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Rencontre

Katre n’a pas peur de casser les lignes

PrĂ©sent sur la scĂšne urbaine depuis plus de 20 ans, Katre investit terrains vagues et espaces Ă  l’abandon avec ses crĂ©ations gĂ©omĂ©triques, explosives et colorĂ©es, reconnaissables au premier coup d’Ɠil.

Issu d’une famille d’artistes, bercĂ© par les tags et les graffs dans sa jeunesse, Katre arpente les rues Ă  la recherche de murs et de friches industrielles, participe rĂ©guliĂšrement Ă  des festivals Ă  travers le monde (Chine, Chili, Australie, Espagne, Italie
) et dĂ©veloppe un travail en atelier ainsi que de nombreux projets.

Vous vous intĂ©ressiez Ă  la bande dessinĂ©e, Ă  la photographie et au dessin. Comment ĂȘtes-vous venu au graffiti ?

TrĂšs jeune, j’ai dĂ©couvert dans mon quartier, le XIVe arrondissement de Paris, les graffitis et les tags de Bust, Fox 4 ou Bando et Boxer, dont on reconnaissait le Z de Zulu sur les murs et sur la ligne 13 du mĂ©tro, qui Ă©tait complĂštement taguĂ©e. ForcĂ©ment, au bout d’un moment, j’ai gribouillĂ© des lettres, je dessinais des persos et des graffs sur papier, pour en faire des pochettes de K7 ! C’était aussi les dĂ©buts du hip-hop, avec l’émission de Sidney. Le grand frĂšre d’un ami d’école n’était autre que Rocca, membre du groupe la Cliqua, un rappeur et taggeur trĂšs actif Ă  l’époque. Un exemple qui m’a donnĂ© envie de me lancer. Et j’ai fait mon premier mur avec un pote du collĂšge sur la petite ceinture, Ă  la gare de porte de Vanves en 1993 !

Vous avez toujours Ă©tĂ© sĂ©duit par les friches, les terrains vagues et les espaces Ă  l’abandon. Qu’est-ce qui vous attire en eux ?

En cherchant des lieux pour faire des graffs, j’ai pu dĂ©couvrir des friches abandonnĂ©es Ă  Montreuil, Issy les Moulineaux, et d’autres en proche banlieue. À l’époque, j’avais toujours un appareil photo argentique avec moi et je prenais les usines en photo. Les grandes salles vides, les ambiances, l’atmosphĂšre qui rĂšgne dans ces endroits est unique, un silence pesant qui contrastait avec les bruits de la ville. Ces usines offrent des murs aux matiĂšres incroyables, des dĂ©cors parfaits pour peindre et rĂ©aliser des « tracĂ©s directs ». Cette discipline peu connue consiste Ă  peindre avec trĂšs peu de couleur, voire juste du noir, en laissant une grande partie du mur « vierge ». Cela me convenait car il y a aussi un travail important sur la photographie, pour parvenir Ă  sublimer le graff par le dĂ©cor du lieu. De plus en plus, j’ai cherchĂ© ces terrains de jeu uniques, qui disparaissaient au fil des annĂ©es. J’ai eu la chance d’aller Ă  l’ancienne usine d’air comprimĂ© dans le XIIIe ou Ă  la piscine Molitor Ă  l’abandon !

Justement, participer en 2014 au projet d’Art Urbain de la piscine Molitor alors que vous aviez consacrĂ© votre maĂźtrise d’arts plastiques Ă  ce lieu, Ă©tait-ce spĂ©cial ?

J’ai toujours eu un lien particulier avec ce lieu ! Je l’ai dĂ©couvert en 1999, j’ai choisi d’en faire le sujet de ma maĂźtrise d’arts plastiques sur les terrains vagues en 2001. J’y suis retournĂ© en 2010 pour rĂ©aliser des fresques de maniĂšre officielle. L’occasion de bons moments entre potes sans craindre l’arrivĂ©e de la police
 qui m’avait reconduit Ă  la porte d’entrĂ©e neuf ans plus tĂŽt. En 2014, Magda Danysz m’a invitĂ© Ă  rĂ©aliser un mur aux cotĂ©s de Tanc, Vhils, L’atlas, Nunca, YZ… pour l’ouverture de l’hĂŽtel Molitor. Et en 2016, j’ai rĂ©alisĂ© Ă  nouveau une installation dans une ancienne cabine du bassin intĂ©rieur. J’ai pas mal d’archives de ce lieu et je rĂ©alise des Ɠuvres en utilisant mes clichĂ©s devenus collector !

