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Interview

DOES crée l’émotion et invite notre imaginaire

À travers un style épuré et un sens du détail absolu, les œuvres de DOES, où les lettres s’invitent dans une explosion de formes, de couleurs et de textures, et où pointe une narration visuelle, captivent autant par leur puissance que l’émotion qu’elles restituent.
Par Gabrielle Gauthier

Du graffiti au collage en passant par la sculpture, DOES, artiste pluridisciplinaire, n’a cessé de faire évoluer son style, pourtant toujours parfaitement reconnaissable, à travers une recherche patiente et permanente. Fidèle au lettrage, cette évolution maîtrisée dénote à la fois un travail minutieux, une insatiable curiosité et un goût du risque calculé. Chacune de ses œuvres inspire ainsi la prochaine dans une succession logique. Placé très tôt sous les feux des projecteurs lors de sa carrière de footballeur professionnel, DOES mène alors une double vie pour assouvir clandestinement sa passion de graffeur, une recherche d’équilibre qui ne l’a jamais quitté depuis. Repoussant sans cesse ses limites, l’artiste, dessinateur talentueux et coloriste hors pair qui a compris depuis longtemps que tout peut s’arrêter en un instant, livre ainsi des œuvres dynamiques et pleines d’énergie à la profondeur remarquable où chacun peut puiser ce dont il a besoin.

Alors que vous aviez une carrière de footballeur toute tracée, d’où vient votre passion pour le graffiti ? Et pourquoi l’avoir choisi comme moyen d’expression ?

Mon intérêt pour le graffiti s’est développé au début de mon adolescence. J’ai toujours été intéressé par les lettres et, lorsque je me rendais sur le terrain d’entraînement, j’étais attiré par les throw-up et les tags. En tant que footballeur professionnel, je vivais une vie sous le regard du public, ce qui n’était pas naturel pour moi. J’avais besoin d’échapper à toutes les contraintes et règles que je devais suivre en tant que sportif professionnel. Le graffiti m’a apporté l’anonymat et un moyen de m’exprimer sans restrictions. Ainsi, lorsque je descendais dans la rue, je me sentais libre. J’étais aussi accro à la montée d’adrénaline que je ressentais en réalisant une œuvre illégale. D’une certaine manière, le graffiti a aussi été mon salut lorsque j’ai traversé une période difficile en raison d’une très mauvaise blessure au genou. Cette blessure m’a finalement obligé à abandonner ma carrière de footballeur. Pendant cette période, j’ai eu besoin d’un exutoire pour évacuer les tensions et ramener la joie dans ma vie. J’ai commencé à dessiner et à réaliser des croquis… Ce fut la naissance de ma carrière artistique.

Comment avez-vous trouvé votre style ?

Je crois que la seule façon de trouver son style est de passer de nombreuses heures à expérimenter. Il m’a fallu près d’une décennie de croquis, de dessins et d’étude des lettres et des formes avant de développer un style particulier. Et même aujourd’hui, je suis toujours en recherche, continuant à développer mon style et ma technique. Cette progression lente mais régulière est exposée dans le livre First 20 years.

Votre travail s’articule toujours autour de la lettre avec néanmoins beaucoup d’évolution. Quelles en ont été les grandes étapes ?

Les lettres restent en effet la base de mon travail. Chaque lettre possède en effet un nombre infini d’éléments sur lesquels je peux m’appuyer. Ces éléments ont en quelque sorte une vie propre. Les lettres D O E et S sont donc devenues mon support et mon identité. Cela permet de reconnaître mon travail, même lorsque je compose avec différents médias. L’année 2006 marque un tournant dans mon travail. En y repensant, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre pleinement les lettres, leur
composition, les liens et l’équilibre entre elles. Et selon moi, une lettre est parfaite si elle a un certain swing. Même si une lettre est déchirée en deux, sa forme et son flux doivent être corrects.

Votre recherche porte également sur les couleurs. Comment les choisissez-vous ? Que représentent-elles pour vous et qu’apportent-elles à votre travail ?

Le choix des couleurs me vient naturellement. La nature elle-même m’inspire énormément. La semaine dernière par exemple, j’ai passé une semaine dans une cabane au fond des bois. Cela stimule mon imagination. Mais je peux également être inspiré par un plat soigneusement conçu par un chef, par mes enfants… La couleur ajoute « quelque chose » à une œuvre, la parachève. En appliquant de la couleur, on donne notamment de la force aux formes. Mais la base doit être bonne ; dans le cas contraire, cela peut être préjudiciable. Je dirais que la couleur est liée au goût de l’observateur. Néanmoins, en tant qu’artiste, il est possible d’appliquer la couleur de manière à ce qu’elle soit « facile à traiter » pour l’œil du spectateur. Ainsi, j’applique toujours différentes nuances d’une teinte afin de créer une transition harmonieuse entre les différentes couleurs.

