Constituées d’une accumulation de gestes et de traces, les œuvres de Tom Geleb bâtissent entre elles un réseau visuel significatif, propice à la fois à l’évasion et à la réflexion.

Processus polymorphe et plus complexe qu’il n’y paraît, la répétition est un mode opératoire fait de gestes, de formes et d’actions répétitives. Pour Tom Geleb, les lignes, les motifs, le rythme et Téva, le « souffleur de cœur », qu’il trace inlassablement jour après jour sur une multitude de supports, s’apparentent à une quête, celle de transmettre au plus grand nombre des messages d’amour. Chorégraphie hypnotique, cet acte de création virtuose nous invite à emprunter un chemin poétique à travers des œuvres de plus en plus prégnantes à mesure qu’on les regarde, produisant chez chacun des expériences singulières.
Qu’est-ce qui t’a marqué dans ta jeunesse polynésienne pour que ce soit toujours ta source d’inspiration ?
J’ai toujours dessiné de différentes manières, dessins réalistes, bandes dessinées… En arrivant à Paris, comme je m’ennuyais dans les transports, je me suis remis à dessiner, traçant notamment des ronds. De ces ronds sont nés les formes, les motifs, inspirés par la Polynésie et ce que j’ai pu y vivre, mais de manière totalement inconsciente. J’ai simplement accepté ce qui venait à moi et qui caractérise aujourd’hui mon style. Je travaille d’ailleurs souvent à l’instinct, de manière intuitive.


2. Sans titre, acrylique sur toile, 29,7 x 42 cm.
Comment et pourquoi est né Téva ?
Ce personnage est né deux jours après la fusillade du Bataclan – j’étais alors à moins de 100 mètres. En réaction, choqué comme le monde entier, j’ai dessiné deux heures après ce visage qui souffle un cœur. Ce n’est que plus tard que je l’ai baptisé Téva, prénom tahitien, mixte – ce qui était important pour moi – qui signifie grand voyageur, un mot également utilisé pour parler de la pluie. Téva est ainsi devenu l’élément principale de mes compositions.
Téva est-il ton double ?
Jusqu’à récemment, Téva était clairement détaché de moi, à tel point que ma petite fille le considère comme son frère [rire]. Mais un soir, en me concentrant sur ma respiration parce que je n’arrivais pas à dormir, il m’est apparu en volume. C’était très étrange… Depuis, j’ai souvent l’impression qu’il m’accompagne…

Alors que ce personnage porte un message d’amour, ton travail est pourtant un peu sombre à première vue…
Il est sombre uniquement par ses lignes évoquant le tatouage polynésien, mais aussi la Bretagne, une terre qui m’inspire également et dont pas mal de symboles sont noirs, comme les triskells, les hermines… Téva, en tant que « souffleur de cœur », est là pour véhiculer de l’amour. Quand il est né, je l’ai d’abord peint sur des morceaux de carrelage que j’ai collés dans les rues de Paris, afin de diffuser au maximum ce sentiment… Et il va prochainement y retourner sous une forme différente !


5. Sans titre, encre et encre de Chine sur papier, 24 x 32 cm.
Quelle est le sens de cette répétition de lignes, de motifs ? Traduit-elle une forme d’obsession ?
Parfois les lignes noires sont vides ; parfois elles sont remplies de motifs… Le geste m’apaise, mais me permet également de réfléchir, de remettre en place toutes les pensées qui se bousculent dans ma tête. Dessiner et peindre est ainsi clairement pour moi une obsession, un besoin… qui mène à l’évasion. J’éprouve la même sensation que lorsque, plus jeune, je faisais du sport à haut niveau. Je trace ces formes qui reviennent régulièrement de manière inconsciente. Ce n’est qu’ensuite qu’elles prennent tout leur sens, évoquant par exemple une bernique accrochée à un rocher. Cela réveille un souvenir d’enfance : lorsque j’allais ramasser ces coquillages que ma grand-mère cuisinait ensuite. Je « découvre » ainsi souvent le sens une fois l’œuvre terminée. Par exemple, j’ai constaté que je dessinais souvent une « boucle » dans la tête de Téva, comme un nœud à force de réfléchir en permanence…

Essayes-tu de dénouer ce nœud ?
Sans doute puisque, aujourd’hui, ce nœud se transforme parfois en un simple rond…
Ton œuvre semble très connectée à la nature…
Probablement, mais de manière inconsciente.
Tu as d’ailleurs travaillé sur le sable…
Depuis petit, entre la Bretagne et la Polynésie, j’ai toujours été entouré d’eau, avec l’envie de dessiner sur le sable. Lorsque j’ai rencontré l’artiste brestois Pierre Malma, ce projet a pris forme à travers L’ombre des nuages. Avec ces immenses dessins sur les plages bretonnes [L’homme Sable par Pierre Malma ; Téva par Tom Geleb, NDLR], l’association souhaite questionner le rapport de l’homme à la nature, leur fragilité respective, et d’inverser la domination humaine de façon poétique par des œuvres éphémères – dont la réalisation et la disparition sont filmées par un drone –, mais aussi la médiation.


