Avec les Ćuvres rĂ©alisĂ©es pour son exposition Ă la Cohle Gallery, Fenx sâaffranchit de la calligraphie prĂ©sente depuis de nombreuses annĂ©es dans son travail pour introduire des dĂ©tails Ă lâextĂ©rieur de ses sujets et jouer sur la profondeur de la toile, rendant sa peinture encore plus contemporaine.
LoĂŻc Le Floch, plus connu sous le pseudo de Fenx est nĂ© au milieu des annĂ©es 70 et sa vocation a vu le jour avec les cultures urbaines, comme le graffiti ou le skateboard. Si son parcours artistique est marquĂ© par la volontĂ© constante de se rĂ©inventer, on reconnaĂźt facilement son travail mĂȘme sâil sâexprime dans des variations diffĂ©rentes, chacune gardant un lien avec lâautre tant dans le trait que dans lâemploi de couleurs significatives. Il questionne le spectateur sur ses thĂšmes de prĂ©dilection : le rapport sociĂ©tal avec la femme, la trinitĂ©, « naissance-mort-renaissance », ainsi que la part dâenfance qui reste en chacun de nous.
Quand vous avez commencĂ© sur la scĂšne graffiti dans les annĂ©es 1995, vous vouliez braver lâinterdit. Vous ĂȘtes-vous assagi ?
Jâai commencĂ© mes balbutiements dans le graffiti Ă la fin des annĂ©es 80. Au dĂ©but des annĂ©es 90, je me retrouve au lycĂ©e avec Sit et Bluff. LâĂ©mulation se faisant, je me suis davantage mis dedans. Je nây ai jamais consacrĂ© ma vie H24 comme certains, dâautres passions telles que le skate se juxtaposant. LâĂąge avançant et la dĂ©couverte dâautres mĂ©diums ont fait que, naturellement, je me suis assagi. Mais câest ce que je prĂ©fĂšre dans le graffiti, ce cĂŽtĂ© illĂ©gal, partagĂ© de maniĂšre amicale avec dâautres peintres. Une idĂ©e dâaventuresâŠ
Comment et pourquoi avez-vous progressivement abandonné la rue pour la toile ?
Je nâai jamais abandonnĂ© la rue pour la toile. Je distingue bien les deux. Il nây a pas, Ă mes yeux, de liens intrinsĂšques. La rue a son univers, sa force qui donne lâatmosphĂšre Ă la peinture que tu y fais. Lorsque tu passes Ă dâautres mĂ©diums, tu modifies ton travail pour quâil soit en adĂ©quation avec ce que tu veux exprimer et raconter.
Vous aimez travailler sur des grands formats. Un rappel des murs ?
Non plus. Il faut regarder au-delĂ de lâAtlantique principalement. Admiratif de beaucoup dâartistes de lâĂ©cole amĂ©ricaine, jâai toujours trouvĂ© que le grand format transcendait lâĆuvre. Mais sans aller si loin, au Louvre ou Ă Orsay, il suffit de se planter devant une toile aux dimensions imposantes pour se sentir happĂ© et ĂȘtre dans lâĆuvre.
Quand on vous qualifie dâartiste « post-graffiti », quâen pensez-vous ?
Personnellement, jâaime bien ce terme. Mon travail nâa rien de ce quâon entend par urbain. Bien sĂ»r mon parcours a eu des incidences dans mon travail, surtout au dĂ©part. Dans cette nouvelle exposition « Removing my summer tags », jâenlĂšve les derniĂšres traces de mon parcours. Il est important dâavoir un terme qui puisse rĂ©sumer Ă lui seul dâoĂč vient toute une gĂ©nĂ©ration de peintres, sans que cela caractĂ©rise leur travail. Je peins diffĂ©remment de Colorz, Kongo, Tilt, Poes ou encore Pablo Tomek, et pourtant on a tous le mĂȘme background.
Vous avez eu plusieurs pĂ©riodes mais votre style reste toujours reconnaissable. Quâest-ce qui vous caractĂ©rise ?
Il est normal que mon style reste reconnaissable car il nâest quâune Ă©volution constante Ă chaque fois. MĂȘme sâil peut y avoir certaines ruptures, il faut quâelles soient cohĂ©rentes. Jâai toujours cherchĂ© Ă ce que mon travail soit reconnaissable car, Ă mes yeux, câest ce qui fait un peintre. Une Ćuvre se construit sur toute une vie. Je travaille et explore toujours par sĂ©rie, parfois plusieurs sĂ©ries diffĂ©rentes par besoin ou envie, lâune se nourrissant toujours de lâautre et vice et versa. Une des caractĂ©ristiques que je peux avoir est un travail lĂ©chĂ© et qualitatif. On peut ne pas aimer mon travail mais je tiens Ă ce quâon ne puisse pas dire quâil est bĂąclĂ© ou mal peint.
DâoĂč vient votre fascination pour les artistes Pop Art comme Lichtenstein ou Warhol ?
Jâai un attrait particulier pour le Pop Art. Enfant du consumĂ©risme, tu y trouves facilement ton compte. Câest un art facile dâaccĂšs mĂȘme pour le non initiĂ©. Mais lorsque tu creuses, tu tâaperçois que le mouvement nâest pas que pictural, il y a aussi une grosse partie intellectualisĂ©e. Prenons Lichtenstein, une de ses grandes lignes câest la reproduction manuelle dâun travail effectuĂ© par la machine. En regardant son travail, tu tâaperçois quâau fur et Ă mesure des annĂ©es, la qualitĂ© dâexĂ©cution sâamĂ©liore. Lorsque tu lis ce qui est Ă©crit Ă propos de son atelier, tu vois quâil prenait grand soin Ă la prĂ©paration des toiles. Tout cela va bien au-delĂ de lâaspect graphique que la plupart des gens voientâŠ
Vous citez souvent Crash comme un artiste qui vous fascine. Quelle influence a-t-il eu sur votre travail ?
