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Rencontre

Dans les petits papiers de Joachim Romain

Totalement inspiré par l’environnement urbain, l’artiste pluridisciplinaire Joachim Romain, qui intègre photographie, peinture, sculpture, modifie tant et si bien la matière qu’il en résulte une œuvre qui frappe par sa puissance. Comment ne pas être interpellé par les griffures et les déchirures mais aussi les couleurs et les volumes ? Un travail où l’urbanité résonne fortement avec la recherche picturale de l’artiste et sa réflexion sur l’accumulation, l’usure, la temporalité, le recyclage… qui provoque l’émotion et invite à l’analyse.
Par Gabrielle Gauthier

 

Street artist, photographe, plasticien… comment vous définissez-vous ?

Plus que de situer mon travail, je vous parlerai de mes influences, mes inspirations. Mon coté street artist est pour moi avant tout un ressenti de la rue, une attirance pour l’urbain, bien plus que la recherche absolue du mur à peindre. Mes travaux se nourrissent de pratiques et techniques qui me relient à une démarche d’art plastique.

 

Votre expérience de la publicité explique-t-elle votre « fascination » pour le papier, l’affiche, la typographie ?

Héhé, la pub m’a clairement éclairé et éveillé sur la beauté de la typographie, sublimée avant tout par l’impression, même si, via le numérique, on la retrouve et on en joue comme dans ma série photographique « Fast_Shop ». La typographie est partout et nous drive tout le temps. C’est un repère.

 

Comment avez vous découvert votre style ?

Un long chemin… J’ai commencé par la photographie vers 15 ans. J’ai shooté mes amis mais aussi mon environnement sur le port du Havre où se mixe l’usure et la rouille. De là, j’ai avancé, inspiré par mon environnement urbain en prenant des typos usées par le temps, des enseignes de magasins notamment. C’est lors d’un séjour à Sarajevo, en 2006, que j’ai fait mon premier portrait d’homme sur une affiche lacérée et trouée par un éclat de balle. Cela a été le déclencheur, le début de ma recherche artistique sur le portrait. Puis j’ai rajouté du papier, des affiches glanées dans la rue, de la peinture… pour arriver à mon travail d’aujourd’hui associant ou confrontant ces accumulations.

 

Pourriez-vous passer à tout autre chose ?

J’ai essayé de travailler « dans des bureaux » avant d’être à 100% artiste car il fallait bien vivre ! Mais je ne tiens pas en place et cela manquait rapidement et cruellement de créativité. Cela fait plusieurs années désormais que je me concentre sur mes créations et je ne m’imagine plus faire autre chose et faire autrement. Je pense que je finirais ma vie dans mon atelier !

 

Que représente « l’usure » pour vous ?

Quelque chose de hasardeux, unique et beau, un lien avec le passé.

 

Parlez-nous de votre technique…

Ma technique représente vraiment l’évolution de mon travail. Elle intègre la photographie, la peinture, la sculpture. Je peux travailler dans la rue comme en atelier, sur toile comme sur mur. Mais je me nourris de la matière urbaine, des femmes et des hommes de notre société, anonymes, ou célèbres. Je cherche les liens, dans l’espace comme dans le temps, qui traversent nos urbanités.

 

En quoi vos œuvres peuvent-elles également être qualifiées de « sculptures » ?

En fait, quand je travaillais la photographie, le résultat était loin de ce que je prenais en photo. J’ai donc cherché à user mes tirages en les pliants, en les brulant… A partir de la, j’ai réalisé des pièces murales en volume. L’envie de les poser à même le sol est venue naturellement, comme une sculpture.

 

Que se cache-t-il derrière l’esthétisme de vos œuvres ?

Une beauté urbaine bien sûr ! Mais surtout un surplus de cette masse de push d’informations et qui nous envahit, nous use. L’idée est de nous faire consommer notamment. C’est cela que je tente de sublimer par ma démarche artistique. Je suis actuellement attiré par des portraits d’anonymes avec lesquels je retrouve le plaisir de photographier des visages portant leur histoire.

