La transformation de la ville par l’Art Urbain est indissociable de « Rouen Impressionnée », une triennale qui a vu le jour en 2010, dans le cadre du festival Normandie Impressionniste. Si les deux premières éditions étaient consacrées à des installations d’arts contemporains et sculpture, la troisième, en 2016 a marqué un virage déterminant. Olivier Landes, créateur de l’association Art en Ville, qui conçoit des projets artistiques urbains notamment pour les collectivités locales est le commissaire et directeur artistique de « Rouen Impressionnée » depuis l’édition charnière : « Les gens de la ville de Rouen m’ont repéré lors de ma première grosse opération, In Situ ArtFestival dans le Fort d’Aubervilliers en 2014, alors qu’ils avaient envie de faire quelque chose autour du Street Art à l’époque. 2016 a vraiment marqué un tournant, avec une quinzaine de fresques dont certaines de pointures mondiales comme
SatOne, Sainer et autres Brusk, qui ont marqué les esprits. Depuis, on assiste, sinon à une déferlante du moins, à de nombreuses commandes d’œuvres non seulement dans Rouen mais aussi dans les villes des environs, comme Maromme ou Petit Quevilly. On a vu que l’on pouvait faire de belles choses et il y a depuis une belle dynamique, qui rebondit fort avec cette nouvelle édition ».
Paysage urbain
Entre 2016 et 2020, les deux éditions de « Rouen Impressionnée » ont ainsi légué à la ville l’une des plus belles collections d’art contemporain de France, avec une trentaine de fresques de haute volée, dans toute la ville. Les fresques monumentales ont naturellement trouvé leur terrain d’expression dans les quartiers périphériques plus récents. « En 2016, on a surtout travaillé sur les docks et le port de Rouen et dans le quartier des Sapins. Pour 2020, on passe sur la rive gauche de la Seine, dans les quartiers de Grammont et Saint-Sever, avec une architecture
très hétéroclite et de toutes les époques », explique Olivier Landes. Pour autant, le Street Art n’est pas absent des quartiers les plus anciens de la ville, avec leurs rues pavées et leurs bâtiments historiques. On peut ainsi découvrir des façades de boutiques décorées dans la rue des Bons enfants, des transformateurs ERDF repeints de couleurs flashy dans le centre, une fresque de Jef Aerosol sur une maison à colombages et une boîte à lettres peinte par C215 dans la rue du Gros-Horloge, en plein cœur de la ville. Cette année, un événement majeur va même y avoir lieu dans le cadre du festival. «L’artiste franco-allemand Jan Vormann, qui comble les fissures de bâtiments anciens avec des Lego et dont le projet Dispatchwork est aujourd’hui repris dans le monde entier de manière participative, va intervenir sur le Palais de Justice, un édifice construit au début du XVIe siècle et qui a été durement impacté par des bombardements pendant la seconde guerre mondiale. La preuve qu’il y a un compromis possible entre patrimoine historique et Art Urbain, éphémère dans ce cas ». Pour découvrir toute la richesse de l’Art Urbain à Rouen, il faut donc se rendre sur les spots les plus connus mais aussi ne pas hésiter à se perdre dans les petites rues et à lever les yeux.
Pointures mondiales et artistes locaux
Pour Olivier Landes, certaines œuvres signées par les artistes français et internationaux les plus renommés sont incontournables. « De l’édition 2016, je retiendrais notamment Less Than A Second, une création abstraite de SatOne sur le Hangar 23 et la fresque Countryside Evening peinte sur un mur de l’immeuble Isigny. Cette année, il ne faut pas manquer l’intervention de Roid sur les murs des anciens locaux de France 3 Normandie, qui tire magnifiquement parti de cette architecture des années 90 avec de multiples volumes ». On peut également citer l’argentin Elian Chali qui a conçu une vaste anamorphose sur un ensemble de trois pavillons juxtaposés, le street artiste Manolo Mesa qui a peint une maison bourgeoise, ou le trompe-l’oeil du peintre italien Roberto Ciredz. « Rouen Impressionnée » accorde aussi une place conséquente à la scène locale. « L’esprit du festival est de proposer une programmation avec environ un tiers d’artistes internationaux, un tiers d’artistes français reconnus, et un tiers d’artistes locaux. Cette année, nous avons organisé une exposition, «35 ans de graffiti et de Street Art à Rouen», qui remonte jusqu’en 2005. La culture hip-hop a déferlé à Rouen comme dans toutes les villes de France et d’Europe dans les années 1980 », explique Olivier Landes. Rouen a vu grandir de nombreux artistes comme LKSIR, Dhoa, Method Graphic, Padame, Ise, Madcow ou Ecloz, et plusieurs collectifs regroupent des artistes locaux comme le Collectif A31. Ainsi, des contributeurs locaux auront marqué l’édition 2020. « Le collectif rouennais HSH a peint la MJC, avec une formidable mosaïque d’idées. Savati a réalisé un collage monumental en 18 pans qui représente un personnage se délitant petit à petit. Enfin, ceux qui peuvent venir à Rouen dans les prochains mois pourront découvrir le plus grand tricot jamais réalisé : le collectif Citémômes a emballé une maison de la Rive Gauche de quelques 28.500 carrés de laine ». Pour le directeur artistique du festival, ce brassage entre artistes locaux et internationaux est d’une grande richesse. « Quand j’ai annoncé aux graffeurs de Rouen que Roid venait cette année, ils étaient comme des musiciens rock si on leur avait annoncé la venue des Stones ! Pour la réalisation de sa fresque colossale, qui s’étend sur plusieurs centaines de mètres carrés, des artistes rouennais sont spontanément venus aider son équipe. Et un soir, Roid a eu envie de faire un graffiti sauvage. Les graffeurs locaux ont déniché un bel espace dans une friche et ils sont allés peindre ensemble, pour le plaisir, comme des musiciens qui feraient un bœuf après un concert ».
