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Interview

La belle « Plume » polysémique de PARVATI

À la fois humain, animal et végétal, les personnages de Parvati projettent
le spectateur dans la réflexion et le rêve, tel un poème pictural multiple.
Une délicate invitation à chercher et trouver ce qui sommeille en chacun.

Parvati : parvati-artwork.com
Instagram : @parvati.artwork

Totalement habitée par sa pratique, Parvati met en scène une œuvre onirique, dont le message engagé et l’esthétisme troublante occupent chacun une place déterminante. Sa faculté à jouer du beau – au sens philosophique du terme – et de l’étrange nous renvoie comme par magie à notre imaginaire d’enfant, époque bénie où nous étions encore capables de nous raconter des histoires face à une simple image mais aussi de croire en nos rêves. En confrontant ainsi songe et réalité, Parvati nous ouvre une nouvelle voie, celle peut-être utopique d’un « possible ». Un chemin que chacun emprunte alors, guidé par cette œuvre humaniste qui se suffit à elle-même.

En quoi votre histoire a-t-elle nourri votre style singulier ?
Je suis née en Guyane française et j’ai réellement grandi en pleine la forêt, dans un milieu où la faune et la flore sont importantes, notamment les oiseaux, qui ont fait partie du paysage de ma petite enfance. J’ai ainsi été sensibilisée très tôt à la protection de la nature, à la fois plus puissante et plus fragile qu’on se l’imagine. D’autre part, née d’un père indien, lui-même d’origine irlandaise, et élevée entourée de personnes de cultures différentes, mon travail s’articule également autour de la migration, celle des oiseaux mais aussi celle des hommes, les migrations humaines étant pour moi une richesse plutôt qu’une cause de problème.

Qu’est-ce qui vous a amenée à faire le lien entre les oiseaux et les migrants ?
La plupart des oiseaux, dont beaucoup sont migrateurs, n’ont pas de frontière. Il ne se posent donc pas de questions lorsqu’ils passent d’un pays à un autre… là où les humains doivent montrer patte blanche, ce qui est assez dramatique pour moi qui ait été éduquée dans le voyage, source de nouvelles découvertes !

Comment s’est imposé l’oiseau anthropomorphe comme « signature » de votre style ?
Cela a été une longue recherche… J’ai toujours été attirée par l’univers onirique qui fait appel à l’imaginaire et l’inconscient. Mais dans ma vie professionnelle d’artiste, j’ai d’abord travaillé des portraits. Lors d’une exposition à Lyon, j’ai découvert l’impression d’ensemble de mes toiles le jour de l’accrochage et vécu une terrible déception : je n’avais pas réussi rendre l’atmosphère que je souhaitais transmettre. A suivi une crise artistique avec une vraie remise en question de ma pratique. J’ai finalement décidé d’explorer certaines pistes abandonnées… Un dessin réalisé à la suite d’un rêve me revenait sans cesse en tête : celui d’une femme avec un masque d’oiseau. Parallèlement, bouleversée par la cause des migrants, attachée à la protection de l’environnement et sensible à l’univers onirique, ces sujets ont finalement formé un tout cohérent. L’occasion également pour moi de changer de technique et d’utiliser l’encre de chine… une révélation, une évidence !

Les têtes d’oiseaux de vos œuvres sortent-elles de votre imagination ?
Pas du tout. Je peins des têtes d’oiseaux avec une grande rigueur scientifique dans leur représentation, avec une fidélité presque naturaliste. La recherche iconographique est d’ailleurs assez longue pour percevoir les spécificités de chaque espèce. Pour ma prochaine exposition au Lavo//matik, j’ai ainsi travaillé sur certains oiseaux en voie d’extinction à la beauté absolument stupéfiante… qui auront probablement disparu dans les dix prochaines années.