 

Comment se répartit votre travail entre la rue et l’atelier ?

Ça commence avant tout dans la rue, à qui je prends beaucoup… l’affiche surtout. Partout où je voyage, je ramène cette matière première. C’est comme cela que tu peux retrouver dans mes pièces des affiches de LA comme du Havre, du Sri Lanka comme de Berlin ou Saint-Denis… Puis je compose dans mon atelier à Saint-Denis au 6b où je travaille depuis 7 ans.

 

Êtes-vous un artiste engagé ?

Les questions d’écologie et d’environnement m’intéressent et me préoccupent. J’ai pu participé à la COP21 avec des projets artistiques ou à des initiatives artistiques engagés, notamment à Paris. Les questions d’accumulation, d’usure, de temporalité et de recyclage sont au coeur de ma démarche. Mais je suis aussi soucieux pour mes propres pratiques, toutes mes oeuvres sont ainsi réalisées à partir de matériaux récupérés et recyclés. D’ailleurs, une de mes série est intitulée « Affichage libre ». Ce sont des installations urbaines où je joue et sculpte dans la rue à partir de l’affichage sauvage. Je travaille avec ce gaspillage de papiers qui transforme les murs des villes en d’épaisses couches successives de publicités qui inondent notre quotidien. En tant qu’artiste, j’essaie de les sublimer… J’aime ne pas signer ces installations et laisser les gens imaginer ce qu’ils veulent mais je pense que le résultat parle de lui même. Ma série photographique « Fast_Shop », à la limite de l’art numérique, que je présente à la Galerie Art&Craft à Paris en septembre, est aussi une vraie critique sur notre frénésie d’achat. Je shoote des sites de e-commerce en représentant cette consommation rapide et en créant des images hypnotiques. J’ai commencé ce travail en 2009 et il m’a beaucoup ouvert sur mon rôle d’artiste, le regard que l’on peut porter sur la consommation de masse. Mais c’est aussi un travail très sensible, intuitif. Au final, je pense être un artiste engagé ou, du moins, bien critique !

 

Quelles sont les différences entre votre travail dans les rues et en atelier ?

Lors de ses expériences de street artiste, j’accorde beaucoup d’importance à ces installations qui doivent permettre d’offrir des parenthèses artistiques dans la ville. C’est le moment de rencontres, d’échange, du partage. Les gens sont curieux, donnent leur avis. Je fais vraiment le même travail dedans que dehors, même si j’aime être dans mon atelier, mon autre chez moi.

 

Vous avez participé à des projets collectifs comme la Street Art Avenue, ou encore le Festiwall à Paris. Est-ce une dimension importante de l’art urbain ?

Les festivals permettent de montrer son travail, de rencontrer d’autres artistes et un public que l’on ne voit pas dans son atelier ou même en galerie. Il y a une vraie liberté de création. C’est également la possibilité d’avoir accès à des lieux de création assez originaux ou inattendus. Ces festivals ont surtout, je pense, démocratisé les fresques et le fait d’y accéder plus facilement et légalement. Du coup, ils sont aujourd’hui incontournables mais il faut savoir se renouveler. Les galeries elles aussi proposent aux artistes de plus en plus de commandes de peintures murales. Je suis d’ailleurs en pourparlers avec la Galerie Urbaine de Uzes, avec qui je travaille, pour la réalisation d’un mur de plus de 50 x 8 m pour une entreprise locale. Une autre dimension de l’art urbain…

 

 

A voir

Fast_Shop

Du 12 septembre au 12 octobre 2019
Galerie Art&craft
32 bd du général Jean Simon
75013 Paris
www.artscraftsparis.com

Sculpt en sologne 2019
Du 1er au 15 septembre 2019
www.sculptensologne.com

Galerie Urbaine
6 rue Saint-Etienne
30700 Uzès
www.galerieurbaine.com