De même, votre travail intègre volumes, effets 3D, collages. Est-ce pour nourrir votre recherche picturale que vous multipliez supports et techniques… ?

J’ai toujours été inspiré par les effets d’ombres et de lumière afin de créer un sentiment de profondeur dans mon travail et le rendre plus tangible. Et la plupart du temps, chaque œuvre que je réalise inspire la suivante, de sorte que chaque pièce est la succession évidente de celle qui précède. C’est ainsi que je me forme et que je développe mes compétences. Lentement mais sûrement, mon travail a donc évolué des peintures murales et des toiles vers l’art 3D. Mes sculptures, par exemple, sont une suite naturelle de l’utilisation du ciment pour préparer la surface de mes peintures murales. Utiliser des morceaux d’anciennes peintures murales et les mouler sous une nouvelle forme m’a totalement inspiré. De même, les collages sont également dans la continuité de ma technique en termes de niveau de détails, de composition, de jeu d’ombres et de lumière.

Pour vous, cette recherche constante de supports, de matériaux… est-elle importante ?

Je tiens à laisser quelque chose de tangible derrière moi, dans ce monde, dans cette vie. C’est le moteur derrière ma recherche constante, une nouvelle façon de m’exprimer à travers l’art mais aussi une nouvelle façon de concevoir l’art. Le matériau ou la technique que j’utilise n’ont finalement que peu d’importance pour moi : je visualise ce que je veux créer et je m’efforce ensuite de travailler cette image. Je cherche à m’exprimer sans limites, à trouver un équilibre en explorant différentes formes d’art et en utilisant divers médias. Ainsi, par l’utilisation de nombreux matériaux et techniques différentes, je sors de ma zone de confort, je me mets « au défi »… C’est ainsi que je continue à apprendre.

Y-a-t-il interaction entre votre travail d’atelier et in situ ?

Le travail sur le terrain est une extension de mon travail d’atelier. Que l’on travaille à l’atelier ou que l’on réalise une peinture murale, le niveau de détails doit être le même. La finition doit également être d’une qualité similaire. En studio, je peux expérimenter davantage et je me permets d’échouer. Mais lorsque je travaille sur le terrain, la pièce doit être parfaite immédiatement. C’est pourquoi je prépare toujours minutieusement chaque fresque ou performance live. Parallèlement, ce sont les voyages et l’interaction avec le public qui m’inspirent et qui nourrissent mon travail d’atelier.

Que souhaitez-vous transmettre à travers votre univers… si singulier ?

Je veux laisser quelque chose de tangible dans ce monde, comme une sorte de preuve de mon existence. Je pense que cette envie me vient du temps où j’étais footballeur. En tant que joueur professionnel, vous n’êtes que ce que vous avez réussi lors de votre dernier match. Dans mon travail, j’ai ainsi l’impression que chaque œuvre pourrait être la dernière. Je mets donc toute ma passion et toute mon énergie dans chacune des pièces que je réalise… et elles doivent toutes être parfaites. D’un autre côté, cet état d’esprit me freine parfois car je ne peux rien précipiter alors que le temps est parfois limité pour créer certaines œuvres. Mon père disait toujours à propos du football : « la qualité gagne toujours ». Et je m’y tiens !

Que peut-on ou doit-on « lire » dans vos œuvres ?

Mon travail est une pure expression de l’inspiration que j’ai à un instant T. En cela, mon art ne raconte pas véritablement « d’histoire ». En revanche, je souhaite transmettre à travers mes œuvres la force et la positivité par l’utilisation des formes et des couleurs. Et ce sont les spectateurs qui interprètent parfois ces formes et ses couleurs : ils y voient d’ailleurs souvent des images. Et c’est alors un plaisir car cela veut dire que l’œuvre évoque quelque chose pour eux… et qu’elle leur parle.

Quels sont vos projets ?

Il y a quelques shows de programmés, même si beaucoup sont encore incertains en raison de la pandémie. Je travaille surtout dans mon atelier, afin de perfectionner davantage mon style, notamment les collages que j’ai commencé pendant le premier confinement. Ainsi, je prépare une exposition à l’hôtel Molitor de Paris, qui aura lieu, je l’espère, dès que les restrictions liées à la pandémie le permettront. Il a été très fructueux de prendre du recul par rapport à l’agitation quotidienne habituelle et de laisser la créativité s’exprimer librement. Même si j’espère que le monde s’ouvrira bientôt, l’année écoulée m’a appris à créer plus de « paix et d’équilibre ». C’est une leçon que j’emporterai avec moi.

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