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Portrait

Keith Haring, une griffe emblématique

Associé en premier lieu au style pictural graphique qu’illustrent des surfaces lumineuses cernées de larges traits noirs, le nom de Keith Haring raisonne également par ses interrogations et son engagement.
Par Anouck Etcheverry

 

Keith Haring Subway Drawing ca. 1984
Photographed by Tseng Kwong Chi

Keith Haring fréquente le milieu underground new-yorkais des années 80. La discothèque Paradise Garage, le Club 57 et le Mudd Club sont des lieux de rendez-vous pour la scène alternative et le milieu « gay ». Keith Haring y rencontre de nombreux artistes qui, comme lui, partagent la vie en club. C’est dans ces lieux non conventionnels de la scène hip hop que l’artiste choisit d’organiser des expositions collectives, des lectures en public et des performances. Il y présentera aussi des expositions personnelles, exposant à l’endroit même où il trouve son inspiration. Pour lui, les clubs sont autant des lieux de vie que des lieux de création et d’exposition.

En juin 1980, Keith Haring est invité à une exposition de groupe du Times Square Show. C’est la première exposition destinée à présenter l’art underground. Il y rencontre les graffeurs les plus connus de l’époque : Lee Quinones, Fab five freddy, Futura 2000… Haring a toujours été fasciné par les graffiti dont il perçoit la force communicative. Il admire la façon dont ces artistes manient la bombe de peinture et approuve leurs actions clandestines. Toutefois, il ne fera jamais vraiment partie des bandes de graffeurs new-yorkais. Ses interventions dans l’espace public sont surtout un moyen de ren-dre ses œuvres plus immédiatement visibles.

 

Dans le métro

Dès 1980 Keith Haring va dessiner dans les couloirs du métro new-yorkais sur les panneaux publicitaires inutilisés, temporairement recouverts de papier noir. « Quand j’ai vu qu’il y avait partout dans les couloirs du métro de ces surfaces noires, j’ai compris quelle découverte j’avais faite. Je venais de trouver une possibilité de travailler avec les graffitistes sans les imiter, car je ne voulais pas peindre sur les rames, je n’avais pas envie de me glisser dans les dépôts pour peindre en douce l’extérieur ou l’intérieur des wagons. A vrai dire, en dessinant sur les surfaces noires, j’étais encore plus vulnérable et à la merci des flics. C’était une entreprise plutôt risquée ».

Le format des supports publicitaires détermine la composition de ses dessins. Haring adapte ses motifs aux surfaces dont il dispose. Pour contraster avec la couleur noire du support, il utilise la craie, facile à glisser dans la poche et simple à utiliser. Le métro offre une multiplicité de surfaces que l’artiste met à profit en composant de petites séries d’images qui s’égrènent comme autant d’épisodes, au fil des stations. Le métro devient, ainsi qu’il le formule, « son laboratoire ».

Entre 1980 et 1985, il produit des centaines de dessins, créant parfois jusqu’à quarante subway drawings en une seule journée. En investissant les couloirs du métro, Keith Haring cherche à interpeller le passant, directement, sans intermédiaire. Il réalise ses œuvres devant le public, ce qui contribue à sa popularité.

Un artiste engagé

Les interventions de Keith Haring dans l’espace public ne se limitent pas aux galeries du métro. Tout au long de sa vie l’artiste a consacré son temps à des œuvres publiques qui portent souvent des messages sociaux. Il produit plus de 50 œuvres d’art publiques entre 1982 et 1989 à travers le monde. La plupart sont créées pour des œuvres de charité, des hôpitaux, des orphelinats, des centres pour enfants… et répondent à des commandes publiques. Keith Haring s’engage ainsi dans des opérations destinées à l’aide à l’enfance et réalise avec eux des fres-ques peintes.

Si Haring réalise des fresques dans l’espace public et des dessins dans le métro, c’est parce qu’il souhaite mettre l’art à la portée de tous. C’est dans cette perspective qu’il emprunte le réseau de grande distribution pour diffuser ses œuvres en grande quantité auprès d’un large public. En 1986, il inaugure donc son premier Pop Shop dans le quartier de Soho à Manhattan, pour y vendre ses créations, vêtements, posters, badges et autres objets, à des prix volontairement modestes. « J’ai essayé d’adopter un nouveau point de vue, une nouvelle attitude envers le fait de vendre, en peignant en public et en faisant des choses commerciales qui vont à l’encontre des idées d’un marché de l’art ». Très controversée dans les milieux artistiques, sa démarche est cependant louée par ses amis, notamment son mentor Andy Warhol.

