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Sur les murs

Philadelphie, la ville où le Street Art est roi !

Difficile de faire le compte des fresques murales de cette cité que l’on surnomme la « ville de l’amour fraternel ». Au dernier recensement, on en compte près de 3.800 ! Le résultat de 35 ans d’histoire.

Située à mi chemin entre New York et Washington, la principale métropole de Pennsylvanie (mais pas la capitale de l’État, qui est Harrisburg) a longtemps été connue comme lieu de la signature de la déclaration d’indépendance des États-Unis, le 4 juillet 1776. Mais elle s’est aujourd’hui taillée une réputation mondiale auprès des amateurs d’Art Urbain. Et les touristes sont plus nombreux à faire désormais le tour du centre-ville dans un bus à double-étage pour admirer quelques-unes des plus belles fresques qu’à visiter le National Constitution Center, seul musée au monde dédié à la Constitution américaine, ou à contempler la Liberty Bell, la cloche de la liberté, fêlée de part en part.

Une histoire étonnante

Tout a commencé en 1984… par un programme de lutte anti-graffiti ! Le maire de l’époque, Wilson Goode, veut alors mettre un terme aux peintures vandales qui se multiplient sur les murs de la ville. Tim Spencer, directeur du comité en charge du sujet, envisage d’orienter les graffeurs vers d’autres supports et se rapproche d’une jeune artiste locale, Jane Golden. Celle-ci propose de mettre en place une collaboration entre la municipalité et les artistes pour « canaliser leur énergie créatrice et leur talent ». Pendant deux ans, un petit groupe planche sur un programme ambitieux. En 1987, l’Anti Graffiti Network est ainsi restructuré, sa composante artistique devenant officiellement le Mural Arts Program (MAP), dont la direction est confiée à Jane Golden, qui en assure toujours la fonction aujourd’hui. Les premières fresques voient rapidement le jour et le phénomène prend une ampleur impressionnante. En 1989, grâce à des financements privés, le MAP commande une œuvre au muraliste californien Kent Twitchell, célèbre pour ses portraits d’artistes et de célébrités. Sa représentation de l’ex-basketteur des 76ers Julius Erving (alias Dr. J) en costume cravate, au 1219 Ridge Avenue, fait passer le projet dans une autre dimension, aux deux sens du terme.

Transformation profonde

Les fresques issues de ce programme ont profondément modifié le visage de la ville. « Ces peintures murales ont transformé des quartiers où les bâtiments et les communautés avaient longtemps souffert d’années de négligence, et le processus a donné aux graffeurs l’occasion de repenser leur travail et leur contribution à la ville en tant qu’artistes. Les changements que nous constatons ont un impact sur les individus, les communautés, les systèmes et, par extension, un impact civique important sur notre ville, puisque nous voyons Philadelphie se transformer en un musée de plein-air dont l’œuvre s’inscrit dans un processus social. Chaque œuvre d’art que nous réalisons implique quelqu’un, et en engageant les gens, en les connectant, en les inspirant à collaborer, nous voyons comment l’art a un impact très personnel. Le travail que nous faisons engage les gens, suscite quelque chose en eux, et leur demande de parler de leurs histoires, de leurs souvenirs, de leurs luttes, de leurs aspirations », explique Jane Golden.

Inscrit dans la ville…

Outre l’ambition et le nombre d’œuvres, le Mural Art Program s’est inscrit dans la durée. Pour Jane Golde, « Le fait que notre programme ait débuté en 1984 et, qu’aujourd’hui, non seulement il ait créé des milliers de nouvelles œuvres mais aussi une liste d’attente nous montre l’importance de l’art dans la vie d’une ville et qu’il existe une demande d’art à Philadelphie. Cela signifie aussi que Philadelphie est une ville qui se soucie profondément de l’art et de ce qu’elle peut faire, pour les jeunes, pour les artistes qui veulent travailler en public, pour les communautés. J’ai également le sentiment que ce programme n’aurait pas pu voir le jour ailleurs. Nous sommes une ville qui a adopté l’art public depuis longtemps, nous sommes une ville de quartiers, à la fois radicale et sophistiquée, audacieuse et visionnaire. Les peintures murales de cette ville sont de nature autobiographique. Elles nous racontent les histoires de chaque partie de la cité et, finalement, donnent à tous la dignité et le respect qu’ils méritent ».

Un art citoyen…

La réalisation de fresques murales, surtout a une aussi grande échelle, fait naturellement naître une interaction avec les habitants, qui commence dès la réalisation. « L’un des aspects remarquables des peintures murales est qu’elles sont généralement créées à la vue du public. Je ne sais pas s’il y a une chose spécifique à rechercher pour donner du sens, mais les muralistes ont tendance à être des personnes très ouvertes et sont généralement heureux de répondre aux questions des passants pendant qu’ils peignent ou installent une fresque. Et il n’y a pas de meilleure façon d’apprendre la signification de la fresque que par l’artiste qui l’a conçue », insiste Jane Golden. L’Art Urbain a également un impact sur le quotidien des habitants, surtout lorsqu’il est aussi présent qu’à Philadelphie. Mais cela ne semble pas poser de problème, si l’on en croit la directrice exécutive du programme.

« Je ne m’attends pas à ce que tout le monde aime toutes les peintures murales. Philadelphie est une grande métropole, la cinquième du pays, et il y beaucoup de choses que j’aime et d’autres que je n’aime pas. Le ‘‘sens du beau’’ est tellement subjectif. Souvent, certaines personnes me disent ‘‘je déteste les fresques’’ et, quand j’approfondis la question, il s’avère qu’il y en a qu’ils aiment vraiment. J’adore ! Il me semble en tout cas qu’ici, les habitants font preuve d’ouverture d’esprit sur tout ce qui existe, architecture, bâtiments, sculptures et peintures murales ».

… et engagé

La dimension sociale est également inscrite dans l’ADN du MAP. En 1998, alors que le quartier de Grays Ferry connaît de fortes tensions raciales − les policiers sont soupçonnés de violence envers la population noire −, Jane Golden et les membres de la communauté locale font du porte-à-porte pour convaincre les habitants de travailler sur une œuvre collégiale. Ceux qui se sont portés volontaires, en dépit des hésitations, réalisent alors le bien nommé Peace Wall. Devenue symbole d’espoir et d’unité, cette fresque au message humaniste a aidé à rétablir le dialogue et à apaiser les esprits. « Notre travail s’adresse à tous les quartiers de Philadelphie, mais nous donnons la priorité aux populations les plus défavorisées.

Nous avons mis en place des programmes d’éducation artistique pour les jeunes, de justice réparatrice pour les personnes en prison et celles qui en reviennent, et un troisième axé sur la santé comportementale pour les personnes souffrant de maladies mentales, de traumatismes et d’addiction. Nous avons également deux autres divisions importantes : un département de peintures murales communautaires qui se concentre sur la création de projets en collaboration avec des groupes et organisations des différentes communautés, et une division d’art public et d’engagement civique qui produit des œuvres d’art à grande échelle destinées à repousser les limites de notre pratique », explique Jane Austin.

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