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Rencontre

Les chocs visuels de Graffmatt

Avec une Ă©criture artistique unique, Graffmatt livre dĂ©sormais des Ɠuvres emblĂ©matiques dans lesquelles la composition rivalise avec le propos. Tout simplement bluffant !

Sa toile Dernier Round a fait le tour de la planĂšte avec raison tant le talent de Matthieu LainĂ©, alias Graffmatt, mĂ©rite que l’on s’y attarde. On y retrouve le style singulier propre Ă  l’artiste, notamment le cĂŽtĂ© « grunge », des effets raclĂ©s, griffĂ©s, des traces de rouleaux et de feutres usĂ©s, des « crachottis», des coulures et des taches, une couleur fluo utilisĂ©e avec parcimonie
 sans oublier un soin des dĂ©tails placĂ©s de maniĂšre plus posĂ©e Ă  la bombe ou au feutre. Surtout, on y dĂ©couvre une profondeur dans le propos qui force l’attention. Un choc visuel remarquablement servi par une composition ultra personnelle au cordeau que l’on peut apprĂ©cier d’ailleurs dans toutes les derniĂšres Ɠuvres de Garffmatt, celles qui fleurissent sur des murs, des palettes, des cartons, des toiles…

Comment avez-vous dĂ©couvert l’Art Urbain ?

Je dessine depuis mon plus jeune Ăąge et le cĂŽtĂ© architectural de l’urbain, un paysage en perpĂ©tuel mouvement, m’a toujours passionnĂ©. Enfant, lorsque je venais Ă  Paris, j’adorais me perdre volontairement dans les rues, tĂąter l’atmosphĂšre, m’imprĂ©gner de l’ambiance urbaine… fascinante. En me nourrissent des techniques du graffiti, j’ai dĂ©veloppĂ© mon style sur toile ce qui m’a permis d’exposer en galerie. Ce n’est que rĂ©cemment que je suis arrivĂ© sur les murs. Mon premier graff remonte Ă  2008, alors que j’étais Ă©tudiant en Communication Visuelle Ă  Lyon. C’est en photographiant des endroits abandonnĂ©s que j’ai croisĂ© des artistes urbains. J’ai commencĂ© Ă  peindre discrĂštement aux cĂŽtĂ©s de ces graffeurs, alors mĂȘme que je sortais du concept un peu acadĂ©mique du dessin, en essayant d’amener des personnages Ă  leurs compositions. Je suis ensuite devenu graphiste et je n’ai retrouvĂ© cette addiction au graff qu’en 2013, lorsque nous avons formĂ© avec une bande d’amis le collectif « La Maise ».

Que vous a apporté le travail de groupe ?

Ce travail de groupe m’a beaucoup stimulĂ© car, Ă  l’époque, je vous avoue avoir eu du mal Ă  comprendre pourquoi un artiste perdait son temps Ă  dessiner un truc qui allait ĂȘtre effacĂ©. Les rĂ©seaux sociaux n’existant pas, difficile de donner vie Ă  ce que l’on faisait… Mais j’ai compris petit Ă  petit la dĂ©marche : peindre pour le plaisir. En 2018 j’ai finalement quittĂ© mon emploi pour me lancer Ă  temps plein dans mon activitĂ© artistique. Cela Ă©tĂ© progressif et je ne regrette pas d’avoir pris mon temps. Aujourd’hui, les expos et les commandes s’enchaĂźnent et les festivals me permettent de voyager et de faire des nouvelles rencontres.

Faites-vous une diffĂ©rence entre votre travail mural et vos Ɠuvres sur toile, carton
 ?

La diffĂ©rence, c’est d’abord le format. En atelier, outre les toiles aux formats standards, j’utilise beaucoup de supports rĂ©cupĂ©rĂ©s dans la rue, du carton, de la palette de bois… que je dĂ©structure et que je rĂ©assemble. Outre le cĂŽtĂ© recyclage, j’aime Ɠuvrer sur un support au format original, qui a un vĂ©cu, c’est plus inspirant. Pour autant, mĂȘme en crĂ©ant mon propre support, je reste limitĂ© par le format. Sur un mur en revanche, je peux faire du trĂšs trĂšs
grand, ce qui est un vrai dĂ©fi. Je descend ainsi rĂ©guliĂšrement de la nacelle pour vĂ©rifier notamment les proportions des personnages sous peine d’avoir un Ɠil qui louche… Et c’est un gros stress mais un stress positif. D’ailleurs, j’espĂšre rĂ©aliser de plus en plus de grands formats.

Le processus de crĂ©ation est-il le mĂȘme ?

MĂȘme si dans mon atelier les Ɠuvres que je rĂ©alise s’adressent Ă  tout le monde, le processus de crĂ©ation est diffĂ©rent sur un mur. Le fait de travailler chez moi me rassure et me pousse Ă  expĂ©rimenter. La fresque, c’est la rĂ©alisation finale et je dois adapter mes outils pour que le rĂ©sultat ressemble au travail rĂ©alisĂ© Ă  plus petite Ă©chelle. Un balai remplacera par exemple un pinceau-brosse. Tout est exagĂ©rĂ©, jusqu’à la gestuelle, pour que l’on retrouve le dynamisme que je livre en amont sur mes toiles. Je me sens alors plus vivant que jamais sur une fresque car c’est mon corps tout entier qui s’exprime.

Votre « libertĂ© d’expression » est-elle semblable sur un mur et sur une toile ?