8. Sans titre, acrylique sur papier, 24 x 32 cm.
Travailler le sable, cela t’a-t-il plu ?
Énormément… dans un processus proche d’une danse par le mouvement du corps ! Entre le vent, les mouettes, le bruit des vagues sur la plage… des sensations magnifiques !
Tu parles également d’intuitivité pour définir ton travail…
Effectivement, je travaille de manière intuitive. Souvent d’ailleurs, en composant une pièce, l’idée du dessin suivant s’impose. Un processus qui forme des séries après coup. Cet été par exemple, j’ai bossé autour du totem… et je me retrouve aujourd’hui avec plus d’une cinquantaine de dessins en format A5 !
La couleur est peu présente dans ton œuvre. Comment l’expliques-tu ?
J’ai toujours été attiré par le noir et blanc. Dans mes œuvres, je cherche l’équilibre afin qu’il n’y ait pas de zones plus foncées que d’autres. Surtout, lorsque j’ai mis de la couleur entre les lignes noires, non seulement la force du message s’en trouvait amoindri, mais le rendu visuel ne m’a pas convaincu. Pour autant, la couleur – notamment les nuances organiques pour leur côté brut – apparaît dans certaines pièces autour de Téva, alors en osmose avec la nature. J’aime ainsi qu’il y ait plusieurs niveaux de lecture.



10. Sans titre, acrylique sur papier, 14,8 x 21 cm.
11. Sans titre, acrylique sur papier, 14,8 x 21 cm.
Tu peins sur de multiples supports et médiums…
Effectivement, pour moi, il n’y a pas de limite à ce que l’on peut faire. Multiplier les supports reste donc particulièrement motivant. Et c’est aussi un challenge ! J’utilise d’ailleurs de plus en plus le pinceau, l’acrylique et l’encre de Chine, même dans la rue. En ce moment par exemple, ma recherche porte ainsi sur un travail plus brut, plus crayonné.
Pourquoi tes œuvres n’ont pas de titre ?
Simplement parce que je trouve que nommer une œuvre dirige la lecture…
As-tu déjà collaboré avec des marques ?
Cela m’est arrivé. Avec Ikea par exemple, j’ai customisé du mobilier lors de la Paris Design Week. L’idée était de montrer qu’avec un simple Posca, un meuble peut devenir une œuvre unique. Avec le maître d’art Serge Amoruso, spécialiste du sur-mesure en haute maroquinerie qui façonne toutes ses pièces à l’unité, nous avons présenté au Petit Palais un trompe-l’œil, deux sacs à mains aux motifs de mon personnage se cachant au premier regard dans la toile.

Quels sont tes projets ?
Je participe en octobre à l’exposition collective « Accumulation » au 3e Cercle avec Wawapod et Le D, qui présente nos travaux respectifs, mais également quelques œuvres en collaboration ; en novembre, avec NAG La Réserve, à un projet hors les murs avec La Parenthèse. D’ici la fin de l’année, deux collaborations sont prévues : l’une avec la céramiste Léa Dekens avec laquelle j’ai déjà travaillé ; l’autre avec la chocolaterie Joséphine Vannier [4 rue du Pas de la Mule, 75003 Paris, NDLR] mes dessins prendront place sur des tablettes de chocolat et d’autres surprises en volume. Enfin, je prépare un solo show baptisé « Liens » où des œuvres en couleur tissent le lien entre les lignes, entre Téva et moi, entre les visiteurs… À cette occasion, j’invite chacun à une « chasse aux trésors » puisque, dès début octobre, je déposerai dans les rues d’Île de France de petites enveloppes renfermant une œuvre. Un « parcours » qui mènera, je l’espère, chez Lab Galerie [rire].
À voir
« Accumulation »
Jusqu’au 18 octobre 2024
3e Cercle
20 rue de la pierre levée 75011 Paris
« Liens »
Du 21 octobre au 5 novembre 2024
Lab Galerie
3 rue des Boulets 75011 Paris
Instagram : @labgalerieparis
Association L’ombre des nuages : @lombredesnuages
Tom Geleb : @tomgeleb