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Rencontre

SETH ou l’art merveilleux de l’inférence picturale

Derrière une naïveté acidulée, le travail de Seth invite à lire entre les lignes, proposant une réflexion imagée pleine d’émotions et de sens. Ses « jeux d’enfants » nous incitent ainsi à percevoir le monde différemment. Magique !

Seth : seth.fr
Instagram : @seth_globepainter

Surgissant sur les murs du monde entier, là où on ne les attend pas, les œuvres de Seth témoignent d’un instant de vie fait de rencontres, de dialogues, de découvertes… À travers ses compositions formelles simples, l’artiste nous plonge au cœur des contrastes, entre l’innocence attractive des personnages et des environnements souvent délabrés et instables, entre la proposition colorée qui remodèle le paysage, ouvrant les portes de l’imaginaire aux habitants des lieux, et les inférences picturales invisibles à ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas voir. Témoin de l’Autre, des cultures populaires comme de situations politiques, économiques, sociales…, l’art de Seth, qui nécessite de lire entre les lignes, est généreux, sincère, émouvant… avec un pouvoir unique : celui d’unir, de rassembler.

D’où vous vient votre passion pour les cultures populaires ?
Des voyages. J’ai toujours voulu voyager, passionné depuis tout petit par l’ailleurs et l’Autre. Mon grand-père collectionnait les timbres de tous les pays dont j’ai appris la situation géographique, le régime politique, l’histoire… C’est peut-être ce qui m’a donné le goût des voyages. Et dès que j’ai commencé mes voyages, je me suis naturellement intéressé aux cultures locales.

Comment entrez-vous en contact avec les cultures locales ?
Grâce aux rencontres que j’ai pu faire lors de mes voyages, notamment à travers les projets que l’on m’a proposés. J’ai ainsi noué des relations avec certaines personnes sur place. Et je suis évidemment resté pote avec les fixeurs, ces personnes qui servent d’intermédiaire, d’interprète et de guide, rencontrés à l’occasion de l’émission Les Nouveaux explorateurs sur Canal+. Par exemple, depuis 2011, le même fixeur m’assiste chaque année en Ukraine. Je suis également resté proche d’une personne rencontrée lors d’un projet en Chine et qui est d’ailleurs devenue mon agent dans ce pays. Depuis le temps, je commence à savoir quels projets peuvent être intéressants. Ainsi, mon voyage en Jordanie pour le Baladk Festival en mai 2021 m’a permis de partir en Palestine l’année suivante, invité par l’organisation Riwaq.

Partez-vous sans qu’il y ait de projets définis ?
Cela arrive, comme à Haïti avec Martha [Cooper, NDLR]… Mais en y réfléchissant, il est rare que cela vienne de moi… [rire].

Comment choisissez-vous vos projets ?
Cela dépend du pays, de l’endroit… Je privilégie les projets qui présentent une dimension sociale mais cela peut également être un défit artistique. Parfois, il suffit que le mur soit intéressant, situé dans un lieu qui m’inspire et sur lequel je vais pourvoir raconter une histoire.

Justement, comment naissent les histoires que vous racontez ?
Là est tout mon travail [rire]. Comme le publicitaire, un monde que je connais bien, je dois trouver l’idée – bien que je n’ai rien à vendre [rire] ! Si, sur certains projets, je présente parfois des sketches, il m’arrive souvent de ne pas savoir ce que je vais faire. J’ai alors besoin de m’imprégner du lieu, de discuter avec les habitants, de découvrir leur culture… Étant curieux, je pose beaucoup de questions… et l’idée finit par s’imposer d’elle-même, toujours en accord avec les règles que je me suis fixées… et auxquelles je me tiens.

Quelles sont-elles ?
Je ne peux pas vous le dire [rire]… Des règles que j’ai élaborées au fil du temps comme dialoguer avec les personnes qui vivent là où je vais intervenir afin de ne pas peindre quelque chose qui risquerait de leur déplaire ou de les heurter. Jouer avec le contexte architectural, social, politique, culturel. Jouer également le contraste entre les enfants que je dessine et l’environnement, toujours un peu dur, chaotique, en ruine, afin de susciter la réflexion. Ne pas donner toutes les clés de l’histoire que j’ai choisi de raconter pour garder une certaine poésie qui permettra au spectateur de lire entre les lignes… Et malgré ces règles que je m’impose, établies au cours des 25 dernières années, j’arrive toujours à m’amuser… Elles me rassurent [rire].