Pourquoi avoir ressenti le besoin, parallĂšlement Ă  votre activitĂ© personnelle, de vous pencher sur le travail d’autres artistes urbains, au point d’écrire deux livres (Hors du Temps 1 et 2) ?

Je voulais tout simplement acheter un livre sur ce sujet, mais il n’existait pas ! Je me suis donc motivĂ© pour contacter des artistes dont j’aimais le travail et qui Ă©taient, pour certains, les pionners de cette discipline, comme Lek, Legz, Nascio, Honet et d’autres.

Comment définissez-vous votre style ?

Mon univers est liĂ© Ă  l’architecture, Ă  la photographie et au graffiti. C’est par le biais du graffiti que j’ai dĂ©couvert la beautĂ© cachĂ©e des friches industrielles. À travers les clichĂ©s que je prends tout au long de mes dĂ©couvertes, je parle de ces lieux oubliĂ©s et, la maniĂšre d’un graff peint sur des murs d’usine, mes interventions graphiques sur les photos, prĂ©alablement sĂ©rigraphiĂ©es sur des supports comme l’aluminium brossĂ©, sont assimilables Ă  des traits de lumiĂšre, des lignes fortes symboles de vie, de couleurs, de mouvements… Le lieu est Ă  nouveau vivant et le graffiti est un
vecteur qui permet de les faire revivre d’une maniĂšre artistique. Dans mes Ɠuvres, les Ă©lĂ©ments colorĂ©s sont lĂ  pour faire vibrer la photo, renforcer la beautĂ© des usines laissĂ©es Ă  l’abandon.

A-t-il évolué sensiblement depuis vos débuts ?

Quand j’ai commencĂ©, je rĂ©alisais des Ɠuvres directement sur des plaques rouillĂ©es rĂ©cupĂ©rĂ©es dans les usines abandonnĂ©es. À partir de 2006, j’ai mis au point cette approche mixant photographie et peinture, en travaillant parallĂšlement sur mon premier livre Hors du temps. Mais j’ai Ă©voluĂ© dans ce travail. J’ai Ă©videment Ă©voluĂ© Ă  force de travailler dans ce sens. Au dĂ©but, on sentait l’influence du graffiti dans la maniĂšre de peindre des bouts de lettres, souvent le K de Katre, avec des effets de contours… comme pour les graffs sur un mur, le tout bien intĂ©grĂ© a la photo. Aujourd’hui, j’ai complĂštement dĂ©composĂ© la lettre. Ce ne sont plus que des lignes, des traits qui viennent renforcer les Ă©lĂ©ments architecturaux de la photo. Par exemple, j’ai rĂ©alisĂ© une exposition Ă  la galerie Wallworks en 2019, « Point de fuite », uniquement avec des photos d’une usine dans les Vosges, oĂč j’ai choisi de mettre en valeur
les immenses salles avec des perspectives centrales, des enfilades de poteaux


Vous mélangez peinture sur impression et photographie. Comment avez-vous trouvé cette « marque de fabrique » ?

J’ai appris la sĂ©rigraphie Ă  la fac d’arts plastiques et je connais un trĂšs bon sĂ©rigraphiste avec qui j’ai rĂ©alisĂ© mes
premiers tests. Le fait que ce soit artisanal, de choisir la trame de l’image, les encres, notamment la densitĂ© des noirs, la profondeur
, et de pouvoir imprimer sur diffĂ©rents supports- une toile, une plaque de mĂ©tal, du verre
 – fait que la sĂ©rigraphie est LE moyen que je privilĂ©gie pour mon travail.

Vous ĂȘtes l’un des pionniers de l’Urbex. Quand avez-vous commencĂ© Ă  travailler en atelier et pourquoi ?

Je me balade dans des terrains vagues et les friches depuis le dĂ©but des annĂ©es 90 pour graffer et prendre des photos. Cela ne s’appelait pas « Urbex » et nous Ă©tions peu Ă  aller visiter ces usines abandonnĂ©es et mĂȘme Ă  y peindre. Il n’y avait pas Internet pour montrer les photos et dĂ©couvrir des lieux. Ce n’était pas forcement un hobby comme aujourd’hui, oĂč les photographes veulent aller dans les endroits les plus photogĂ©niques pour faire des photos en haute dĂ©finition ! Mes parents sont tous les deux artistes, j’ai grandi dans un atelier, j’ai souvent peint sur des toiles mais sans avoir une rĂ©elle dĂ©marche. C’est au dĂ©but des annĂ©es 2000 que j’ai vraiment commencĂ© Ă  rĂ©aliser mes premiĂšres Ɠuvres, sur des plaques rouillĂ©es.

