À travers ses visages féminins inspirants, Carole b casse les codes avec douceur, humour et pédagogie, guidant le spectateur de l’observation à la réflexion. Une « mission » essentielle.
Pochoirs découpés au scalpel et remplissage à la bombe dans la rue, assemblage de papiers colorés et
texturés à l’atelier, ses portraits mettent en lumière des figures féminines fortes, obligeant le spectateur à porter son regard sur la féminité autant que le féminisme. Car derrière ces icônes souvent glamour se cachent ainsi des histoires méconnues qu’il faut découvrir, et une réalité trop souvent moquée ou ignorée : le combat des femmes pour l’égalité.
Pourquoi avoir choisir le collage, notamment le découpage collage, technique singulière ?
Je m’y suis intéressée en 2003-2004 car j’aime découvrir des techniques que je ne connais pas, des univers que je ne maîtrise pas. Surtout, j’étais assez dubitative par rapport au collage, que j’assimilais à un assemblage de magazines découpés… Je me suis mis en tête de réaliser un portrait réaliste à partir de papiers Canson. Lorsque je l’ai montré à un de mes amis, il s’est exclamé : « super cette photo de Cindy Crawford… » avant d’ajouter en s’approchant, « c’est du collage tout pourri en fait ». J’ai d’abord été vexée… avant de réaliser qu’il était possible de tromper les gens avec un collage réaliste. J’ai donc choisi d’explorer cette technique.
N’est-ce pas également pour le côté relief ?
Le relief est important dans mon processus de travail. Cela s’apparente assez à un bas-relief avec une superposition de couches. La façon dont je colle apporte d’ailleurs un aspect tridimensionnel au découpage-collage puisque j’essaye de recréer les volumes naturels du visage. Il y a également le côté sensuel… On a envie de toucher !
Et pourquoi avoir choisi le timbre comme support ?
J’ai découvert que la Marianne du timbre choisie par François Hollande entre 2013-2018 s’inspirait de l’activiste féministe et fondatrice des Femen Inna Shevchenko. L’idée de réaliser une Wonder Woman avec les codes Femen, la couronne ukrainienne, les couleurs du drapeau… et la devise légèrement modifiée, Liberté, égalité, Femenité, s’est imposée. Une façon également de jouer avec les symboles, le timbre Marianne véhiculant des valeurs républicaines très fortes et indiscutables, un côté exemplaire intrinsèque. En droite ligne du Pop Art, je reproduis ainsi manuellement à grande échelle un objet du quotidien minuscule fabriqué en machine.
Dans la rue, vous utilisez le pochoir. Quel lien faites-vous entre ces deux techniques ?
Mes œuvres étant engagées, je ne me sentais pas toujours à ma place dans les expositions avec mes découpages-collages de Wonder Woman, Simone Veil… au milieu des huiles de paysages et de natures mortes [rire]. La rue et le pochoir se sont donc imposés pour toucher un maximum de personnes. La découpe s’effectue en amont avant le remplissage des vides à la bombe, une façon également de me renouveler.
Proposez-vous le même univers dans l’espace public ?
Bien que mon travail soit engagé, il reste doux, inclusif afin de ne pas heurter. Ainsi, quels que soient les sujets que je traite et la façon dont je les traite, mes pochoirs ont leur légitimité dans la rue. Contrairement à celles d’atelier où j’explore parfois l’esthétisme sans démarche artistique profonde, dans l’espace public, je m’autorise uniquement des œuvres engagées, délivrant le message que je souhaite porter.
Être une artiste engagée est-il important pour vous ?
Oui… J’espère inspirer d’autres personnes. Ayant été plusieurs années formatrice en prison, en CFA [Centre de Formation des Apprentis, NDLR]… la transmission est une valeur très forte pour moi.
Quels engagements revendiquez-vous ? Quelle liberté ? Quelle égalité ? Quelle féminité ?
Pour les femmes, la liberté de choisir leur métier, leur façon de s’habiller, de se maquiller… L’égalité salariale, professionnelle et politique… les femmes étant sous-représentées dans les postes clés. La féminité enfin, plus inclusif que sororité qui désigne la solidarité entre les femmes, fait intrinsèquement référence à une fraternité comprise de façon large. Car la féminité n’est pas l’ennemi du féminisme. On peut tout à fait être sexy, glamour, sensuelle… tout en étant féministe, un fait que je souhaite mettre en avant. Pour moi, le terme féminité teinté d’humour est rassembleur, inclusif, chacun pouvant s’y reconnaître à un moment ou à un autre…
Mais qu’est-ce que la féminité ?
Cette part pointée du doigt par les féministes : le côté sexy, sensuel, glamour vu comme un défaut. J’essaie de montrer différents visages du féminisme avec de l’humour et toujours de la douceur. Je trouve injuste que des voix se soient élevées en 2016 lorsque l’ONU a choisi Wonder Woman pour sa campagne en faveur de l’émancipation des femmes. Pourquoi une femme blanche, sexy, glamour, en petite tenue ne serait-elle pas un modèle progressiste ? Pourquoi une super-héroïne en soutien-gorge et culotte ne serait-elle pas féministe ? Depuis toute petite, je suis fascinée par les pin-up aux formes voluptueuses et à la sensualité exacerbée… car, pour moi, c’est aussi une force !
