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Rencontre

AGRUME, une touche d’acidité rafraîchissante

Le street artiste lyonnais nous entraîne dans son monde à la fois onirique
et ancré dans le réel, qui porte une réflexion sur notre place dans l’univers, notre rapport au temps et à la nature, au mensonge et au mystère.

Agrume : agrume-art.com
Instagram : @agrume_

Depuis sa résidence d’artiste à Rillieux-la-Pape en 2016 dans le cadre du projet Horizons Croisés, Alban Rotival, qui fêtera ses trente ans l’année prochaine, a fait son chemin. Cet artiste à la pluridisciplinarité revendiquée a enchaîné les solo shows en galerie et les interventions dans l’espace public, imposant en douceur l’atmosphère bien particulière de ses œuvres. Des créations où le personnage – souvent lui-même – ne se met pas en avant mais se fond dans l’environnement urbain et se cache derrière des fleurs, des oiseaux ou des papillons.

Pourquoi êtes-vous passé de l’illustration au travail dans la rue ?
L’illustration est le tout premier moyen d’expression plastique qui est venu à moi, le plus accessible sans doute, un stylo bille et une feuille de papier étaient suffisants. Plus tard, au contact des villes telles que Lyon ou Paris, j’ai découvert la peinture, le collage et les mosaïques qui parsèment certains quartiers. L’art installé dans l’espace public m’est apparu comme une façon évidente d’élargir ma pratique artistique. Cela permettait d’autres formats, d’autres techniques. C’était le moyen de sortir d’un travail timide, solitaire, et de proposer au passant une image peinte dans sa diversité la plus totale. Rendre mon travail public en quelque sorte, prendre la parole de manière visuelle et relever l’importance de telle ou telle chose.

En extérieur, êtes-vous toujours adepte du collage ?
Pas exclusivement. Je travaille la peinture et le support se définit par lui-même, selon l’essence du projet. Mais le papier est un support qui évolue et absorbe les traces du temps et de l’environnement qui l’entoure jusqu’à s’effacer et ne laisser aucune trace. C’est un temps d’expression éphémère. C’est pour cela que j’aime rapprocher le collage d’une prise de parole dans l’espace public. Le collage crée un moment, une scène. Il transmet une émotion, souligne quelque chose d’essentiel que je veux exprimer à l’instant où je l’imagine et le peins. Il permet un travail de peinture en atelier aussi abouti que souhaité. Son transport se fait aisément et sa pose est rapide, peu importe les contextes. J’utilise donc la plupart du temps le collage pour des interventions totalement informelles, gratuites et à démarche personnelle. À l’inverse, la fresque est réalisée dans un cadre officiel ou en festival.

Vous venez de participer au festival Urban Week à la Défense. Est-ce différent de travailler en extérieur dans un cadre officiel ?
Oui. J’ai effectué une fresque ainsi qu’un parcours de collages autour du parvis de la défense. Pour les collages, c’est évidemment différent. Le cadre officiel est plus confortable et sécurisant ce qui, par certains aspects, est agréable. En revanche, je pense qu’un cadre officiel réduit les possibilités et pose des limites sur ce qui peux être exprimé et représenté ou non. Les travaux préparatoires, les différents regards sur le travail futur sont là pour valider le projet.

Votre démarche artistique est pluridisciplinaire (dessin, peinture, collage, écriture). Comment conciliez-vous ces différentes approches ?
Je pense que l’endroit où j’arrive à faire coexister toutes ces manières de travailler est dans ma recherche. Je dessine, croque, écris des phrases, relève des choses qui m’interpellent. Je cherche et remplis des carnets. J’essaie d’épuiser mes idées en les couchant sur le papier puis je les sélectionne pour me concentrer sur ce que je trouve intéressant à travailler et important à montrer.

Comment votre pratique a-t-elle évolué dans le temps ?
En même temps que mon apprentissage technique et « philosophique ». J’ai commencé par dessiner avec un style cartoonesque puis j’ai voulu élargir mon vocabulaire artistique en représentant des personnages humains dont je cachais le visage par des masques pour des questions symboliques et techniques. Petit à petit, le masque est tombé et je suis aujourd’hui techniquement à l’aise pour représenter d’avantage de choses. Les thèmes se sont affinés en même temps que mes connaissances et ma sensibilité. Aujourd’hui, l’apprentissage du vivant des écosystèmes et de ceux qui les composent m’ouvre une voie de plus.

Votre travail d’atelier est aujourd’hui axé sur la peinture à l’huile. Vous avez « osé » passer à une technique classique…
J’apprends et je travaille mes toiles à l’huile depuis un an, sans laisser tomber l’acrylique, qui conserve ses spécificités. Cette technique dévoile une richesse de possibilités qui me plaît beaucoup. La transparence de la peinture et le travail par la lumière qui la traverse apporte des ambiances différentes.