Malgré leur poésie, vos œuvres délivrent un certain nombre de messages : les migrations humaines et l’écologie notamment. Mais y en a-t-il d’autres moins évidents ?
Oui, le rêve, qui me fascine depuis que j’ai lu Nietzsche au lycée, pour le fil ténu qui relie le beau et l’étrange. J’essaye toujours de peindre ces deux aspects, quelque chose d’un peu dérangeant. Pour autant, je n’ai nulle envie d’expliquer ou d’analyser ; c’est plutôt une sensation que je propose dans la lecture de mes œuvres. Un axe de travail moins évident, moins dans l’engagement, mais important pour moi. Telle est mon obsession plus personnelle dans l’art : atteindre, sans jamais y parvenir, l’endroit où le beau et l’étrange se rejoignent et transmettre cette sensation… Évidemment, cela est totalement subjectif et dépend du ressenti de chacun !

Comment faites-vous le lien entre votre univers onirique et la réalité ?
Les rêves se nourrissant de la réalité, du quotidien, souvent, je photographie ce que je vois, je prends des notes… pour alimenter « ma banque d’inspirations » dans laquelle je puise ensuite plus ou moins consciemment. Et comme beaucoup, je me nourris également de ce que produisent d’autres artistes, musiciens, écrivains, poètes, cinéastes, comédiens… ce qui me permet d’entremêler ces matières, sans faire de plagiat évidemment. Cet ensemble forme une trame sur laquelle je m’appuie. Je me suis souviens par exemple d’une scène dans Le Procès de Kafka où la salle du tribunal, un espace très formel, possède un plafond trop bas pour que les personnages se tiennent debout, la touche étrange ! J’aime la réalité qui part en « cacahouète » [rire]…

Des « références » picturales ?
Lorsque j’étais adolescente, le mouvement Surréaliste a été fondamental dans ma construction artistique. Parmi mes premières découvertes, il y a Le Caravage pour ses clairs-obscurs, y compris dans ses sujets, et Dalí évidemment, un de mes premiers intérêts pour le beau et l’étrange alors que j’étais jeune ; sans oublier plus tard Ernest Pignon-Ernest pour la façon dont il a amené la poésie parfois sombre dans la rue, mon premier lien avec le Street Art. Plus récemment, l’artiste serbo-croate Nadja Jovanovic, une pépite !

Pensez-vous que le spectateur soit plus sensible voire réceptif aux messages traités de façon onirique ?
Je n’oserais pas poser de certitudes… Travaillant des sujets sensibles, je n’ai pas envie de tomber dans le misérabilisme. Pour autant, j’aime penser que, l’aspect onirique et poétique étant vecteur d’émotions, cela permet aux spectateurs de se pencher sur le sujet. Et si une seule personne reçoit le message, pour moi c’est gagné ! En même temps, je suis parfaitement consciente que, dans mon travail, le message n’est pas explicite… Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement ce que je recherche. Comme beaucoup d’artistes, peindre est avant tout une obsession.

Pourtant, plus jeune, vous n’envisagiez pas d’être artiste peintre…
Effectivement, je ne me projetais pas comme artiste, alors même que mes parents m’encourageais parce que j’avais un bon coup de crayon et que je dessinais tout le temps [rire]. C’est arrivé par hasard. J’ai d’ailleurs fait des études dans le développement durable. Comme je ne trouvais pas de poste, lors d’un festival organisé par des amis, j’ai présenté mes créations couture et quelques dessins. Je n’ai vendu aucune création de couture mais tous mes dessins ont été achetés ! J’étais la première surprise [rire].

Alors à quoi rêvait la petite Parvati ?
La petite Parvati rêvait d’être aventurière et exploratrice [rire]. Mais je ne suis pas totalement « à côté de la plaque » parce que, dans mon travail, j’explore et je m’aventure dans de nouveaux sujets tous les jours. L’aventure peut se trouver dans une forme d’introspection, dans l’exploration de son inconscient. D’ailleurs, je vis clairement mon art comme de l’exploration… et je me sens plutôt en accord avec mes rêves d’enfant [rire].

