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Dossier

L’ART URBAIN peut-il enfin séduire les maisons de ventes?

Alors que les prix atteints par des stars comme Banksy, Kaws ou Invader peuvent faire rêver, les œuvres des artistes urbains restaient encore un peu en retrait dans les enchères. Heureusement, les choses changent.

« Une œuvre que j’ai vendue 200 dollars il y a quinze ans vaut un million aujourd’hui. Un très bon retour sur investissement ». Celui qui l’affirme sait de quoi il parle. Il s’agit en effet de Steve Lazarides, le premier galeriste de Banksy. Si la performance de son ancien poulain sur le marché (Love is in the bin, la célèbre toile autodétruite, a été vendue aux enchères pour l’équivalent de 21,8 millions d’euros en 2021) reste hors norme, le spécialiste est convaincu que l’Art Urbain est une valeur sûre. « Les gens oublient que Keith Haring et Jean-Michel Basquiat étaient à l’origine des graffeurs. Aujourd’hui, les artistes font en galerie quelque chose de différent de ce qu’ils font dans la rue. Et je peux dire que c’est franchement de meilleur en meilleur. Pour autant, 5% seulement représente un bon investissement potentiel ».
Une analyse que partage l’experte en art Lauren Carpinelli, ancienne de Heritage Auctions passée chez Artsy. « L’œuvre d’un artiste de rue populaire conservera sa valeur et, dans de nombreux cas, produira un rendement extrêmement élevé pour un petit investissement initial. En outre, de nombreux artistes venus de la rue sont désormais largement acceptés par la communauté artistique traditionnelle et intéressent un plus large public. La plupart de ces artistes – si ce n’est pas tous – transcendent leur étiquette. L’un des avantages de l’Art Urbain tient à ce que la plupart des artistes diffusent leurs œuvres par le biais de divers canaux, à des moments précis et en quantités limitées, ce qui les rend plus accessibles que d’autres catégories plus élitistes. Même les artistes dont les œuvres se vendent aujourd’hui des millions de dollars dans les ventes aux enchères produisent des œuvres plus abordables, ce qui peut être un excellent point de départ pour une collection. Mais le défi est de pouvoir les acquérir, la demande dépassant largement l’offre ».

Les ventes d’Art Urbain suscitent une véritable adhésion auprès d’un public de plus en plus diversifié au fil des ans.

Arnaud Oliveux. Directeur associé Artcurial
Arnaud Oliveux

Les maisons de ventes dans la course
En France, Artcurial, qui a été dès 2006 l’un des pionniers des ventes consacrées à l’Art Urbain, est l’un des acteurs de référence des enchères. Responsable de ce département, le commissaire-priseur Arnaud Oliveux rappelle ainsi : « Le succès est au rendez-vous : les ventes suscitent une véritable adhésion auprès d’un public de plus en plus diversifié au fil des ans. Orchestrées autour d’œuvres historiques américaines des années 1990 ainsi que de grands artistes de renom tels que Banksy, Kaws, Shepard Fairey, Os Gemeos, José Parla, Vhils, Swoon ou encore Invader, ces sessions de vente offrent un regard complet sur la création urbaine et sur les artistes les plus emblématiques de ces dernières décennies ». Plusieurs ventes records ont été réalisées : Stupid de Futura 2000 ou Women Are Heroes de JR dépassent les 100.000 euros ; Rodeo Girl de Banksy frôle les 400.000, Rubik Space d’Invader les 500.000 et Final Days de Kaws le million !

La valorisation d’une œuvre se fonde sur le marché secondaire, c’est-à-dire la cote d’un artiste sur le marché des enchères.

Ophélie Guillerot, experte chez Aguttes
Ophélie Guillerot

Mais, fort heureusement, il n’y a pas que ces superstars qui réussissent à pousser les portes des maisons de ventes. Heureusement car, comme le souligne Ophélie Guillerot, experte chez Aguttes, « La valorisation d’une œuvre se fonde sur le marché secondaire, c’est-à-dire la cote d’un artiste sur le marché des enchères », ajoutant « La chance du Street Art, c’est d’être un mouvement on ne peut plus contemporain et pour lequel la plupart des artistes sont vivants. On peut suivre leur travail, leur évolution et même les rencontrer. On peut aussi passer par l’intermédiaire de galeries qui participent pleinement à la promotion de cet art ». Car les prix varient selon qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse ou d’une création plus récente réellement représentative du travail de l’artiste. « Par exemple, nous vendons régulièrement des œuvres de JonOne et les prix fluctuent selon qu’il s’agit d’une pièce récente – qui vaut entre 30.000 et 40.000 euros environ – ou de pièces de jeunesse, réalisées entre 1989 et 1991 dans un atelier de l’Hôpital éphémère alors qu’il venait d’arriver en France ».

Le Street Art est un marché qui évolue très rapidement et sur lequel nous manquons encore de recul.

Guillaume Crait, commissaire-priseur chez Crait + Müller
Guillaume Crait

À suivre avec prudence
« Avec le Street Art, nous sommes confrontés à une génération qui veut que tout aille vite. Les collectionneurs peuvent revendre une œuvre un, deux ou trois ans après l’avoir achetée si elle ne leur plaît plus. C’est un marché qui évolue très rapidement et sur lequel nous manquons encore de recul. Il demande une certaine vigilance et pour lequel il faut particulièrement se méfier des effets de mode », précise Guillaume Crait, commissaire-priseur chez Crait + Müller. « Si l’on souhaite investir au mieux dans l’Art Urbain, je conseille de miser sur des grands noms historiques, issus des premières générations. Ces artistes sont bien référencés, installés sur le marché international, et leur cote, bien que déjà élevée, ne cesse de croître et devrait encore progresser ». Les figures incontournables du mouvement comme Banksy, JonOne, Speedy Graphito, Space Invader ou Vhils, restent des valeurs sur lesquelles tout collectionneur peut miser. Et nul besoin d’être millionnaire. Les moins « aisés » peuvent en effet se tourner vers les multiples : sérigraphies, lithographies et autres tirages numériques en édition limitée. Pour ceux qui préfèrent les œuvres originales, Guillaume Crait a un conseil : « Mieux vaut se détourner d’artistes qui, par opportunité, se sont récemment engouffrés sur le marché du Street Art, sans entretenir de véritables liens avec la rue. À ceux-là, préférez les artistes qui ont une actualité urbaine pérenne et participent régulièrement à des festivals, partout dans le monde ». En d’autres termes, privilégier l’authenticité. Une démarche que l’on ne peut que soutenir !