Pourquoi vous mettez-vous souvent en scène dans votre travail ?
J’ai commencé quand j’ai appris à représenter des personnages. Me prendre en photo était une des manières les plus simples d’approcher les scènes que j’avais en tête. Petit à petit, j’ai pris cette habitude et la cohérence de l’autoportrait s’est affirmée dans mes compositions et dans mes représentations. Elle s’est légitimée par le fait que je traite de manière universelle des sentiments qui me sont personnels. Mais petit à petit, je tends à élargir mes modèles.

Vos personnages sont souvent en partie cachés et vous avez même intitulé l’une de vos séries Discrétion. Est-ce important pour vous ?
Oui. La discrétion me suit depuis toujours, que ce soit dans ma vie personnelle ou professionnelle. Elle est donc naturellement présente dans mon travail. C’est une notion que je trouve riche. Elle va à contre-pied de ce « fracas humain » qui a pour habitude de parfois dominer, d’abîmer et de submerger ce qui l’entoure. Dans beaucoup de scènes, je représente un ou plusieurs personnages qui tendent à la discrétion avec l’environnement qui les entoure par différents procédés d’actions ou d’apparences, le but étant de vivre et rendre sa présence au monde sans laisser d’empreinte indélébile, d’essayer d’exister sur même plan que l’autre vivant quel qu’il soit. Cela rejoint certaines problématiques actuelles.

Vous peignez par « projets ». Pourquoi cette démarche ?
Pour me concentrer et organiser mon travail. J’imagine mes créations de manière assez spontanée et sans règle sur les croquis, et les idées naissent aléatoirement. Ensuite, je les sélectionne et j’essaye de travailler par thèmes récurrents.

Vous avez consacré une série à Icare. Un thème évocateur pour vous ?
Ce mythe transporte beaucoup d’aspects auxquels je suis sensible. J’aime son esthétique, le rapprochement à la condition d’oiseau. La présence des ailes, du déguisement, la beauté de l’élan, du vol et le tragique de la chute. J’apprécie particulièrement ce mythe car il est d’une actualité étonnante. C’est, je trouve, une belle métaphore de notre société actuelle, de sa volonté de croissance infinie dans un monde de ressources limitées. Une chute qui s’annonce alors que, prévenus, nous nous approchons toujours plus près du soleil.

La nature – fleurs, oiseaux, papillons – est très présente dans votre travail. Faut-il y voir un message ?
Ce sont des éléments du vivant. Esthétiquement, ils m’intéressent pour ce qu’ils sont et ce qu’ils symbolisent. Tous ont le point commun de porter force et fragilité : force par leurs mouvements et leur capacité d’adaptation, leurs migrations, leur vitalité ; fragilité par leur taille et leur poids face au monde, leur vulnérabilité face aux activités et la méconnaissance des humains. Au même titre qu’une vanité, tous trois abordent la temporalité des choses. La durée de vie d’un papillon et d’une fleur, le passage d’un oiseau me permettent de jouer avec l’idée de l’instant.

On parle souvent d’univers onirique pour évoquer votre travail. Il semble pourtant bien ancré dans le réel…
Je crois que les deux sont importants, se répondent et se complètent. Mon travail est totalement ancré dans le réel, il l’explore, et chacune des scènes que je représente s’y installe. Il se rapproche de l’onirique car ce que je déploie tente d’écrire un récit et un imaginaire nouveau grâce à l’association d’éléments narratifs. L’onirique est alors lui-même inscrit dans le réel.

On pense à Magritte devant votre travail. Est-ce l’une des vos inspirations ?
Je n’ai pas de référence particulière, chaque artiste est inspirant dans ce qu’il raconte ou dans la manière de le faire. Magritte l’est dans sa façon de composer et de donner du sens à ses images grâce à des assemblages d’éléments. Ce qui m’inspire le plus reste ce que je vois, ce que je lis et ce que j’observe. Mon travail aujourd’hui se nourrit d’avantage d’un cygne qui nage, de la floraison embaumante d’un chèvrefeuille sauvage ou de la chute des feuilles écarlates d’un fustet à l’automne. Ce qui m’intéresse alors, c’est comment je vais pouvoir les intégrer à mon vocabulaire artistique.

Quels sont vos projets ?
Une expo Parisienne en 2023. J’ai aussi quelques projets de fresques plus formelles que j’aimerais continuer à développer en parallèle, notamment, intervenir dans des environnements naturels de façon la plus respectueuse possible. Déconstruire ce qui fait l’Art Urbain aujourd’hui pour arriver à sa pratique la plus ancestrale possible, revenir à un mode d’expression simple, dessiner sur de la roche avec du charbon de bois.


À VOIR
Le parcours de collage d’Agrume est toujours visible autour du parvis de la Défense… jusqu’à ce qu’il disparaisse de lui même.