Crash, Futura, JonOne, Rammellzee ont ouvert des voies pour les artistes post graffiti. Ils sont passĂ©s par des pĂ©riodes de vaches maigres mais se sont accrochĂ©s. Ils nous ont donnĂ© de la crĂ©dibilitĂ© Ă nous qui ne sortions pas forcement des Beaux-Arts. Nous pouvons les remercier. Je regardais le travail de Crash avec beaucoup dâattention, car il me parlait naturellement. Il avait rĂ©ussi Ă sortir du graffiti et me donnait des Ă©motions. Lors de ma premiĂšre rencontre avec lui, il a Ă©tĂ© dâune humilitĂ© incroyable et, depuis, nous partageons une amitiĂ©. Câest incroyable de devenir pote avec tes hĂ©ros dâadolescence ! Il a toujours Ă©tĂ© de bon conseil.
Avec le recul, quel regard portez-vous sur votre Ă©volution ?
Je suis content et fier de pouvoir prĂ©senter « Removing my summer tags » aujourdâhui. Ce travail nâa Ă©tĂ© possible que par le passage par mes diffĂ©rentes pĂ©riodes et Ă©volutions. Parfois, cela nâa pas Ă©tĂ© simple de prĂ©senter certaines Ă©volutions au public, Ă mes collectionneurs ou aux galeristes. Chacun ayant ses attentes, tu ne combles pas tout le monde⊠Mais le principal câest dâĂȘtre comblĂ©, toi, en tant que peintre.
Vous avez été en résidence à la fondation Montresso à Marrakech. Cela a-t-il changé votre vision artistique ?
Avec son fondateur, nous avons une profonde amitiĂ©. Elle est nĂ©e alors que les murs de la rĂ©sidence nâĂ©taient pas encore debout . Aucun artiste occidental nây avait mis les pieds. Ătre au balbutiement dâun tel projet et endroit est une chance incroyable. JHL a une grande connaissance artistique, nos visions et discussions ne sont pas forcĂ©ment identiques tout le temps mais elles ne sont jamais stĂ©riles. Elles te remettent forcĂ©ment en question ou te confortent dans une direction. Dâautant plus que ces discussions peuvent se continuer et sâenrichir auprĂšs des nombreux artistes que tu cĂŽtoies Ă la fondation.
Vous ĂȘtes un adepte du « retour du beau ». Pouvezvous nous expliquer ?
Avec mon ami artiste Cedrix Crespel, nous discutons et philosophons longuement sur lâart. Il est un adepte de la doctrine « le beau est le cancer de la pensĂ©e » ; je suis pour ma part partisan dâun retour vers le beau, un beau alliĂ© avec la pensĂ©e. Certes le beau est difficilement dĂ©finissable et peut ĂȘtre mĂȘme non conventionnel. Par exemple, ce que jâaime le plus dans le graffiti ce sont les tags et les throw ups, mais 90% des gens vont considĂ©rer ça comme laid. Pourtant, sâils se mettaient Ă regarder de plus prĂšs, ils y verraient les pleins et les dĂ©liĂ©s, la composition et la balance, quelque chose dâhomogĂšne oĂč se voit le geste du peintre. Personnellement, dans beaucoup dâĆuvres actuelles je trouve que le discours a trop pris le pas sur la rĂ©alisation et la façon de sâexprimer. Avoir son travail qualifiĂ© de beau ne devrait pas ĂȘtre une insulte !
Dans tout votre parcours, le rapport entre la femme et la société occupe une place prépondérante. Fenx, artiste féministe ?
En tant quâartiste, tu as cette possibilitĂ© dâinterpeller ton public. Câest un privilĂšge mais il ne faut pas prendre le sujet que tu dĂ©fends Ă la lĂ©gĂšre. Il ne suffit pas simplement de le peindre ou dâen parler et puis basta⊠Nous sommes dans une sociĂ©tĂ© phallocrate, nous avons Ă©tĂ© Ă©duquĂ©s de cette maniĂšre. En tant que fils, pĂšre et compagnon, je ne peux que mâinsurger de ce que doivent supporter les femmes quotidiennement. En tant que citoyen, les diffĂ©rences salariales ne peuvent pas me laisser de marbre. Alors tâespĂšres simplement que tu peux ajouter une pierre Ă lâĂ©difice pour que cela change pour les gĂ©nĂ©rations futures. Nâoubliez pas que ce sont vos fils que vous devez Ă©duquer ! Alors merci Ă ma mĂšre de mâavoir inculquĂ© certaines valeurs fĂ©minines. Certains diront : « mais comment oses-tu parler de fĂ©minisme en mettant des femmes dĂ©nudĂ©es sur tes toiles ». Mais quel symbole plus fĂ©minin que le sein nourricier ?
Avec cette nouvelle exposition, vous semblez vous libĂ©rer encore plus de vos influences urbaines, notamment avec lâabandon de la calligraphie. Est-ce un choix ?
Câest forcĂ©ment un choix, sinon je ne le ferais pas⊠Je me suis amusĂ© pendant toutes ces annĂ©es mais mon travail avait besoin de prendre cette tangente afin de pouvoir exprimer dâautres choses. Câest un besoin que je ressentais depuis un moment, jâai sautĂ© le pas et je me sens Ă lâaise. JâespĂšre que le public sera au rendez-vous pour cette nouvelle aventure.
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