Une scène urbaine active
Fervent normand et rouennais convaincu selon ses propres mots, Paul Delahaye, 33 ans a ouvert la première galerie dédiée au Street Art de la ville, Outsiders Galerie. « Le Street Art est une passion depuis mon adolescence. Alors que je travaillais dans l’immobilier, j’avais un copain peintre à Rouen, je lui ai acheté pas mal de tableaux et j’ai trouvé que c’était dommage qu’il n’y ait pas de lieu qui présente ce genre d’œuvres. J’ai eu l’occasion d’acheter un petit local dans le quartier des antiquaires et c’est comme cela que je me suis lancé ». Le succès est au rendez-vous puisque, de la première boutique de 20 mètres carrés de 2015, la galerie est passée à 150 mètres carrés dans la rue de la République et qu’un nouvel espace de 300 mètres carrés rue Saint-Denis vient d’ouvrir. La preuve qu’il y a un marché local dynamique. « La clientèle rouennaise est de loin la plus dynamique. C’est celle qui est le plus impliquée, la plus avisée, la plus éduquée et qui suit le plus les artistes. J’avais une galerie à Lyon que je suis entrain de vendre parce que je veux me concentrer sur la Normandie, notamment la côte. D’ailleurs, nous ouvrons dans le centre historique de la ville une nouvelle galerie en octobre, Delahaye & Giordani, qui présentera des artistes connus nationalement et internationalement, parce qu’il y a une véritable demande ici ». Paul est également à l’origine du M.U.R de Rouen, qui a ouvert en mai dernier et devrait accueillir un nouvel artiste tous les mois et demi environ, soit sept créations dans l’année. « À une centaine de mètres de la galerie, rue AlsaceLorraine, il y avait ce mur moche. Le voilà devenu un point de rencontre entre les acteurs du Street Art et les citoyens, une fenêtre d’expression libre pour les artistes sélectionnés ». C’est à Prisme, 31 ans, natif de Rouen, qu’est revenu le privilège d’être le premier à peindre sur ce nouvel espace. Et d’autres normands, comme Piotre (Caen), Mathieu Questel (Rouen) ou Homek (Lisieux), font partie de la programmation. « Il existe une scène locale très riche à Rouen, et plus généralement dans la région. Il faut dire que la ville est très active et favorise le développement de l’Art Urbain. Par exemple, pour le projet du M.U.R., nous n’avons eu aucun problème et la municipalité était derrière nous. Cette scène locale a toujours existé mais, depuis 5 ans, parce que nous avons des murs, des lieux, des galeries, elle est plus exposée par la force des choses. Ce qui me semble sympathique, c’est qu’il y a une belle synergie entre tous ces artistes : ce n’est pas la « guéguerre », mais plutôt un cercle vertueux, avec un vrai esprit d’équipe. Tout le monde se connaît, avec une ambiance bon enfant qui tire vers le haut »
Des artistes impliqués
Mathieu Quesnel, né à Rouen en 1981, adepte du graffiti et passé par l’art digital avant de revenir à la peinture, est l’une des valeurs montantes de la scène locale, qui compte de plus en plus d’artistes urbains qu’il est le premier à apprécier. « Personnellement, j’apprécie beaucoup le travail de Ratur & Sckaro ainsi que les thématiques qu’ils abordent. Ils mixent bien leurs travaux entre street culture et art contemporain ». Pour lui, le dynamisme de la cité normande est incontestable. « Je sens un revival depuis 5 ans du graffiti et des Arts Urbains entre la nouvelle génération et l’ancienne qui revient en force. Ce développement du Street Art est lié au développement de la culture de la ville autour de l’Art Urbain et contemporain. « Rouen Impressionnée » a fait découvrir au public de nombreuses artistes internationaux. Et des lieux comme le Hangar 107 ou la galerie Outsiders contribuent au rayonnement et à l’ouverture de la scène Street Art ». S’il se consacre aujourd’hui aux toiles, Mathieu vient de réaliser une fresque sur le M.U.R. «Je pense qu’aujourd’hui, il est important qu’un artiste rayonne à travers d’autres supports que ses toiles. La rue est aussi une très belle vitrine d’exposition pour promouvoir son travail dans sa ville, pour les personnes ne fréquentant pas les galeries notamment. Le M.U.R. de Rouen est une belle opportunité de se faire connaître et de s’exprimer localement. Il est à mon avis primordial d’être actif dans sa ville de cœur car la proximité de l’artiste lui permet de rayonner à court et moyen long terme ». Une démarche partagée par de nombreux street artistes normands qui contribue à faire de Rouen une ville où l’Art Urbain est vivant.
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