Comme de nombreux pans de lâactivitĂ© culturelle, les festivals dâArt Urbain ont Ă©tĂ© lourdement impactĂ©s par la crise sanitaire. Dans lâincertitude actuelle, les acteurs, organisateurs et artistes, rĂ©flĂ©chissent aux solutions futures.
Par Christian Charreyre
Ă cĂŽtĂ© de la pratique sauvage, des commandes publiques et privĂ©es, de lâĂ©cosystĂšme marchand des galeries, les festivals sont lâun des piliers du dĂ©veloppement de lâArt Urbain. Ils offrent aux artistes de peindre en extĂ©rieur dans un cadre autorisĂ©, ce qui leur permet de rĂ©aliser des fresques monumentales inimaginables dans un autre cadre. Ils transforment des quartiers entiers en vĂ©ritables musĂ©es Ă ciel ouvert, donnant accĂšs Ă lâart Ă un large public, souvent peu habituĂ© des musĂ©es et autres lieux institutionnels parfois intimidants. Ils facilitent les Ă©changes entre artistes locaux et internationaux, reconnus et Ă©mergents et, ce qui nâest pas Ă nĂ©gliger, leur offrent une source de revenus. Depuis ces derniĂšres annĂ©es, leur succĂšs ne sâest pas dĂ©menti et leur nombre ne fait quâaugmenter.
AprĂšs le coup dâarrĂȘt du confinement et son cortĂšge dâannulations, les affaires reprennent⊠mais pas tout Ă fait comme avant. Entre contraintes sanitaires (distanciation sociale et autres gestes barriĂšres), difficultĂ©s de programmation (notamment pour les artistes Ă©trangers), morositĂ© Ă©conomique et manque de visibilitĂ©, il est sans doute nĂ©cessaire de rĂ©flĂ©chir au moyen de sâadapter Ă ce nouvel environnement.
Un festival résilient
Depuis 2015, le Street Art Fest Grenoble-Alpes sâest imposĂ© comme lâun des Ă©vĂ©nements majeur du Street Art en Europe, associant la rĂ©alisation dâĆuvres permanentes dans toute la ville et des rencontres entre les artistes et le public. Pour 2020, lâĂ©quipe du festival, dirigĂ©e par JĂ©rĂŽme Catz, a imaginĂ© une « Ă©dition spĂ©cial RĂ©silience » marquĂ©e par la crise du Covid-19. La situation , bien impactĂ©e par cette pandĂ©mie, a obligĂ© lâĂ©vĂ©nement Ă sâadapter aux nouvelles de derniĂšre minute et aux annonces gouvernementales. « Le Street Art Fest est une manifestation âcovid-proofâ⊠On reste sur de la crĂ©ation dâĆuvres murales, mais on a dĂ» annuler tout ce qui Ă©tait expositions, concerts, inaugurations des murs, rencontres et confĂ©rences. Les visites sont limitĂ©es Ă 8 personnes alors que nous avons plutĂŽt des groupes de 40. Nous avons rapidement compris que notre principal souci allait ĂȘtre la capacitĂ© des artistes internationaux Ă traverser les frontiĂšres. Câest pourquoi nous avons dĂ©cidĂ© dâallonger au maximum la durĂ©e de cette Ă©dition jusquâĂ fin octobre 2020. Mais comme lâensemble du festival Ă©tait prĂȘt fin fĂ©vrier, nous avons pu faire participer les artistes français dĂšs lâouverture du festival avec Snek, Brusk, Combo, Goin, Lâenfant Libre, Marco Lallemant et Otist. Ensuite, quelques artistes de Suisse comme Simon Berger ou LPVDA, dâEspagne avec Reskate et Inti (il vit Ă Barcelone) et de Belgique avec Piet Rodriguez ont pu traverser les frontiĂšres et peindre tout le mois de juillet », explique JĂ©rĂŽme Catz. Ăvidemment, la crise sanitaire va indĂ©niablement avoir des consĂ©quences. « Ăconomiquement, nous ne sommes financĂ©s quâĂ hauteur de 25% par la collectivitĂ©. Les partenaires privĂ©s ont maintenu leur participation, tout en la rĂ©visant Ă la baisse, mais nous avons tenu. Tout le festival est entiĂšrement gratuit pour le public, ça fait partit de lâADN du Street Art, et nous nous battons pour que cela le reste. Du coup, nos ressources ne dĂ©pendent pas directement de la frĂ©quentation. En cette