En crĂ©ant une familiarisation entre les citoyens et leur patrimoine, les murs offrent pour moi l’opportunitĂ© de montrer que l’art a toute sa place dans le paysage urbain. Pour se trouver face Ă  une toile d’un artiste, il faut bien souvent s’ĂȘtre renseignĂ© sur le lieu de son exposition, faire l’effort d’entrer dans une galerie ou bien de connaĂźtre dĂ©jĂ  l’artiste. Alors que n’importe qui peut se trouver face Ă  une fresque, par surprise, au dĂ©tour d’une rue. Avec un peu de chance on peut voir l’artiste Ă  l’Ɠuvre et, s’il l’accepte, prendre un peu de temps pour Ă©changer avec lui. J’aime cette accessibilitĂ© qu’offre une peinture murale. MĂȘme si on se trouve la plupart du temps au sommet d’un Ă©chafaudage
ou d’une nacelle, il ne faut pas oublier de garder les pieds sur terre.

Certains vous ont dĂ©couvert avec Dernier Round, une des Ɠuvres que vous avez rĂ©alisĂ©e pour le Projet Saato. Était-ce important pour vous de participer Ă  ce projet ?

Reclus chez moi, dans mon atelier, je ne voyais pas comment je pouvais aider dans ce contexte de crise sanitaire mondiale. Mais en lisant la page Facebook de Sandrot, j’ai appris que Projet Saato organisait une vente d’Ɠuvres originales au profit de l’AP-HP. En voyant l’urgence face au manque de moyens humains et matĂ©riels dans les hĂŽpitaux, je n’ai pas hĂ©sitĂ© une seconde Ă  rĂ©aliser et offrir une Ɠuvre au profit de l’AP-HP. Et ce ne fut pas une Ɠuvre, mais deux, puis trois
 Dernier Round a particuliĂšrement marquĂ© les esprits par son message percutant. Elle illustre une infirmiĂšre munie de gants de boxe, dĂ©terminĂ©e Ă  mettre KO le virus. À travers les Ă©motions et la posture de l’infirmiĂšre-boxeuse qui enchaĂźne les coups face au Covid en Ă©vitant d’en recevoir, je tenais Ă  transmettre un message de force et d’espĂ©rance. C’est tout ce cĂŽtĂ© que j’ai voulu retranscrire. Le combat n’est pas synonyme de violence. C’est un engagement qui implique une force morale et physique pour rĂ©sister et vaincre. Ici, la victoire de cette bataille se traduit par la protection et le sauvetage massif de vies. Cette toile symbolise l’évolution de mon travail : aller au-delĂ  de la simple reprĂ©sentation mais accentuer le propos, raconter une histoire…

Comment vous est venu le titre de l’ Ɠuvre ?

En Ă©coutant une musique de Kool Shen…

Et comment avez-vous vécu cette forte médiatisation en plein confinement ?

Pour l’anecdote, lorsque j’ai postĂ© le dessin sur Instagram, ma signature a Ă©tĂ© rognĂ©e. C’est donc l’Ɠuvre et non pas l’artiste qui a Ă©tĂ© mĂ©diatisĂ©, et je trouve cela d’autant plus beau sur cette plateforme qui, paradoxalement, influence les gens Ă  s’afficher et s’identifier publiquement. Le cĂŽtĂ© message universel offert Ă  tous et que chacun puisse s’approprier Ă©tait d’ailleurs cohĂ©rent avec la dĂ©marche… Les deux autres dessins DĂ©gradation et Silence n’ont peut-ĂȘtre pas connu ce succĂšs mais ont pourtant autant d’importance pour moi. Dans cette spirale infernale, les soignants n’ont Ă©videmment pas Ă©tĂ© les seuls Ă  faire corps contre la pandĂ©mie et il me paraissait important de n’oublier personne. Mais je pense que beaucoup de personnes ont plus facilement pu s’identifier dans l’image que reflĂšte Dernier Round sans forcĂ©ment ĂȘtre mĂ©decin ou boxeur. C’est sĂ»rement la raison pour laquelle ce dessin a Ă©tĂ© partagĂ© dans le monde entier en trĂšs peu de temps. L’Art Urbain a ce pouvoir de toucher tout le monde et le paradoxe du confinement a Ă©tĂ© pour moi ce sentiment palpable du lien entre les artistes et le public. Ce festival d’art confinĂ© restera gravĂ© en moi.

Il restera gravé en beaucoup


C’est dingue d’avoir rĂ©ussi Ă  convaincre autant d’artistes de participer, tĂȘtes d’affiches et Ă©mergeants mis sur le
mĂȘme pied d’égalitĂ©, et d’avoir permis de rĂ©colter la somme de 87.715 euros au profit de l’AP-HP !

Vos projets en cours et Ă  venir ?

En juillet, j’ai participĂ© au live-painting de Street Part Ă  Aix-en-Provence avec 30 toiles Ă  rĂ©aliser sur 4 jours
 un vrai dĂ©fi. J’ai Ă©galement rĂ©alisĂ© une performance avec Matt.B Ă  Aix-les-Bains. Avec une trentaine d’artistes, je participe dĂ©but aoĂ»t Ă  la fresque collective de Urban Art Velodrome, en Suisse, pour un vernissage le 3 et 6 septembre. 2.000 m2 de surface Ă  peindre pour transformer la mythique piste cyclable en la plus grande Ɠuvre d’art urbain. Encore un dĂ©fi de taille puisqu’il faut peindre au sol… ce qui est encore plus compliquĂ© que de peindre verticalement, du moins je suppose ! Enfin, en septembre, je serai sur Underground Effect #6. Autant d’occasions de partager avec d’autres artistes…

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