 

Dans les galeries

Ses Pop shops ne sont pas les seuls lieux de diffusion de son œuvre. S’il cherche d’autres alternatives, Keith Haring ne renonce pas à exposer son travail dans des galeries d’art et, dès 1982, Tony Shafrazi devient son galeriste. En 1985, Keith Haring présente ses sculptures dans la prestigieuse galerie de Léo Castelli, à New York. En 1986 il expose pour la première fois en France, au CAPC de Bordeaux, en 1988 dans la galerie Hans Meyer de Düsseldorf… cherchant une reconnaissance institutionnelle. « Je ne comprends pas pourquoi l’establishment artistique américain continue à se dresser contre mon travail. Comme cela a toujours été le cas, je ne trouve pas de soutien auprès des musées ou des conservateurs mais auprès des gens du peuple. Mais je crois vraiment que ça va venir, que je vais être reconnu ».

 

Des prises de position

La majorité des sujets abordés par l’artiste est en lien direct avec sa vie et les interrogations de sa génération. Un grand nombre de ses œuvres dégagent une vitalité incroyable, elles évoquent l’énergie de la musique hip-hop et les mouvements de la break dance qui émergent à New York dans les années 80. A côté de ces œuvres positives, Keith Haring aborde des sujets beaucoup plus sombres comme le sida, la drogue et le racisme. L’artiste s’engage aux côté des enfants, des malades du sida et de toutes les victimes de violence, de racisme, d’exploitation et d’oppression sexuelle. « En face de ceux qui ferment les yeux, je réagis en créant des images de sexe et de violence plus crues, plus évidentes ».

 

 

Le style Haring

La ligne

Quel que soit le support, le style de Haring est reconnaissable à sa ligne, une ligne continue, d’une épaisseur constante, nette, graphique. Haring saisit l’essentiel des figures, condense en quelques lignes les formes génériques des objets et des personnages. Les objets sont définis par leurs contours, les personnages par leurs silhouettes. La sobriété des personnages ne doit pas faire oublier la complexité et la diversité des situations dans lesquelles ils sont placés.Cette ligne souple, dense, complexe, est au cœur de son œuvre de Keith Haring. Que cette ligne soit dessinée au marqueur, à la craie, au feutre ou à l’encre, qu’elle soit peinte à l’acrylique, à l’huile ou à la bombe, son tracé est toujours ininterrompu et fluide. Les sculptures de Keith Haring sont également marquées de cette ligne fondatrice de son œuvre. L’artiste travaille avec rapidité, il ne fait ni croquis ni études préparatoires. Ses figures, saisies sur le vif, ne font l’objet d’aucune correction. Elles gardent la spontanéité de son geste. « De nombreuses peintures sont des événements, les traces d’un moment. Ce serait une erreur de retravailler et de manipuler ce qui, par vocation, est immédiat ». Keith Haring utilise une palette chromatique privilégiant les couleurs vives, quasi fluorescentes, et les contrastes francs. L’impact de ces larges surfaces aux couleurs lumineuses est immédiat. C’est souvent la couleur d’origine du support qui sert de fond pictural à l’artiste. Ainsi les couleurs, jaune, rouge ou bleue des bâches en vinyles offrent des aplats de couleurs unis, immédiatement exploitables.

 

Les motifs

L’œuvre de Haring présente un certain nombre de motifs récurrents : le bébé à quatre pattes, le chien au museau carré, la soucoupe volante, la pyramide, le bâton, le serpent, l’ordinateur et la télévision. Ces motifs constituent un répertoire de signes que l’artiste combine de diverses manières. Haring traite ces signes comme des modules dont la signification peut changer selon leur configuration. Haring met l’accent sur les liens, les actions, les situations, plus que sur les personnages volontairement anonymes. « J’utilise une sorte de vocabulaire à la façon dont certains artistes travaillent à l’aide d’un système de symboles quasi-physique qui évoque certaines idées. A force d’être répétées et mises en relation, ces idées prennent un sens qui, lui-même, peut se modifier en fonction des différentes combinaisons de signes. Certaines images gagnent un pouvoir lorsqu’elles se répètent avec insistance  ».

 

Les supports

L’artiste expérimente une grande diversité de supports. Il s’écarte de la toile pour travailler sur des bâches en vinyle, des vêtements, des badges, des voitures, un zeppelin, les murs de la ville…, préfèrant des matériaux peu coûteux et facilement disponibles. La bâche en vinyle, conçue industriellement, disponible dans toutes sortes de formats et dans une gamme de couleurs vives, devient ainsi un de ses supports privilégiés.

