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Rencontre

Tanc, heureux qui communique


À l’occasion de sa nouvelle exposition Ă  la Loo & Lou Gallery, l’artiste propose une nouvelle exploration autour de l’écriture, en prĂ©sentant ses toiles abstraites couvertes de formes, vĂ©ritable calligraphie lisible-illisible.

Tanc : @tanc1979

TANC
TANC

C’est dans le superbe atelier qu’il partage depuis plus de 10 ans avec L’Atlas – autre « dĂ©tourneur Â» de l’écriture – que TANC – le diminutif de son prĂ©nom, TancrĂšde – prĂ©pare depuis plus d’un an les Ɠuvres de cette exposition oĂč il pousse le concept de dĂ©fragmentation. S’il a fait ses classes aux grandes heures du graffiti, un parcours qu’ii ne renie en rien – il continue toujours de poser des tags dans la rue –, cet artiste a toujours souhaitĂ© laisser une trace, en crĂ©ant des Ɠuvres pĂ©rennes, inventant et rĂ©inventant sans cesse un vĂ©ritable langage universel nourri de ses voyages, de ses expĂ©riences, de ces recherches;

Comment ĂȘtes-vous tombĂ© dans le graffiti ?
Mes parents, un pĂšre architecte et une mĂšre dĂ©coratrice, s’intĂ©ressaient en effet Ă  l’art, avec de nombreux ouvrages dans la bibliothĂšque et des tableaux accrochĂ©s aux murs de la maison, dont un trĂšs grand Veličković. Mon frĂšre aĂźnĂ©, artiste Ă©galement, m’a aussi fait dĂ©couvrir pas mal de choses. Mais, en tant qu’artiste comme en tant que collectionneur, on doit toujours casser les codes de ses parents, faire ses propres recherches, ne pas se contenter d’un hĂ©ritage. Il y avait pas mal de graffitis autour de moi et je trouvais cela gĂ©nial, sans vraiment comprendre ce que c’Ă©tait. Petit Ă  petit, je m’y suis intĂ©ressĂ© de plus en plus, j’ai commencĂ© Ă  taguer, d’abord avec des marqueurs. Et un beau jour, j’ai dĂ©cidĂ© de franchir le pas et d’aller voler des bombes – Ă  l’époque, il paraĂźt que c’est ce qu’il fallait faire [rires] – et j’ai fait deux ou trois tests dans mon quartier, le XVIe arrondissement parisien.

Aujourd’hui, mĂȘme les institutions ne peuvent plus ignorer les artistes qui viennent de l’Art Urbain.

TANC

Pas vraiment un fief de l’Art Urbain

Mais si ! On ne s’en rend pas compte mais, depuis le dĂ©but du graffiti, certains viennent de la banlieue et d’autres du XVIe ! Et ceux-lĂ  ont assez d’argent pour aller Ă  New-York et rapporter cette culture. Le style peut dĂ©passer ces questions d’appartenance. En outre, dans le XVIe, il y a les vieilles gares de la petite ceinture, pas mal de terrains vagues, les quais
 Dans les annĂ©es 1980-1990, le TrocadĂ©ro est Ă©galement un lieu de rencontre pour les skateurs et pas mal de communautĂ©s un peu marginales de la culture urbaine. Il se passait alors des choses.

Vous ĂȘtes donc d’abord un peintre de la rue ?
Tout Ă  fait. Rapidement, le tag ne m’a plus suffit alors et j’ai rĂ©alisĂ© mes premiĂšres fresques et dĂ©couvert le plaisir Ă  peindre Ă  la bombe. Le fait de pouvoir passer sur n’importe quelle matiĂšre en continu sans toucher le support est extraordinaire. J’avais suivi des ateliers d’art contemporain Ă  la Mairie de Paris mais je trouvais l’usage du pinceau trĂšs contraignant, Ă©prouvant des difficultĂ©s Ă  appliquer la peinture comme je souhaitais. À l’Ă©poque, je croquais la vie Ă  pleines dents et n’avais pas le temps d’approfondir la technique. La bombe a ainsi Ă©tĂ© une libĂ©ration. C’Ă©tait moderne, avec de nouveaux codes et, Ă  15/16 ans, je me sentais pleinement de cette gĂ©nĂ©ration
 presque appelĂ©.