Racontez-vous le monde à travers votre travail ?
Je raconte ma vision du monde à travers le prisme de mon regard. Une de mes règles est de ne surtout pas donner de leçon ! J’espère seulement que mes personnages feront naître une émotion, un souvenir, un questionnement, une réflexion… chez les spectateurs, pour les sortir momentanément de l’aliénation dans laquelle nous plonge quotidiennement la société. Ce sont eux d’ailleurs qui interprètent l’œuvre, parfois loin de ce que j’avais imaginé. Et bien qu’il y ait toujours un message, j’aime leur offrir ainsi plusieurs portes d’entrée… Ayant suivi des cours d’histoire de l’art, je sais à quel point « l’analyse » d’une œuvre peut être très éloignée de ce que le peintre a voulu exprimer ! Je ne réponds d’ailleurs jamais lorsque quelqu’un me demande ce que j’ai voulu dire ; je préfère le questionner sur ce que l’œuvre évoque chez lui. Pour moi, outre le plaisir de peindre, de voyager, de vivre l’instant… qui nourrissent ma peinture, l’art est un dialogue, une manière de converser avec l’autre.

Est-ce parce que l’enfance a une dimension universelle que vous l’avez choisie ?
Effectivement, représenter des enfants me permet une certaine universalité dans mon propos, de parler à tous dans l’espace public, au gamin qui passe autant qu’à l’enfant qui sommeille en chaque adulte. Mais ce n’est pas la seule raison. Il est en effet plus facile d’aborder des sujets sérieux ou délicats de façon ludique. J’ai d’ailleurs peint des œuvres qui sont des « critiques » face à des situations politiques difficiles, des interdits, des tabous… Là où certains prennent conscience du message, d’autres ne voient que l’innocence de l’enfance. Même si j’aurais pu prendre d’autres directions, je considère faire de l’art populaire, social. J’ai donc souhaité resté très simple dans ma façon de m’exprimer, et la figure de l’enfance qui parle à tous quelle que soit sa culture fonctionne très bien. Je n’oublie jamais que le premier public de mon travail, ce sont les personnes qui vivent à l’endroit où je peins !

Pourquoi ne montrez-vous pas le visage de vos personnages ?
Le fait de ne pas montrer le visage des personnages, donc leurs émotions, permet au spectateur de s’identifier et d’imaginer ce qu’ils peuvent ressentir. C’est également lié à la notion de présence et absence. Les personnages sont là sans y être puisqu’ils regardent ailleurs, de l’autre côté du mur, vers une autre dimension… invitant le spectateur à faire de même.

Que symbolisent les vortex de couleurs dans votre travail ?
À travers ces vortex, qui émanent de mes personnages autant qu’ils les absorbent, je tente de représenter les univers intérieurs et leur impact sur le monde. C’est pourquoi mes personnages ont souvent le visage plongé dans ces cercles de couleurs, une matérialisation d’un pont entre la réalité et l’imaginaire, vers l’infini et même au-delà.

Alors que vous êtes un artiste reconnu, comment conciliez-vous votre succès et votre un art pour le peuple ?
En assumant de faire un art populaire, alors que je ne le revendiquais pas lorsque j’ai commencé… même s’il m’arrive souvent de me poser des questions [rire]. Il faut accepter qui l’on est… Ce qui me plaît avant tout et qui m’intéresse reste de toucher des personnes qui ne connaissent pas mon travail, donc sans a priori, et d’arriver à créer un dialogue par une œuvre qui leur parle. Pour que cela fonctionne, je suis donc obligé d’être « populaire ». Et même si cela ne m’arrive pas très souvent, parfois, pour être accepté, je peins avec les habitants.

