Comme lâexplique Marion Fabre de lâOffice de Tourisme de la ville, Marseille est aujourdâhui un incontournable spot pour les amateurs dâArt Urbain. « Nous avons Ă©tĂ© Ă©lus ville la plus «instagrammable» dâEurope en 2016. Ses Ćuvres
murales se retrouvent sur les rĂ©seaux sociaux de bloggeurs professionnels ou occasionnels du monde entier et le Street Art est un vĂ©ritable but de voyage, notamment pour les citybreakers. Marseille a une scĂšne artistique trĂšs vive, autant contemporaine quâurbaine. Les expositions, Ă©vĂšnements, festivals fleurissent. La culture underground y est de plus en plus reprĂ©sentĂ©e et les artistes veulent toujours plus sâaffirmer». De nombreuses manifestations, comme le Street Art Festival, qui a lieu tous les ans depuis 2014 au mois de mai, assurent ainsi le dynamisme et le renouvellement de la crĂ©ation.
AncrĂ© dans lâhistoire
Alexandra Blanc VĂ©a, guide confĂ©renciĂšre experte en histoire du Street Art depuis les annĂ©es 1990, est tombĂ©e sous le charme de la ville, bluffĂ©e par la richesse et la diversitĂ© de la proposition. « Je suis arrivĂ©e Ă Marseille en 2001 et, dĂ©jĂ Ă cette Ă©poque, les murs du Cours Julien Ă©taient recouverts de toutes sortes dâinscriptions : collages, pochoirs…
Cela dĂ©gageait une incroyable Ă©nergie ! Mais dĂšs les annĂ©es 80, il y avait des graffs mâont racontĂ© les marseillais. Si lâon se rĂ©fĂšre au livre de Julien Valnet, M.A.R.S, Histoires et lĂ©gendes du hip-hop marseillais, le 5 juin 1984, le film Beat Street, rĂ©alisĂ© par Stan Lathan et produit par Harry Belafonte, prĂ©sentĂ© au festival de Cannes en mai de la mĂȘme annĂ©e, est projetĂ© au cinĂ©ma de lâOdĂ©on en haut de la CanebiĂšre en mĂȘme temps quâest organisĂ©e une prĂ©sentation de break danseurs marseillais. Quand les jeunes marseillais dĂ©couvrent le film qui montre la musique et la dance hip-hop, mais aussi le mĂ©tro new-yorkais graffĂ©, lâenthousiasme est tel que, dĂšs le lendemain, le mĂ©tro Rond-Point du Prado est bombĂ©. Et au cours Julien, il y a la Maison HantĂ©e, 10 rue Vian, qui accueille la scĂšne alternative marseillaise. Câest lĂ que se produiront pour la premiĂšre fois DJ KhĂ©ops et Massilia Sound System. Le cours Julien devient lui aussi un lieu alternatif ou se cĂŽtoie une jeunesse alternative ». Comme le dit Julien Valent, « Le cours Juâ, câĂ©tait Soho ».
Quartiers incontournables
Le Cours Julien est ainsi un vĂ©ritable musĂ©e Ă cĆur ouvert. « Dans ces rues entiĂšrement piĂ©tonnes, les bars aux terrasses animĂ©es participent au charme du lieu. Les commerçants ont dâailleurs pris conscience de la force du Street Art pour attirer locaux et touristes. Le Cours Juâ est devenu un passage incontournable avec ses petites boutiques aux devantures colorĂ©es et aux murs entiĂšrement recouverts », indique Marion Fabre. Mais dâautres quartiers sont Ă dĂ©couvrir Ă©galement. « Ă deux pas du Vieux Port et sa mythique CanebiĂšre, le Panier est le quartier artistique le plus reconnu et emblĂ©matique de la ville. Dans ses rues piĂ©tonnes et sinueuses, le Street Art sâĂ©tend Ă ciel ouvert. Les artistes collaborent ensemble, et les Ćuvres Ă©gaient les murs de ce mignon quartier Ă la fiertĂ© Marseillaise. PrĂšs des plages, lâescale Borely est un spot prisĂ© des sportifs depuis sa crĂ©ation en 1991. Le bowl de Marseille, Ă lâambiance californienne aux beaux jours, est cĂ©lĂšbre dans le monde entier pour son skatepark et les graffs qui lâaniment. Enfin, la Friche de la Belle de Mai, une ancienne manufacture de tabac, sâest transformĂ©e en espace dâexpĂ©rimentation unique dĂ©diĂ© Ă la crĂ©ation artistique sous toutes ses formes. Studios, salles de spectacles, espaces dâexpositions, incubateurs et aire de glisse fleurissent la friche. Un incontournable lieu de melting-pot artistique ».