Les pin-up ? C’est assez paradoxal !
Pas tant que cela ! Hedy Lamarr, l’une des plus belles femmes du monde, est à l’origine du Wifi ; Jayne Mansfield et sa poitrine opulente avait le QI d’Einstein et Dita von Teese, la reine du burlesque, malgré toute sa sensualité, n’est pas une femme « faible ». Aujourd’hui encore, la beauté de certaines femmes majors de promo est un frein dans leur carrière professionnelle, au point d’être obligées de s’enlaidir
pour être plus crédibles !
Si vous deviez résumer la féminité…
La féminité est un concept plus large que la simple apparence physique… Je dirais être soi-même, tout simplement.
Cet engagement se traduit par la représentation d’icônes. Comment les choisissez-vous ?
Je choisis des figures célèbres de l’histoire dont le visage est connu de tous afin d’éclairer une partie de leur combat souvent ignoré, à l’image de Joséphine Baker à laquelle je me suis intéressée dès 2016, bien avant son entrée au Panthéon, et dont peu de personnes connaissaient alors l’engagement. Une femme exceptionnelle, exemplaire ! Certaines sont un peu moins connues, comme Deddeh Howard, mannequin d’origine libérienne qui a souligné le manque de diversité ethnique dans le monde de la mode de façon assez intéressante. Lorsque que je choisis un personnage, il y a d’abord une longue phase de recherche pendant laquelle je compile les éléments pour pouvoir ensuite raconter son histoire de façon picturale, ma valeur ajoutée restant l’aspect pédagogique. Il est important pour moi d’inciter les gens à regarder l’œuvre pour ensuite s’intéresser au personnage…
Est-ce important pour les femmes de prendre le pouvoir ?
En 2022, les femmes se heurtent toujours à un plafond de verre, souffrent encore de discriminations à l’embauche. Demande-t-on à un homme s’il a des enfants ? S’il en veut ? Et combien de femmes dirigent une entreprise ? Quant au monde de l’art, une expo de nana est forcément une expo féministe ! Il est anormal que l’on pense aux femmes qu’une fois l’an !
D’ailleurs, que représente la Journée de la femme ?
Mon anniversaire [rire] ! Le 8 mars, mon téléphone devient dingue. J’appréhende tout en étant fière d’y être associée. Cela prouve que les valeurs que je véhicule sont reçues par le public. Un joli coup de projecteur pour mettre en lumière des femmes qui méritent de l’être. Pour autant, le combat est loin d’être gagné ! Je valide d’ailleurs que cette Journée de la femme ait été rebaptisée en journée pour le droit des femmes et je déplore qu’il n’y ait qu’un seul jour pour cette célébration alors que l’on représente la moitié de l’humanité.
Vous avez représenté quelques hommes…
De hommes engagés uniquement comme Thomas Sankara, ardent défenseur du féminisme, Condorcet, défenseur de l’égalité entre femmes et hommes dès 1787, ou le député Lucien Neuwirth surnommé
« Lulu la pilule » qui a porté devant l’Assemblée la légalisation de la pilule contraceptive. Pour moi, le féminisme est aussi une affaire de bonhomme !
Pourquoi avoir choisir le féminisme plutôt que la lutte contre le racisme ?
C’est une excellente question ! Paradoxalement, je n’ai jamais réellement conscientisé que j’étais noire, n’ayant pas souvent été confrontée au racisme, ni même revendiqué mes racines. D’ailleurs, je parle mieux allemand que créole, langue utilisée par mes parents pour nous engueuler [rire] ! Plus jeune, j’étais attirée par la culture sud américaine, j’ai voyagé, vécu en Nouvelle-Zélande… La Guadeloupe et les origines de ma famille ne m’ont pas été transmises. Avec l’âge cependant, je m’interroge davantage sur mon identité, mes ancêtres, mes racines…, afin de mettre cet héritage en avant dans mon travail. Dans mon combat féministe, être une femme noire qui ne met pas en avant sa Négritude devient finalement une force. C’est justement cette singularité qui me donne sans doute davantage de crédit.
Dans votre pratique artistique, votre engagement vous dessert-il ?
Non puisque mon travail n’a pas vocation à heurter les sensibilités, même si, parfois, mon message ne plaît pas. C’est en cela que je me démarque et c’est le plus important pour moi. J’ai trouvé ma voie et je sais qu’elle va me porter loin.
Quels sont vos projets ?
Je travaille avec la galerie Les Temps Donnés avec toujours plus d’œuvres timbrées, le timbre étant devenu une marque de fabrique. Je prépare également un solo show à la galerie Young Artist pour la fin de l’année. Je compte également reprendre mon « Wonder Coman Project » dans l’espace public…
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