dans notre société moderne et son pouvoir sur notre perception. J’aimerai que les visiteurs repartent de cette exposition avec un regard neuf, loin des a priori qu’ils pouvaient avoir lors de leur arrivée.

L’immersion est donc une composante importante de l’exposition ?
Absolument. J’ai toujours invité les spectateurs à vivre des sensations nouvelles, que j’aime moi-même vivre dans ma création d’ailleurs. Suite à mes expériences passées, j’ai eu envie de développer ce rapport à l’œuvre, le fait de changer le regard, la perception du spectateur, de jouer sur le côté immersif… un concept qui m’intéresse depuis toujours. Déjà en 1985, pour « Meurtre dans un château anglais », ma toute première expo, j’avais peint toute la galerie Polaris en fausses pierres de château, installé des tentures, des meubles avec de la vaisselle, des poutres au plafond… Pour « La Grande Illusion », j’ai imaginé à l’origine investir totalement l’espace de créations en volume. Mais Fluctuart recevant du public pour des conférences, des projections, des ateliers enfants…, je suis revenu sur un projet un peu plus « collé au mur ». Certaines idées se sont ainsi simplifiées, d’autres se sont développées au fur et à mesure, en tenant compte des spécificités du lieu, comme la coursive très étroite ou les alcôves assez singulières. Je n’aurais évidemment pas conçu cette exposition de la même manière dans un autre bâtiment.
Pourquoi « La grande illusion » ?
Le mot illusion – quelque chose que l’on croit voir, mais qui n’est pas – illustre parfaitement ce que je souhaite raconter : les métamorphoses de la perception. Toutes les œuvres sont ainsi mouvantes suivant le déplacement du spectateur dans l’espace.

Que va-t-on découvrir ?
Plutôt des installations, une partie de mon travail que les gens ne connaissent pas forcément, ce que permet l’atout d’un espace muséal comme Fluctuart et ce que révèle également le livre qui sortira en octobre [Speedy Graphito – La grande illusion, Éditions Alternatives, NDLR]. Elles prendront place dans les différents espaces de Fluctuart.
Quelle scénographie as-tu imaginé ?
Je propose différentes parties pour différents regards. Ainsi, suite logique de mes derniers travaux, la série Optique et Cinétique propose au spectateur une participation active, un effet de double lecture. Les bandes de tissu peintes et colorées se métamorphosent en fonction du déplacement de l’observateur, donnant ainsi une perspective à la couleur. La couleur n’est plus symbolique, elle devient une dimension vibratoire tridimensionnelle. La Grande Fresque sur l’histoire de l’art s’attache davantage à ce que les gens peuvent connaître de mon travail. Elle enchaîne les styles et les époques, chaque courant se nourrissant ou s’opposant, chacun marquant la pensée créative des grandes révolutions sociétales. L’ensemble exprime un tout, un brassage culturel, l’empreinte indélébile de notre évolution. Plus rétrospectif, L’Empire des Pixels, où des points colorés s’assemblent pour révéler une image proche des jeux vidéo old school en 8-bits de notre enfance, transporte le spectateur dans un monde numérique surdimensionné. Des images pixelisées grand format nous contraignent à un recul nécessaire pour en voir la figuration. La distance entre nous et l’œuvre altère notre vision par un paradoxe physique. Plus on s’éloigne, plus elle devient visible. Les Mondes Invisibles délivrent une double lecture par un jeu de filtres colorés et révèlent des phrases ou des mondes cachés par un jeu de cache-cache. Enfin, dans la coursive, des écrans scrollent des images animées sous formes d’extraits de films, clips, performances… que j’ai mis en musique moi-même. Cette bande-son crée une certaine ambiance et permet de mieux comprendre ce que j’ai ressenti lors du processus de création.

Cette scénographie résume-t-elle ton parcours ?
Elle présente plutôt plusieurs facettes de mon travail. Le lieu offre trois espaces distincts avec chacun leur spécificité. Chaque salle offre ainsi une cohérence pour une véritable immersion.
À travers cette exposition, tu invites chacun à une relecture de l’image. Quel est donc le pouvoir de l’image ?
Celui de nous manipuler. Par l’image, notre regard est formaté et contrôlé. Pire, avec l’IA, il devient difficile de distinguer réalité et fiction. Face à elle, nous sommes tous fragiles et facilement manipulables. J’ai seulement envie que chacun en prenne conscience.
Si l’image a ce pouvoir, quel est celui de tes œuvres ?
L’éveil, j’espère ! Par mon travail, je cherche à éduquer notre regard, le mien d’abord et celui de ceux qui le souhaitent ensuite, face à toutes les images que l’on reçoit. Une façon de prendre du recul, de se sentir plus libre, de comprendre ce que l’on regarde. D’ailleurs, on croit voir ce que l’on voit, mais on voit ce que l’on pense. Ainsi, dans mes œuvres, chacun doit trouver ce qu’il cherche… Et il y a autant de réponses que d’observateurs.
À voir
« La Grande Illusion »
Jusqu’au 22 décembre 2024
Tous les jours de 12h à 01h
Entrée libre
Fluctuart
Pont des Invalides 2 port du Gros Caillou 75007 Paris
fluctuart.fr
Instagram : @fluctuart
Speedy Graphito : speedygraphito.free.fr
Instagram : @speedygraphito