Faites-vous le lien avec votre travail d’atelier ?
Le travail d’atelier me permet d’expérimenter des techniques. Je suis d’ailleurs beaucoup plus précis sur les murs grâce à cela. Ce qui m’intéresse avant tout reste de trouver des idées, de m’amuser avec des situations, qu’elles soient architecturales, politiques, économiques, sociales, pour raconter une histoire. Le travail d’atelier est donc complètement différent puisqu’il est décontextualisé. Ce n’est qu’un petit bout de mon univers. Pour autant, je vais de plus en plus vers un mélange des deux, en peignant sur des supports différents, même si je l’ai déjà fait par exemple sur du zinc, des vieilles fenêtres récupérées en Chine et qui ont servi ensuite pour des installations…, ce qui me permet quelque part de contextualiser. J’espère travailler de plus en plus en studio sur des supports récupérés. La rue j’adore, mais c’est fatiguant !

Vous êtes un artiste pluridisciplinaire. Qu’est-ce qui vous pousse à étendre votre pratique ?
Je n’ai aucune limite dans les arts visuels. J’aime essayer plein de choses et j’ai la chance de recevoir des propositions qui me permettent de tout faire, un mur, une toile, une sculpture, une installation, le graphisme de mon livre… Pour un ami, j’ai même réalisé l’affiche pour le Beaujolais Nouveau Georges Dubœuf 2022 imprimé chez Idem. Mais je n’ai pas peint d’enfant [rire].

Votre exposition s’intitule « Empreinte / Carbone ». Pourquoi avoir choisi d’associer ces deux mots ?
Empreinte pour celle qu’on laisse derrière soi, qui témoigne de notre passage, de notre présence puis de l’absence, de ce qui fut comme de ce qui n’est plus là. J’ai parcouru la planète – ce qu’un prochain gouvernement écologiste me reprochera un jour [rire], je me suis confronté aux coutumes populaires pour raconter le monde et célébrer sa diversité culturelle, résister à sa globalisation, à l’uniformisation des rêves et des aspirations. Avec le temps, les empreintes s’effacent. Les peintures sur les murs, aussi. Mais pas le souvenir de l’instant, des rencontres, de la curiosité de l’autre, du partage d’un moment qui nous change. Et Carbone, parce qu’en 2011, dans un village du sud de l’île de Java dévasté par l’éruption du volcan Merapi, j’ai ramassé un bout de bois brûlé pour esquisser sur les murs de maisons en ruines, avant de peindre, des silhouettes d’enfants qui entamaient leur parcours de résilience. Depuis, j’ai répété la méthode à chacun de mes voyages avec des morceaux de bois ou des fusains, que j’emporte toujours avec moi, pour noircir mes carnets ou préparer de grands murs. Enfin, parce que « l’empreinte carbone » est aujourd’hui quelque chose auquel on doit sérieusement réfléchir !

Cette exposition retrace les dix dernières années de votre travail…
Effectivement. Elle parle de voyage, de diversité, de traditions, des imaginaires collectifs… Avec « Empreinte carbone », j’ai trouvé intéressant de présenter des œuvres mais aussi des photos, des sketches, des masques… créant un univers dans chaque alcôve de la barge Fluctuart pour une exposition immersive. Une grande partie de mon travail que l’on n’a pas l’habitude de voir.

Quels sont vos projets ?
Une exposition aux Musée en Herbe fin mai basée sur le jeu.

A VOIR
« Empreinte carbone »

Jusqu’au 26 février 2023
Du mercredi au dimanche de 12h à 01h
Fluctuart
Pont des Invalides
2 port du Gros Caillou 75007 Paris
fluctuart.fr

Seth : Face aux murs
Du Donbass en guerre aux quartiers en destruction de Shanghai, des camps de réfugiés palestiniens, aux écoles d’Haïti, les enfants peints de Seth ont fait le tour du globe. Énigmatiques et sans visage ils racontent les transformations qui secouent notre planète. Ce livre, très largement illustré et commenté, retrace dix ans
de voyages et de création, commentées et expliquées par l’artiste.
Editions de La Martinière, Seth, 256 pages, 39,90 €