pĂ©riode, cela contribue Ă la rĂ©sistance de notre modĂšle Ă©conomique. Si la crise sanitaire dure, nous devrons trouver dâautres soutiens financiers, quâils soient publics ou privĂ©s, et revoir Ă la baisse lâampleur de la manifestation⊠Et ce serait dommageable pour le public ». Pour autant, lâorganisateur reste raisonnablement optimiste. « En ce qui concerne les festivals dâArt Urbain en gĂ©nĂ©ral, je pense quâils ont de beaux jours devant eux car lâintĂ©rĂȘt du public est au rendez-vous et les propositions artistiques se renouvellent avec succĂšs ! Je reste confiant dans la prise de conscience des pouvoirs publics locaux pour rĂ©aliser que le Street Art est lâun des seuls secteurs de la culture Ă proposer de lâart dans lâespace public, disponible 24h/24h et âcovid proofâ⊠Les Ćuvres restent et sont gĂ©nĂ©ralement trĂšs apprĂ©ciĂ©es du public pendant de nombreuses annĂ©es, cela mĂ©riterait de reconsidĂ©rer la place de cet art plastique qui crĂ©e autant de lien social tout en animant cet espace public accessible Ă tous ».
Soutenir lâeffort…
InitiĂ© sur la communautĂ© dâagglomĂ©rations Centre Essonne et aujourdâhui dimensionnĂ© et dĂ©ployĂ© Ă lâĂ©chelle de Grand Paris Sud, le festival Wall Street Art accueille des street artistes du monde entier depuis 2015, sur un territoire qui regroupe 23 communes, 350.000 habitants et une superficie de 220 kmÂČ. Un terrain de jeu exceptionnel qui sâest enrichi au fil des annĂ©es de plus dâune cinquantaine de fresques. LâĂ©dition 2020 a Ă©tĂ© lancĂ©e par lâartiste français Gilbert Petit dans le centre-ville de Moissy-Cramayel (77), suivi par Seth Ă Grigny (91). En octobre, Lady M rĂ©alisera une fresque Ă Lieusaint (77) et le duo Jana & JS sâattaquera Ă une façade de Combs-la-Ville (77). Pour Gautier Jourdain, co-fondateur de la galerie Mathgoth, qui assure la direction artistique, lâimpact de la crise sanitaire ne sâest pas trop fait sentir. « Dans lâensemble, nous avons gĂ©rĂ© ça assez facilement. Les consĂ©quences ont Ă©tĂ© essentiellement de lâordre technique et organisationnel. Nous avons dĂ» et avons su nous adapter. Aucune fresque nâayant pu ĂȘtre crĂ©Ă©e avant lâĂ©tĂ©, nous avons tout reportĂ© Ă la rentrĂ©e. En outre, dĂšs le dĂ©but de la crise, nous avons pris la dĂ©cision dâajourner et de reprogrammer sur 2021 les projets que nous avions avec les artistes non europĂ©ens, Russe et Chinois notamment. Au final, lâĂ©dition 2020 est trĂšs franco-française mais ce nâest pas un mal». CĂŽtĂ© Ă©conomique, la situation est assez privilĂ©giĂ©e, ce qui permet au directeur artistique dâĂȘtre confiant. « Le festival est une volontĂ© de lâagglomĂ©ration Grand Paris Sud qui, dĂšs le dĂ©but, sâest donnĂ©e les moyens pour mettre en place un Ă©vĂ©nement dâune telle envergure. Il est entiĂšrement financĂ© par lâagglomĂ©ration. En ce qui concerne lâavenir du Wall Street Art, je suis donc assez serein. Les historiens rapportent que, lorsque lâon suggĂ©ra Ă Winston Churchill de diminuer le budget de la culture pour aider lâeffort de guerre, il aurait rĂ©pondu : âMais alors, pourquoi nous battons-nous ?â. Visiblement, les dirigeants de Grand Paris Sud sont dans le mĂȘme Ă©tat dâesprit. Ils ont dĂ©cidĂ© de ne pas supprimer ou diminuer les budgets du festival alors que nous traversons cette crise sanitaire. Plus que jamais les artistes ont besoin dâĂȘtre soutenus. Câest ce que fait le Wall Street Art depuis six ans maintenant. Quand les responsables de Grand Paris Sud ont imaginĂ© ce festival, ils ont pensĂ© au territoire, Ă ses habitants mais surtout aux artistes. Ce nâest pas maintenant que ça va changer ».
