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Sur les murs

À MADRID, le graffiti s’impose dans les rues

Les amateurs d’Art Urbain sont de plus en plus nombreux à se rendre dans la capitale espagnole pour y découvrir un foisonnement d’œuvres signées par des artistes locaux et de grands noms internationaux.

Avec 3,3 millions d’habitants intra-muros, Madrid est, derrière Berlin, la deuxième ville de l’Union européenne (la tentaculaire capitale anglaise n’en faisant plus partie). De nombreux artistes européens et internationaux de renom ont laissé leur travail en ville lors d’une courte visite ou de leur participation à un festival d’art de rue : l’italienne Alice Pasquini, le belge Roa, le londonien Ben Eine, le thaïlandais Kenji Chai, le sud-africain Buntu Fihla, entre autres, ont signé ici d’impressionnantes fresques. Mais la création locale n’est pas en reste. En effet, le graffiti fait partie de l’histoire de la ville, d’autant que, en raison d’un contexte particulier, il n’a pas vraiment connu de période « vandale ».

L’effet Movida
Dans les années 1980, après 40 ans d’une dictature qui a relégué le pays à l’écart des grandes évolutions culturelles et sociales, l’Espagne a connu un véritable vent de liberté, qui a soufflé partout, à commencer par la capitale. La Movida Madrileña est un vaste mouvement contre-culturel réunissant une nouvelle génération de créateurs du cinéma, de la musique et des arts. Un nom reste indissociable de la scène urbaine locale de cette époque : Muelle. De son véritable nom Juan Carlos Argüello, ce graffeur né en 1966 dans le quartier de Campamento, au sud-est de Madrid, a imposé son tag très reconnaissable sur les murs de la ville, popularisant le graffiti non seulement auprès des jeunes, nombreux à reprendre la « flèche » de Muelle sous leur nom, mais aussi de tous les habitants. On raconte même que les policiers, loin de verbaliser ce vandale, lui demandaient de signer les carnets de contraventions ! Il faut sans doute voir dans cet esprit alternatif l’importance de la scène locale.
Pour El Rey de la Ruina, artiste madrilène reconnu qui vient de signer une collaboration avec The Style Outlets, un magasin d’usine situé à Las Rozas dans la banlieue de la capitale espagnole, l’art a toujours été très présent dans la culture de la ville. « Je viens d’un quartier où il y a toujours eu beaucoup de graffitis et j’ai été très influencé par la culture Hip Hop du début des années 90. Enfant, je me promenais dans les endroits où je savais qu’il y avait des graffitis et j’utilisais les restes de bombes aérosol que je trouvais pour m’entraîner à imiter les peintures que je voyais. L’Art Urbain vous donne davantage de liberté, il vous permet d’aller chercher le public dans la rue, d’être vu par des personnes de tous les âges et de toutes les couches sociales avec ou sans intérêt pour l’art. Et cela vous donne un retour d’expérience très riche et complet. L’Art Urbain, forme d’expression spontanée et populaire, est non seulement nécessaire dans les villes, mais également inévitable. Il s’agit d’une expression spontanée et populaire ». A Madrid, de nombreuses expressions de l’art de la rue sont ainsi nées grâce à des festivals et des initiatives qui permettent aux jeunes artistes de développer leur créativité en toute légalité, ce qui ne les empêche pas d’aborder les thèmes engagés, comme l’environnement, les questions de genres, le multiculturalisme ou d’autres liées à la politique et à l’actualité.

Lavapiés, un haut-lieu incontournable
S’il fallait résumer la richesse de la création urbaine dans la capitale espagnole, un nom s’impose : Lavapiés. Cet ancien quartier juif, dont le nom désigne un lieu où « se laver les pieds », en raison de la présence d’une fontaine, a longtemps été la destination des travailleurs venus des coins les plus reculés de la péninsule, puis des immigrés. Assez comparable au Panier à Marseille, il a gardé de son passé populaire et cosmopolite un esprit bohème qui a naturellement séduit les artistes urbains. Et la gentrification – encore discrète – en cours ne les a pas fait fuir. La calle de los Embajadores est la plus réputée, mais les petites rues tranquilles recèlent aussi de pépites. Vous trouverez également des œuvres dans le jardin communautaire ou sous le porche du marché de San Fernando. Le lieu le plus emblématique de Lavapiés est la Tabacalera, une ancienne manufacture de tabac transformée en centre culturel underground. Ici, les fresques sont partout : à l’intérieur, sur les murs extérieurs (avec le projet Muros Tabacalera) dans les salles sombres et voûtées au niveau du jardin et jusque dans les toilettes !
Le quartier est également le lieu du plus important festival d’Art Urbain de Madrid, Calle Lavapiés, de nombreux commerçants offrant leurs façades et leurs rideaux comme support aux artistes et collectifs madrilènes, notamment Boa Mistura. Derrière de nombreuses initiatives destinées à valoriser l’Art Urbain et à le rapprocher du public, on retrouve le MSAP (Madrid Street Art Project), un projet porté depuis 2012 par Guillermo de la Madrid et Diana Prieto. « Nous souhaitons refuser l’image de l’Art Urbain généralement fournie par Internet pour en monter la vraie nature : passer de la globalité au quotidien, au local, à l’initiative personnelle, à la pratique d’une activité libre. C’est tout cela qui caractérise l’Art Urbain. Je suppose que notre façon de travailler, en reliant un projet à un autre et en les enchaînant a fait que les institutions voient en nous la qualité, le professionnalisme, la connaissance et l’implication », explique Guillermo de la Madrid.

Les autres spots intéressants
Si Lavapiés est pratiquement devenu synonyme de Street Art madrilène, il serait dommage de ne pas découvrir d’autres lieux, moins riches mais aussi plus originaux.

  • La Latina est l’un des plus anciens quartiers de la capitale espagnole et l’on y trouve notamment le palais royal de Madrid et la cathédrale de la Almudena. Avec ses petites ruelles pentues aux immeubles en pierre, ses églises et ses petites places, on se croirait dans un village. On y trouve cependant de nombreux rideaux de boutiques superbement peints. Le marché de la Cebada est également décoré, notamment sa façade extérieure, en train de devenir l’une des plus grandes peintures murales de rue du monde..
  • Branché, bohème, animé, Malasaña est également rempli de nombreuses œuvres signées Nuria Mora, El Tono, Ze Carrion, C215… notamment autour de la Plaza Callao, près de la Calle Gran Via. Découvrez également les graffitis d’E1000, peints sur les barres de fer qui protègent les fenêtres et les portes.
  • Chueca, fief de la communauté LGBT de Madrid, est à la foi un symbole de modernité, d’avant-garde et de tolérance, et un haut lieu de la mode et des loisirs. C’est donc tout naturellement un terrain d’expression de nombreux artistes.
  • Enfin, un graffiti plus brut se trouve sur les voies et les murs des trains Cercanias, notamment ceux qui partent vers le sud – Villaverde Bajo – au départ de la gare d’Atocha.