Toujours inspiré par la Pop Culture, ce duo féminin s’attaque aux Dieux, Déesses et Héros des mythologies dans une approche qui mêle peinture et écriture.
Par Gabrielle Gauthier
Ce couple artistique a développé un travail coopératif original. À la manière des cadavres exquis surréalistes, l’une commence et l’autre rebondit pour parvenir à des œuvres singulières dans lesquelles techniques, matériaux et même expressions se fondent pour raconter des histoires entre mots et images. Inspirées notamment par des revues du Louvre, elles se sont lancées dans une quête, à l’image des héros mythiques.
Au-delà de votre rencontre fortuite sur Twitter, qu’est-ce qui vous a poussées à former un duo artistique ?
Mat : Nous nous sommes rencontrées fortuitement sur Twitter, au moment où Zekky préparait sa première exposition solo. Nous avons ensuite pas mal échangé sur notre travail, nos recherches, les différentes techniques utilisées… D’échanges en rencontres, nous nous sommes aperçues que nous fonctionnions très bien ensemble et, surtout, que nous étions complémentaires, chacune apportant quelque chose à l’autre. Nous avons naturellement décidé de collaborer, d’abord sur quelques projets…
Zekky : … et nous n’avons jamais arrêté depuis [rire]. Mat a quitté Besançon pour me rejoindre à Reims.
Qu’est-ce qui, dans votre travail artistique personnel, vous a réunies ?
Mat : La Pop Culture car nous sommes toutes deux de la génération 80-90.
Zekky : Nous nous sommes d’ailleurs bien éclatées sur la Pop Culture pendant deux ans… En 2018, nous avons souhaité passer à autre chose.
Cela coïncide-t-il avec votre arrivée à La Fileuse en janvier 2019 ?
Zekky : Le processus a débuté en amont mais notre arrivée à La Fileuse en janvier 2019 a effectivement marqué un tournant, notamment par la découverte de la matériauthèque. Elle regorge de chutes de matériaux industriels, une véritable caverne d’Ali Baba pour Mat qui a un rapport « plastique » avec la matière. Pendant longtemps, son passe-temps favori était de faire les encombrants pour voir ce qu’elle pouvait récupérer [rire]. De mon côté, je suis sensible aux mots, aux phrases, aux concepts. J’entre plus facilement dans un projet si je connais déjà le titre de l’œuvre que l’on va travailler. D’ailleurs, je tiens un journal de bord chaque jour dans lequel j’écris. Et ces mots, ces phrases sont souvent des points de départ. Nous utilisons d’ailleurs souvent la technique des cadavres exquis pour faire émerger de nouveaux projets.
Vous avez donc puisé dans la matériauthèque pour la création de vos dernières œuvres ?
Zekky : Exactement, même si, lors du premier confinement, l’atelier a été fermé. Nous n’avons eu qu’une heure pour prendre nos dernières trouvailles, les supports et les matériaux sur lesquels nous travaillions : des revues du Louvre datant du début XXe siècles notamment regorgeant de statuaires mythologiques, des livres sur le graphisme et la typographie, des chutes de matériaux industriels… Les magasins étant fermés, impossible d’acheter des toiles. Nous avons donc travaillé sur support bois autour de personnages mythologiques pour créer notre propre histoire avec ce que nous avions sous la main, les Posca que l’on avait un peu abandonnés, les bombes avec parcimonie parce
confinées en appartement, le collage, la peinture…
Qu’est-ce que ces personnages mythologiques vous inspirent ?
Zekky : Adolescentes, nous étions déjà fascinées par la mythologie, que l’on a découvert avec les Chevaliers du Zodiaque. Derrière chaque personnage, une odyssée, des combats, des quêtes… Cela fait écho à notre travail d’artiste qui ressemble d’une certaine façon à une quête. Ainsi, la réalisation de notre première fresque en 2018 nous a obligées à sortir de notre zone de confort…
Mat : Tout à fait, notre travail est une quête. Si je n’avais pas rencontré Zekky, si elle ne m’avait pas proposé de travailler ensemble, je n’aurais jamais osé me lancer, considérant mon travail artistique comme un hobby et non comme un métier. Et pour la fresque, prendre possession de la rue n’était pas pour nous quelque chose de naturel. Depuis, même si nous sommes toujours stressées avant de peindre un mur parce que c’est un challenge et que les surfaces sont de plus en plus grandes, nous avons pris confiance en nous grâce aux rencontres extraordinaires que nous avons fait.
Que vous a apporté la réalisation de fresques ?
Zekky : Réaliser notre première fresque pour une curateur Rémois nous a « libérées », et travailler à la bombe nous a plu. La bombe permet de réaliser des aplats lisses, sans bavures. Et comme nous apprécions les rendus parfaitement nets, nous mixons désormais régulièrement la bombe aux autres matériaux que nous utilisons pour notre travail d’atelier.