 

A voir

Le Tate Museum de Liverpool organise une grande retrospective autour du travail de l’artiste Americain Keith Haring. L’exposition réunira plus de 85 oeuvres de l’artiste (peintures et dessins) à grande échelle. A travers l’exposition, les visiteurs peuvent redécouvrir le travail de l’artiste, de ses dessins à la craie dans le métro de New York à ses oeuvres emblématiques, plus traditionnelles.

Jusqu’au 10 novembre 2019
Tate Liverpool
Royal Albert Dock Liverpool
Liverpool L3 4BB
www.tate.org.uk

 

L’artiste en quelques dates

1958
Naissance le 4 mai à Reading, Pennsylvanie

1977-1978
Keith Haring suit des cours d’art à Pittsburgh. Première exposition personnelle de dessins abstraits au Pittsburgh Center for the Arts.

1978-1979
L’artiste s’installe à New York et s’inscrit à la « School of Visual Arts ». Il étudie la sémantique avec Keith Sonnier et découvre l’œuvre de William S. Burroughs. Il se familiarise avec le travail de Joseph Kosuth. Il se lie avec plusieurs artistes de la vie underground new-yorkaise, notamment Kenny Scharf et Jean-Michel Bas-quiat, ainsi qu’avec des musiciens, des artistes performeurs et des graffeurs. Il commence à organiser des expositions au Club 57 et dans d’autres lieux de rendez-vous de l’avant-garde artistique.

1980
Participation à une exposition de groupe au Times Square Show. Il commence à faire des dessins sur les panneaux publicitaires, non occupés, dans le métro new-yorkais.

1982
Participation à la Documenta 7 à Kassel, en Allemagne. Exposition personnelle à la Galerie Tony Shafrazi de New York.

1983
Exposition à la Biennale du Whitney Museum et à la Biennale de Sao Paulo. Première exposition de sculptures et de reliefs en bois à la Galerie Tony Shafrazi.

1984
Réalisation de fresques murales à Sydney, Melbourne, Rio de Janeiro, Dobbs Ferry, Minneapolis et Manhattan.

1986
Ouverture du « Pop Shop » pour vendre ses produits dérivés et commercialiser ses œuvres. Fresques en plein air à New York, Amsterdam, Paris et sur le mur de Berlin. Exposition personnelle au Stedelijk Museum d’Amsterdam. Première exposition en France au CAPC de Bordeaux.

1987
Il réalise la fresque de l’Hôpital Necker pour enfants malades, à Paris.

1988
Collaboration avec William S. Burroughs sur « Apocalypse ». Il crée une suite d’images illustrant les textes du pape de la Beat Generation. Il apprend qu’il est contaminé par le virus du sida.

1989
Haring milite activement pour la prévention contre le sida. Création de la Fondation Haring à New York.

1990
Keith Haring disparaît le 16 février à New York.

 

 

ACCRO

« Je voudrais faire de l’art qui soit vécu et exploré par le plus grand nombre d’individus possible, avec autant d’idées divers individuelles sur une œuvre déterminée, sans qu’un sens soit fixé définitivement. C’est le spectateur qui, le premier, donne à l’oeuvre sa réalité, sa conseption et sa signification ».

Keith Haring, 1978

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Illustrations / Crédit All Haring Works © Keith Haring Foundation

((Tseng Kwong Chi)

Tseng Kwong Chi, Keith Haring, (New York), 1983.

 

((Crack Down! 1986))

Crack Down! 1986, poster, 60,8 x 48,1 cm.

 

((Ignorance = Fear 1989))

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((Untitled 1983 [X72913]))

Untitled, 1983, peinture vinylique sur bâche (vinyl paint on tarpaulin ), 306,8 x 302 cm.

 

((Untitled 1983 [X74582))

Untitled 1983, acrylique sur bâche (acrylic on vinyl tarpaulin ), 173 x 170 cm.

 

((Untitled 1983 crop [X70882]))

Untitled 1983 , gravure sur bois (woodcut), 61 x 76,2 cm.

 

((Keith Haring, Untitled 1985))

Untitled, 1985, craie sur papier (chalk on paper).

 

((Safe Sex! 1987))

Safe Sex!, 1987, poster, 79,8 x 74,3 cm.

 

((Untitled 1980 [X70894))

Untitled, 1980 , encre sur carton bristol (ink on Bristol board ), 51 x 66 cm.