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Marché de l'art

Claude Kunetz – Wallworks Galerie

« L’art ne peut vivre sans les collectionneurs »

Pour ce pionnier atypique, l’art urbain doit encore sortir de son petit monde pour toucher un plus large public d’amateurs et d’acheteurs.

 

Comment devient-on spécialiste du Street Art ?

Par hasard ! Je suis producteur de films. En 2001, j’ai produit un film qui se passait dans un hĂŽpital psychiatrique dans l’Aisne [Rien, voilĂ  l’ordre, de Jacques Baratier, avec Laurent Terzieff, Amira Casar et Macha MĂ©ril, NDLR]. Nous sommes restĂ©s quatre mois dans ce centre, les patients ont fait de la figuration et ont adorĂ©. À la fin, le directeur m’a demandĂ© de trouver une idĂ©e pour poursuivre ces activitĂ©s. Comme le lieu, une ancienne abbaye du XIIIe siĂšcle Ă©tait magnifique, j’ai proposĂ© de crĂ©er un centre culturel. L’Ă©quipe a Ă©tĂ© enthousiaste et nous avons lancĂ© le projet qui a durĂ© 10 ans. En 2009, il y a eu l’exposition de la collection de Street Art d’Alain-Dominique Gallizia au Grand Palais. Les patients ont voulu essayer, je n’y connaissais rien, j’ai fait appel Ă  quelques graffeurs qui sont venus travailler avec les rĂ©sidents pendant un an. À l’issue de cette pĂ©riode, nous avons organisĂ© une exposition Ă  l’École des Beaux-Arts, qui a eu beaucoup de succĂšs.

Et galeriste ?

AprĂšs cette exposition, Kongo,l’un des graffeurs, m’a dit que la rencontre avec les malades mentaux avait Ă©tĂ© une expĂ©rience gĂ©niale, que c’Ă©tait trĂšs bien d’exposer aux Beaux-arts, mais qu’il fallait aussi montrer cet art de « vandale » dans les galeries. Nous avons essayĂ©… et nous nous sommes faits jetĂ©s de partout ! Six mois plus tard, le hasard a voulu que je dĂ©couvre un lieu magique, en sous-sol, et j’ai crĂ©Ă© la galerie Wallworks. Et cela a tout de suite bienfonctionnĂ© parce que j’exposais des artistes que l’on ne voyait pas ailleurs et que l’espace, un peu underground Ă  la new-yorkaise, plaisait beaucoup aux collectionneurs et aux journalistes. En rĂ©sumĂ©, c’est la maladie mentale qui a amenĂ© la galerie mentale.

L’art ne peut vivre sans les collectionneurs.

Le monde du Street Art a-t-il beaucoup changé en 10 ans ?

Lorsque nous avons commencĂ©, il y avait deux ou trois galeries spĂ©cialisĂ©es et une grande vente par an ; aujourd’hui ; il y en a plus d’une centaine de galerie rien qu’Ă  Paris et une vente par semaine ! Pour autant, dans les vernissages et les Ă©vĂ©nements autour du graffiti, on retrouve toujours les mĂȘmes personnes. Il y a dix ans, Drouot a essayĂ© de crĂ©er une classe avec la galerie Magda Danysz pour donner des cours liĂ©s Ă  l’art urbain, le projet s’est arrĂȘtĂ© au bout d’un an faute de demande. L’art urbain n’est pas liĂ© Ă  l’Ă©cole des Beaux-Arts, l’art urbain n’est pas achetĂ© par les musĂ©es français et les institutions, l’art urbain n’est pas achetĂ© par les grands collectionneurs. François Pinault ou Bernard Arnault ne s’intĂ©resse pas du tout au graffiti. Le jour oĂč ils s’y intĂ©resseront, le marchĂ© dĂ©collera vĂ©ritablement. L’art ne peut pas vivre sans les collectionneurs.

Que vaut l’art urbain aujourd’hui ?

Il y a Ă©videmment le cas de Basquiat, qui vient de l’art urbain, dont la cote atteint les 100 millions d’euros. Ensuite, on retire deux ou trois zĂ©ros pour Banksy ou Keith Haring. Avec encore un zĂ©ro de moins, c’est JonOne ou Rime. Mais la plupart des Ɠuvres sont encore accessibles, la plupart valent entre 5.000 et 30.000 euros. Mais tant qu’il n’y aura pas une reconnaissance de l’art urbain par l’art contemporain, le marche n’explosera pas. Et on en encore loin. Lorsqu’une maison de vente essaie de mĂ©langer dans le mĂȘme catalogue art contemporain et art urbain, la salle se vide quand on passe de l’un Ă  l’autre. Et le marchĂ© est encore restreint. Beaucoup de Français connus ici sont totalement inconnus aux États-Unis.

Comment choisissez-vous les artistes que vous représentez ?

Il faut suivre le goĂ»t des collectionneurs. Et malheureusement, ils demandent tous la mĂȘme chose. Ils veules du JonOne, du Jef Aerosol… Ce qu’il faut, c’est Ă©duquer les collectionneurs, leur dire qu’il existe autre chose. Il y a de trĂšs bonnes affaires Ă  faire en misant sur 20 artistes pendant 10 ans, en espĂ©rant que, dans le tas, il y aura le prochain Bansky ou le prochain Basquiat. C’est comme au Loto, si l’on veut gagner, il faut jouer…

Quelles relations avez-vous avec vos artistes ?

Je n’ai jamais signĂ© aucune exclusivitĂ©. Quand un artiste veut partir, il s’en va. Mais quand vous arrivez Ă  vendre trĂšs bien un artiste, il n’a pas envie d’aller voir ailleurs. La meilleure exclusivitĂ©, c’est la vente. Quand j’ai signĂ© Rime, j’ai eu beaucoup de mal Ă  l’avoir. Je le voulais absolument. Pendant un an, je lui ai envoyĂ© des mails tous les mois, sans rĂ©ponse. Finalement, je suis allĂ© Ă  New-York, nous avons pris rendez-vous et il m’a dit : «Claude, avant que tu dises quoi que ce soit, je suis trĂšs touchĂ© que tu sois venu Ă  New-York, quoi que tu me demandes, la rĂ©ponse est oui ! ». C’est comme ça que notre histoire d’amour a commencĂ©.