Inversement, n’avez-vous pas envie d’apporter une touche d’acrylique sur vos fresques ?
Zekky : C’est ce que nous avons fait pour la fresque Origin of the human engine que nous avons réalisée pour La Fileuse. Pour ce projet, les visages sont peints à l’acrylique pour davantage de réalisme. La bombe, nous l’utilisons par masquage, comme un pochoir.
Quelles différences faites-vous entre votre travail d’atelier et la réalisation de fresques ?
Mat : De plus en plus, nous essayons qu’il n’y ait aucune différence, afin que ce que l’on réalise en atelier puisse être réalisé sur une fresque… même si, parfois, nous disposons de peu de temps pour peindre un mur. Nous stressons déjà pour notre prochaine fresque que l’on doit réaliser du 24 au 29 mai au Clos du Chêne. Nous connaissons nos qualités et nos défauts… Étant très perfectionnistes, nous mettons parfois beaucoup temps pour réaliser des œuvres très propres, très nettes. Pour le Clos du Chêne, il va donc falloir que l’on travaille notre maquette en amont… et nous allons devoir abandonner nos réflexes d’atelier.
Qu’allez-vous y proposer ?
Mat : Zekky est tombée en amour pour le roman Nadja d’André Breton et nous aimerions faire un clin d’œil à son travail.
Comment travaillez-vous ?
Mat : Cela dépend. Parfois Zekky travaille une idée dans laquelle j’interviens ; parfois l’inverse. Nous préférons avancer chacun de notre côté pour ensuite réunir nos idées. Nous avons des sensibilités différentes : Zekky adore tout ce qui est surréalisme ; moi plutôt l’abstrait, l’Art Urbain.
Pourquoi choisir d’associer un travail d’écriture à vos œuvres plastiques ?
Mat : Nous avons toujours eu un travail d’écriture, même si il n’était pas aussi poussé. L’écriture permet « d’épaissir » l’histoire de notre travail graphique.
Zekky : Pour Mat, une abstraction se nourrissant elle-même, elle peut se satisfaire de l’œuvre plastique seule dès lors qu’il y a un équilibre graphique. Pour ma part, j’ai besoin d’ajouter un sens narratif supplémentaire. Mat l’a compris et entre désormais dans mon jeu. J’écris donc une Nouvelle qui accueille une galerie de personnages mythologiques inspirée de plusieurs légendes, grecque, romaine, scandinave. Et toutes nos œuvres plastiques vont progressivement prendre place dans ce récit… Comme je suis fan des surréalistes, j’aime beaucoup l’idée des cadavres exquis…
L’idée des cadavres exquis, y compris dans l’écriture de la Nouvelle ?
Zekky : J’avoue que c’est plutôt une écriture de Zekky avec un fond de Mat, notamment pour rappeler l’importance du travail plastique mais aussi pour faire le lien entre les univers.
Mat : Je lis ce qu’a écrit Zekky comme si la Nouvelle allait devenir un film, transformant l’histoire en images, ce qui me permet de mettre mon grain de sel…
Comment présenterez-vous ce travail ?
Zekky : Ce n’est pas encore tout à fait défini… Pourquoi pas éditer un livre d’artistes dans lequel nos œuvres plastiques répondraient à la narration.
Mat : Nous aimerions nous auto-éditer en tirage limité pour que les acheteurs d’une œuvre repartent également avec le livre. Mais rien n’est encore clairement décidé.
Quand aura lieu cette exposition ?
Mat : À la galerie Deux6 à Paris dans le VIIe arrondissement, en septembre et octobre. Ce sera notre premier solo show parisien.
Où en est votre résidence d’artistes à La Fileuse ?
Zekky : Comme ils sont contents de nous avoir, pour l’instant, ils nous gardent [rire]. Plus sérieusement, Elsa Bezaury, directrice de La Fileuse, qui a conscience que nous sommes en train de créer notre « modèle économique », ne souhaite pas casser notre dynamique. Sans cette résidence, nous serions d’ailleurs obligées de refuser certains
projets que nous menons parallèlement à la préparation de notre solo show qui nécessite une création continue. C’est une chance inouïe d’être en résidence à Reims dans cette friche artistique et nous en remercions les responsables.
Comment voyez-vous les prochaines étapes de votre parcours ?
Mat : Assurer nos deux prochaines fresques, celle Clos du Chêne et celle pour une école de Reims, ainsi que les portes ouvertes à La Fileuse en juin.
Zekky : Notre objectif pour 2021 était de sortir de Reims, même si nous y sommes très bien, afin de nous mettre « en danger». Notre ambition n’est pas forcément de rester Rémoises. Mat ayant grandi au Havre, moi à Saint-Étienne, ce serait chouette de construire deux projets pour ces deux villes…
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