Quel est votre processus de création dans la mesure où vous avez expérimenté plusieurs techniques ?
Après avoir exploré l’huile et les techniques anciennes de grands maîtres, je reviens à l’encre actuellement, un geste presque instinctif désormais. Ce qui me permet de moins m’attacher à la technique pour m’intéresser davantage au sens, ce dont j’avais besoin pour l’exposition que je prépare. De manière générale néanmoins, je suis une grande curieuse, une grande expérimentatrice, constamment en recherche… tout en étant une accro de la technique ! Dès lors que cela m’intéresse, je m’y plonge totalement pour comprendre les mécanismes du matériau. De même pour les médiums : je peux passer des semaines à trouver exactement la bonne peinture ou le bon pinceau [rire]. Une vraie exploration… Ces derniers mois par exemple, j’ai travaillé la peinture numérique. Et mes envies me poussent à explorer la bande dessinée, l’illustration voire le dessin d’animation.

Quels liens faites-vous entre votre travail d’atelier et la rue ?
Les grandes fresques sont pour moi une véritablement récréation… un rêve de sale gosse d’aller dessiner sur les murs [rire]. Tout le corps se mettant en mouvement comme pour une chorégraphie, ce travail est aussi très engageant physiquement. Travailler en atelier relève pour moi d’un défi, notamment sur les petits formats où j’ai parfois du mal avec les petits détails. J’utilise souvent les mêmes techniques sur toile et sur mur, bien que, contrainte par le temps, je prenne moins de « risques » pour les fresques. J’adore également le collage sauvage, une pratique qui a beaucoup de sens pour moi, notamment pour la manière dont l’œuvre peut toucher un public non convoqué… Une rencontre fondamentalement différente de celui qui pousse la porte d’une galerie ! Alors même si, enceinte de 7 mois, j’ai décidé d’arrêter quelque temps, je reprendrai dès que possible.

Comment choisissez-vous vos murs ?
Contrairement à pas mal de colleurs, je ne choisis pas mon mur en amont. Je peins d’abord mon personnage en atelier puis je me balade jusqu’à trouver le bon mur. J’aime ceux qui racontent des histoires et qui, pour l’aspect esthétique, ont de la texture. Pour moi, ils sont les témoins de nos vies. D’ailleurs, quand je réalise mes fonds en atelier, je cherche à recréer le mur idéal.

Devenir maman va-t-il changer votre création ?
À part abandonner la peinture à l’huile, je n’en suis pas certaine… D’autant que j’essaye de séparer vie personnelle et vie professionnelle, même si elles s’influencent l’une l’autre. Mon envie d’aller explorer l’illustration et la bande dessinée est d’ailleurs antérieure à ma grossesse. Mon congé maternité sera ainsi propice à ce projet de roman graphique dont je rêve depuis des années, un voyage onirique toujours avec mes personnages à tête d’oiseaux, un énorme défi ! Je me suis même formée à l’écriture de scénario pour cela.

Quels sont vos projets ?
Un solo show au Lavo//matik où, sous forme de catharsis, je rends un hommage tendre-amer aux oiseaux classés en danger critique d’extinction. Je participe ensuite à deux expositions au Cabinet d’Amateur : « 50 autoportraits imaginaires » pour le quinzième anniversaire de la galerie en octobre et au solo show d’Ardif en décembre. Ardif a invité 12 artistes à réaliser chacun une œuvre pour un dialogue sur chaque signe astrologique. Pour ma part, je travaillerai sur le Verseau. En mars 2023 sortira une monographie dans la collection Opus Délits chez Critère éditions. Enfin, au printemps prochain j’ouvrirai au public à Chalon-sur-Saône, ma ville d’adoption, un atelier-galerie. Ce lieu, qui prendra pour nom « Les Georgettes », sera partagé avec la coloriste BD Hélia Paillat.