Pourquoi travailler sur des supports différents ?

J’ai trĂšs vite eu envie de tester autre chose que la toile. Le mĂ©tal rouillĂ© pour le lien avec les usines que je prends en photo, le bois aussi. Le verre, c’est pour jouer avec la transparence et la lumiĂšre. Avoir une Ɠuvre qui change en fonction du regard, de l’éclairage m’intĂ©resse. Pouvoir graver Ă  l’acide des tags et des motifs graphiques, rĂ©aliser une sĂ©rigraphie en jouant avec des encres qui laissent passer la lumiĂšre, peindre Ă  l’aĂ©rosol de l’autre coté . Faire que le spectateur ressente autre chose que devant une toile, c’est ce que je cherche. Pour l’exposition « Point de Fuite », j’ai mĂȘme intĂ©grĂ© des nĂ©ons et des LEDs entre deux plaques de verres, afin de crĂ©er des « boĂźtes» lumineuses qui donnent la sensation que l’image est en 3D. Une maniĂšre de faire ressentir la profondeur, la perspective des lieux que je dĂ©couvre lors de mes virĂ©es Urbex !

Vous réalisez aussi des installations. Quelle différence avec le travail dans la rue ?

J’essaie mĂȘme d’en faire de plus en plus. Cela fait longtemps que j’avais cette idĂ©e en tĂȘte, mais je n’avais pas trop de lieux pour les rĂ©aliser. Les premiĂšres ont eu lieu pratiquement en mĂȘme temps, en 2013 : le projet des Bains avec Magda Danysz et la Tour13 avec Itinerrance. Ce que j’aime avec les installations, c’est de pouvoir faire entrer les
gens dans l’Ɠuvre et de travailler la 3D. RĂ©aliser des Ɠuvres dans un espace, c’est rĂ©ellement quelque chose de diffĂ©rent ! Pour le spectateur, dĂ©couvrir une piĂšce oĂč l’Ɠuvre est partout autour de lui est diffĂ©rent que simplement regarder des toiles sur un mur. C’est pour cela que, en 2016, j’ai demandĂ© a Claude Kunetz de Wallworks de transformer l’entrĂ©e de sa galerie avec une installation de gravats et de nĂ©ons. C’est la premiĂšre chose que les visiteurs voient en arrivant. L’impact a Ă©tĂ© Ă©norme. Cela permet de montrer toutes les facettes de ma dĂ©marche, de recrĂ©er un univers entre les friches et les toiles d’ateliers, mais en grand et dans une salle. C’est une suite logique Ă  mon travail. Et l’expĂ©rience de mon pĂšre m’a marquĂ© : il rĂ©alisait des installations gĂ©antes sur des monuments pendant les travaux de rĂ©novation, en utilisant des Ă©chafaudages. C’était tellement impressionnant que ça donne
envie de jouer aussi !

Comment transposez-vous vos créations sur des fresques monumentales, comme la Tour Bédier ?

Cela dĂ©pend du projet, si le mur doit ĂȘtre permanent ou pas. La Tour BĂ©dier, c’était en 2009, le premier mur Street Art dans le XIIIe , avant le boulevard Vincent Auriol. Ce n’était pas une fresque peinte, mais deux visuels que j’ai rĂ©alisĂ©s pour l’occasion et qui ont Ă©tĂ© imprimĂ©s sur deux bĂąches de 18 mĂštres sur 20, placĂ©es sur deux faces de la tour, l’une cĂŽtĂ© Paris, l’autre cĂŽtĂ© pĂ©riphĂ©rique. Plus rĂ©cemment, j’ai rĂ©alisĂ© Ă  Jakarta une façade entiĂšrement peinte Ă  l’acrylique et Ă  l’aĂ©rosol. Si je peux, j’utilise un vidĂ©oprojecteur pour esquisser les grandes lignes de la photographie qui me sert pour rĂ©aliser la fresque. Mais je peux aussi coller une photo imprimĂ©e en grand et peindre dessus. Je m’adapte Ă  chaque projet.

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