⊠pour envisager lâavenir
Le festival strasbourgeois Colors, dont la deuxiĂšme Ă©dition sâest dĂ©roulĂ©e au mois de septembre, propose un format original. «LâidĂ©e, câest dâaller sur un lieu mĂ©connu du public. Cette annĂ©e, nous avons investi le Studio 116, un ancien hangar de plus de 600 mĂštres carrĂ©s amĂ©nagĂ© avec quatre studios de danse, des parquets, des miroirs, dont nous allons habiller tous les murs», explique Julien Lafarge, directeur de lâassociation organisatrice. La crise sanitaire a rendu les choses un peu plus difficiles pour cette Ă©dition 2020, mais le festival a Ă©tĂ© maintenu. « Cette annĂ©e, lâorganisation a Ă©tĂ© trĂšs compliquĂ©e logistiquement mais aussi mentalement. En raison de la situation, et notamment des complications aux frontiĂšres, nous avons dĂ» modifier plusieurs fois le line up et annuler la venue dâartistes dâAmĂ©rique du Nord. Nous avons aussi dĂ» prendre toutes les mesures sanitaires afin de garantir de bonnes conditions sanitaires Ă nos spectateurs (port du masque, gel, signalĂ©tique, limitation,…) et limiter les temps festifs sur le festival (concert, apĂ©ro mix…) ». Tout ceci a Ă©videmment des consĂ©quences Ă©conomiques. « Ce sont des charges en plus et des ressources en moins. Et je crains que les consĂ©quences financiĂšres soient trĂšs fortes en 2021 au niveau des budgets mĂ©cĂ©nats et du sponsoring car les entreprises seront impactĂ©es». Comme JĂ©rĂŽme Catz et Gautier Jourdain, Julien Lafarge ne voit pourtant pas lâavenir trop sombre. « Les festivals sont des temps de crĂ©ation, de rencontres et dâĂ©changes importants pour un artiste ! Notre directeur artistique, Stom500, rĂ©alise dâailleurs sa programmation avec de nombreux artistes rencontrĂ©s sur des festivals. Il leur apporte Ă©galement une belle exposition mĂ©diatique et publique. Nous sommes donc plutĂŽt positifs et je pense que les festivals vont survivre, parce quâil est important de continuer Ă faire vivre la culture et lâart. Nous travaillons dâailleurs dĂ©jĂ sur lâĂ©dition 2021 ». Et lâĂ©quipe de Colors nâest pas la seule. MĂȘme sâil est difficile de dire de quoi demain sera fait, le monde de lâArt Urbain en gĂ©nĂ©ral et des festivals en particulier saura faire comme les Marines selon Clint Eastwood (dans Le MaĂźtre de Guerre) : « On improvise, on domine, on sâadapte ».
[button color=”black” size=”normal” alignment=”none” rel=”follow” openin=”samewindow” url=”https://phoenix-publications.com/produit/urban-arts-magazine-7-copie/”]Acheter [/button]