Reconnaissance en marche
Comme partout, le passage dâun art de rue vandale, historique, Ă une crĂ©ation admise, reconnue et mĂȘme officielle, suscite des positions diverses. Graffeuse, Joan Gandolfi a crĂ©Ă© le collectif Massilia Graffiti pour accompagner cette Ă©volution. « Vivant dans le quartier du Cours Julien, les arts de la rue font partie intĂ©grante du paysage urbain et rythment notre quotidien. En 2015, nous avons imaginĂ© crĂ©er un lieu oĂč chacun pourrait aborder Ă sa maniĂšre cet art, en proposant des objets customisĂ©s ou des prestations dĂ©coratives, sur plein de supports diffĂ©rents. DĂ©fi relevĂ© puisque, avec Marie, ma compagne qui Ă©volue dans le milieu de la moto et du vintage, nous venons dâouvrir notre concept store Massilia Graffiti Feat Heritage Mecanik, oĂč lâon conjugue articles customisĂ©s ou personnalisables ». Le collectif joue le rĂŽle dâintermĂ©diaire entre les graffeurs, les habitants et les pouvoirs publics. Joan est cependant
consciente de lâambiguĂŻtĂ©. « Aujourdâhui le Street Art est devenu un centre dâintĂ©rĂȘt Ă part entiĂšre, mis en avant
par des circuits touristiques organisĂ©s Ă travers la ville. La municipalitĂ© est quant Ă elle parfois actrice, parfois police mais ne sait pas encore oĂč se placer pour ne pas froisser les habitants les plus rĂ©ticents et ne pas se mettre Ă dos les afficionados dâArt Urbain en tous genres ». Le collectif a ainsi participĂ© en 2018 Ă un grand projet de rĂ©novation des commerces du Cours Julien. « LâidĂ©e est venue par hasard, dâune rencontre dans une rue du quartier avec le chargĂ© de mission du dĂ©partement. Câest un beau projet pour les commerçants dans ce quartier Underground oĂč, Ă cette occasion, deux mondes qui dâhabitude sâobservent ont travaillĂ© de pair Ă harmoniser les façades. Je nâai quâun seul regret : quâil nâest pas continuĂ© ». Entre Ćuvres lĂ©gales et graffs vandales, il nâest pas facile de faire la distinction. « Presque tous les murs du Cours Julien sont recouverts, alors difficile de sây retrouver ! Il y a dans ce quartier une sorte de tolĂ©rance, de permissivitĂ©. Dâautant que, quand un mur est nettoyĂ©, dĂšs le lendemain il est recouvert ! Je dirais cependant quâaujourdâhui, il y a davantage de murs peints autorisĂ©s quâauparavant. Dâabord, parce que de nombreux murs, souvent les plus grands, ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s lors des Festivals Street Art organisĂ©s depuis 2015 par Marseille Centre. Ensuite parce quâil y le M.U.R, rue CrudĂšre, gĂ©rĂ© par lâAsso Juxtapoz depuis 2012, qui offre un espace autorisĂ© aux artistes. Enfin, parce que de nombreux commerces travaillent avec des graffeurs qui peignent leur façade. LâĂ©tĂ© 2018, le Conseil DĂ©partemental a octroyĂ© une enveloppe de 40.000 euros pour la rĂ©alisation par des graffeurs du collectif Massilia Graffiti de fresques dans le parking et sur les rideaux des commerces », note
Alexandra Blanc VĂ©a.
De grands noms…
Tous les grands noms du Street Art sont passĂ©s dans la citĂ© phocĂ©enne, mĂȘme si beaucoup de leurs crĂ©ations ont disparu au fil des annĂ©es.« Space Invader a laissĂ© sa trace ici comme dans toutes les grandes villes. Les dessins de Monsieur Chat, qui recouvrent depuis 2015 toute la façade du WAAW, sont aussi un peu partout. Jâen ai mĂȘme vu sur la barquette dâun pĂȘcheur Ă Cassis! On peut aussi trouver des pochoirs de C215, qui est venu au moins deux fois Ă Marseille au Cours Juâ. Malheureusement, certains, dans dâautres quartiers, rue Edmond Rostand ou Place des Pistols dans le Panier, ont tout de suite Ă©tĂ© recouverts. MĂȘme chose pour un pochoir de Jef AĂ©rosol, rue CrudĂšre, qui a malheureusement disparu. Il doit rester une affiche dâEddie Colla, avec ses personnages portant des masques â presque prĂ©monitoire â Ă lâangle de la montĂ©e des Accoules et de la place de Lenche, dans le Panier. Jâadore aussi
Bash pour son humour, Joke pour son lettrage et lâitalien Alberto Ruce, notamment son Baiser que lâon peut voir dans le Panier. Il y a aussi la paire dâyeux de JR qui nous suit du regard quand on passe devant la Friche de la Belle de Mai en TGV. Ses autres Ćuvres ont disparu. Enfin, il ne faut pas rater les peintures monumentales de la L2 dont les artistes ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©s par Jean Faucheur, une des grande figures historiques du graff en France ».
⊠et pépites à découvrir
La scĂšne marseillaise regorge Ă©galement de talents, locaux qui sâimposent au niveau national et international, pour lesquels Alexandra Blanc VĂ©a a des coups de cĆur. « Jâaime beaucoup Manyoly, dont les superbes portraits de femmes se retrouvent aussi Ă Paris, Londres, BornĂ©o, Murcia ou Berlin ; StĂ©phane Moscato pour ses affiches trop
stylĂ©es ; Gamo et ses Bboys ; Mahn Kloix, un street artiste engagĂ© qui a signĂ© avec Gutan un superbe hommage Ă la nature, Man versus Wild… Il y en a tant dâautres, comme ceux qui ont participĂ© Ă la fresque collective racontant lâhistoire des arbres de la Plaine ». Joan Gandolfi a elle aussi ses petits chouchous parmi les artistes locaux. « Pour moi, Abel est celui qui dompte lâart du lettrage. Une autre rĂ©fĂ©rence, lâartiste Dire 132, qui rend hommage Ă la fĂ©minitĂ© de la plus belle des maniĂšres. Enfin une troisiĂšme pĂ©pite dans notre paysage marseillais, Braga pour sa maĂźtrise totale ». Autant de bonnes raisons pour partir Ă la dĂ©couverte des murs de Marseille.