Envisagiez-vous déjà une carriÚre artistique ?
J’étais en plein nĂ©ant de projet de vie [rires]. VĂ©ritable cancre, j’avais beaucoup de mal Ă  m’intĂ©resser Ă  l’Ă©cole et Ă  me concentrer. Je me faisais rĂ©guliĂšrement virer et c’Ă©tais trĂšs compliquĂ© pour moi. Mais, parallĂšlement, je m’enrichissais par le graffiti. Ma vie se rĂ©sumait Ă  trouver des endroits pour peindre
 et Ă  me droguer. C’Ă©tait un point de passage et une fenĂȘtre ouverte sur autre chose. En seconde, je me suis retrouvĂ© dĂ©scolarisĂ©. La seule chose que j’aimais faire, c’Ă©tait dessiner. Mais cela me semblait impossible de gagner sa vie en vendant des tableaux, surtout avec le graffiti. En dĂ©gotant une Ă©cole de graphisme qui m’acceptĂ©, je me suis senti beaucoup mieux dans ma peau. J’ai suivi les cours et fait de plus en plus de graffitis
 un pied dans deux mondes. D’un cĂŽtĂ© une dĂ©marche professionnelle, un peu marketing, Ă  l’Ă©coute des demandes des clients ; de l’autre, l’Ă©cole de la rue, en vandale, avec une grande libertĂ© et des rencontres.

Avez-vous hésité entre ces deux univers ?
Pas trĂšs longtemps [rires]. À la sortie de l’Ă©cole, j’ai travaillĂ© un peu en freelance mais aussi commencĂ© Ă  prĂ©senter ma production artistique. En 2001 ou 2002, j’ai participĂ© Ă  une premiĂšre exposition sur les bords du canal Saint Martin, organisĂ©e par la librairie Artazart. J’ai fait la connaissance de Jean Faucheur et, grĂące Ă  lui, rencontrĂ© AgnĂšs B qui m’a alors embauchĂ©. Avec ce job, mon travail d’artiste est passĂ© au second plan, ce qui n’a pas Ă©chappĂ© Ă  l’équipe qui m’a dit : « essaie de vivre ta vie, si ça ne marche pas, tu pourras toujours revenir ». Et ne je suis jamais revenu. Au dĂ©but, c’Ă©tait dur, on vivait avec rien, dans des squats. Mais la vie Ă©tait tellement extraordinaire que cela valait tout l’or du monde.

La musique est votre autre passion. Auriez-vous pu en faire votre métier ?
Sans doute. Mais je pense que j’avais plus de facilitĂ©s avec le dessin. Je continue cependant, mais en amateur Ă©clairĂ©, juste pour moi et ma famille. Je n’ai plus le temps de me produire dans des salles. Et comme je n’ai jamais Ă©tĂ© trĂšs bien payĂ© pour ça


Cet attrait explique-t-il que vos oeuvres peuvent aussi se lire comme des partitions ?
Il y a cette idĂ©e de patterns, parfois lettres, parfois notes, parfois entre les deux dans l’abstraction. Elles donnent un rythme qui peut en effet se lire comme une partition, ou comme des lyrics, des paroles que je n’ai pas Ă©crites.

J’ai trouvĂ© une libertĂ© dans la peinture qui m’a permis de m’exprimer.

TANC

Vous avez commencĂ© par des Ɠuvres abstraites, ĂȘtes passĂ© au lettrage avant de revenir vers l’abstraction. Pourquoi ce cheminement ?
Dans les annĂ©es 1990, le milieu du graffiti Ă©tait encore trĂšs dur, les gens aimaient bien se taper dessus. On n’Ă©tait pas dans l’Ăšre du Street Art oĂč tout le monde est sympa. Pour se faire respecter, il fallait Ă©crire son nom, avoir un style pour marquer son territoire. Si on ne passait pas par ces codes, on n’avait pas le droit de peindre. C’est comme ça que cela se passait et j’y ai pris goĂ»t assez vite. Ce n’est que lorsque je suis passĂ© Ă  la toile que je me suis posĂ© des questions, parce que peindre des lettres sur la toile, c’est ce que faisaient merveilleusement les amĂ©ricains dans les annĂ©es 1980. Pour moi, impossible donc de revenir Ă  ça ! J’ai rĂ©flĂ©chi Ă  un concept, transformer le nom par l’abstraction. Le triturer tellement qu’on ne le lise plus.

Une démarche qui vous a pris longtemps ?
Je suis d’abord passĂ© par les logotypes. C’est lĂ  que j’ai rencontrĂ© L’Atlas. Nous avons fait pas mal de campagnes d’affichages oĂč l’on posait nos logos ensemble. Et, pour une exposition, j’ai commencĂ© Ă  dĂ©fragmenter mon logo avec des traits qui partent. Mon style c’est ça, une recherche sur le trait, avec ce cĂŽtĂ© saturĂ©, rĂ©pĂ©titif. Je fais souvent des all-over en peignant la toile dans son ensemble. J’ai trouvĂ© une libertĂ© dans la peinture qui m’a permis de m’exprimer.

Y a-t-il des artistes dont vous sentez proches ?
D’abord, tous les peintres expressionnistes abstraits de l’École de New-York. Et en France, de Hans Hartung, de Soulages
 Parmi ceux qui fonctionnent bien aujourd’hui, je suis assez en lien avec Bernard Frize, notamment pour la maniĂšre dont il dĂ©veloppe ses sĂ©ries, en proposant des choses nouvelles Ă  partir d’Ă©lĂ©ments trĂšs simples. Je suis aussi toujours proches d’artistes comme Nils Jendri, un allemand assez jeune qui fait des choses trĂšs intĂ©ressantes en abstraction gestuelle Ă  la bombe. J’ai aussi dĂ©couvert la peinture asiatique avec le corĂ©en Lee Ufan, avec cette philosophie de faire vivre le vide par le trait. Je suis mariĂ© avec une corĂ©enne et, depuis dix ans, je vais rĂ©guliĂšrement dans ce pays, dont les artistes m’ont beaucoup influencĂ©.

Vous ne vous situez pas dans un mouvement artistique précis

J’Ă©tais trĂšs content de faire partie du graffuturisme [mouvement fondĂ© par Poesia, avec des artistes comme Clemens Behr, Nawer ou Futura 2000, NDLR], parce que c’est gĂ©nial d’avoir une niche identifiĂ©e. Mais assez vite, certains qui, selon moi, n’avaient rien Ă  voir avec ce mouvement ont rĂ©ussi Ă  s’infiltrer. AprĂšs quelques expos, le graffutrisme a disparu et c’est aussi bien. Un mouvement qui dure trop longtemps se vide de sens. Aujourd’hui, alors que l’on parle, ou on reparle, de post-graffiti, de post-vandalisme, je me sens assez liĂ© Ă  ces courants, parce que, d’une certaine maniĂšre, j’ai participĂ© Ă  leur apparition. Pour autant, difficile pour moi de me me coller une Ă©tiquette.

Y a-t-il une volonté de revenir aux origines ?
Sans doute, du moins de proposer des choses plus dures, un peu de sauvagerie, moins de consensus. ForcĂ©ment, on touche un autre public. On n’est plus dans le « Mickey » et c’est intĂ©ressant. En cherchant une libertĂ© d’expression, alors que j’Ă©tais au cƓur du Street Art, je crois que j’ai ouvert quelques portes en montrant que l’on pouvait aller plus loin. Aujourd’hui, mĂȘme les institutions ne peuvent plus ignorer les artistes qui viennent de l’Art Urbain. J’ai compris que je ne pouvais pas me dĂ©tacher de mon histoire. Ce n’Ă©tait pas intĂšgre, c’Ă©tait me mentir et mentir aux autres.