Art de la rue à la réputation longtemps sulfureuse, le graffiti a aujourd’hui porte ouverte dans de nombreux établissements scolaires Une véritable tendance de fond primordiale pour la reconnaissance de ce mouvement artistique.
Si faire décorer les murs d’une école, comme de tout autre bâtiment, est aujourd’hui presque banal, le Street Art a trouvé une plus large place. Partout en France, nombre d’artistes, à la demande d’équipes pédagogiques et de plus en souvent accompagnés par des associations, mettent en place des activités participatives, des créations d’œuvres collectives, des ateliers d’initiation… Loin d’être un phénomène de mode, il s’agit là d’une véritable tendance de fond d’un mouvement artistique majeur, dont la singularité tient à sa relation directe avec le public.
Bien plus qu’une école-musée
Savez-vous où admirer des œuvres signées par Pantonio, Rero, Jef Aérosol, Zabou et quelques dizaines d’autres à Saint-Étienne ? À l’école publique – maternelle et primaire – des Frères Chappe ! Depuis 2005, plus d’une centaine de fresques ornent les murs et les moindres recoins des bâtiments. Jérémy Rousset, le directeur à l’origine du projet, revient sur les débuts de cette étonnante aventure. « Nous sommes entrés dans ce projet par l’Art Urbain, parce que Saint-Étienne est un vivier assez intéressant de ce côté. Et nous avons eu un petit coup de pouce, parce qu’un des enfants d’Ella et Pitr étaient scolarisé chez nous. Nous avons très vite pris notre envol en guettant les opportunités de collaboration avec d’autres artistes et cela s’est très vite emballé. Tous étaient sensibles à la manière dont nous envisagions leur travail. Nous les prenons au sérieux, l’idée n’était pas de redécorer l’école à moindre frais, mais bien d’engager une véritable discussion artistique. Nous avons d’ailleurs organisé des ballades artistiques pour que les enfants fassent le lien avec les oeuvres intérieures à l’école et les œuvres extérieures ».
Une démarche inspirante
Si les street artistes sont toujours nombreux à s’impliquer dans le projet, celui-ci s’est élargi à d’autres univers. « Nous avons aujourd’hui des photographes, des artistes qui ne travaillent qu’en atelier, des musiciens… ». Mais toujours avec cette volonté d’avoir une véritable approche pédagogique. « Les enfants observent des artistes en train de créer, c’est essentiel. Quand ils sont devant une œuvre finie sans avoir vu l’artiste au travail, il n’est pas évident pour eux de comprendre qu’il y a une intention artistique. Voir le geste in situ permet de lever ce malentendu. Et les enfants peuvent échanger avec l’artiste, lui poser des questions, sur sa technique, son parcours artistique, sa vie… pour comprendre ce qui est son moteur. Ensuite, nous pouvons élever le débat sur le propos qu’il développe », explique Jérémy Rousset. Le plus important reste évidemment que les enfants soient aussi acteurs. « Ils produisent, non en singeant l’artiste, mais en développant une création personnelle tout en respectant les contraintes imposées par celui-ci. Cela donne un terreau d’échanges très riche, où l’on peut évoquer des sujets très techniques ».
Un succès inspirant
Même si elle a beaucoup été relayée dans la presse, l’expérience menée par Jérémy Rousset et les équipes de l’école Chappe n’est pas qu’un succès médiatique. Elle a aussi changé la perception de l’établissement. « Les enseignants les plus anciens notent une mixité sociale qui n’existait pas auparavant. En tout cas, il y a indéniablement un regard très chaleureux autour de nous. Nous recevons beaucoup de messages de soutien, cela fait chaud au cœur. Nous nous sentons très entourés, et très regardés. L’administration nous informe de demandes régulières, de plus en plus d’écoles mettant en place des expériences de ce type. Il y a quelque chose de particulier dans notre démarche. En proposant des goodies, en organisant une grande fête lors des Journées du patrimoine…, nous sommes financièrement indépendant. Du do it yourself de A à Z auquel nous tenons beaucoup. Ainsi, nous ne dépendons pas des instituions, non par allergie, mais pour conserver une certaine fraîcheur dans le projet ».
Bénéfice mutuel
Faire entrer le Street Art à l’école est aussi une bonne chose, sa perception – même si les choses changent – n’étant pas toujours positive, entre illégalité et imposition d’un environnement graphique aux habitants. « L’Art Urbain est aujourd’hui un phénomène de société. Je fais souvent le lieu avec l’enseignement du fait religieux à l’école. Il n’est pas question de faire du prosélytisme, mais on ne peut pas ne pas en parler. Pour le Street Art, il ne s’agit pas de légitimer les pratiques vandales mais de les questionner sans les éluder. De même pour les œuvres proposées. Les enfants ont le droit de les aimer ou non, des les trouver géniales, admirables ou dérangeantes. Il ne faut pas imposer un mode de pensée », analyse Jérémy Rousset. C’est sans doute cette ouverture d’esprit qui explique que les artistes soient si nombreux à adhérer à de telles initiatives ou même d’en être à l’origine.
Une forte demande
Passionné par le graffiti depuis toujours, le varois AlexZ a commencé, comme beaucoup, à taguer à l’adolescence. Après avoir étudié l’histoire et la philosophie de l’art – plus particulièrement l’esthétique –, la vie l’a éloigné de toute pratique jusqu’à ce qu’il se retrouve bloqué chez lui il y a quelques années. « Il fallait que je m’aère le cerveau. J’avais des bombes, des marqueurs des idées des supports et, depuis, je n’ai pas arrêté ». S’il a développé une importante activité d’animation en milieu scolaire, c’est un peu par hasard. « J’ai commencé par des ateliers dans un magasin de décoration. De fil en aiguille, les enfants et les parents que j’avais en cours en ont parlé à des enseignants et certains m’ont contacté, notamment des professeurs d’art plastique mais aussi de musique, parce qu’ils sont de plus en plus nombreux à aborder le Hip Hop dans leurs cours et que c’est un complément naturel. Je suis aussi sollicité par des directeurs et des conseillers principaux d’établissement pour des projets plus ambitieux et collaboratifs ».
Aujourd’hui, Alex propose des ateliers de découverte du Street Art et la réalisation de fresques murales en collège. « Je demande toujours si les élèves participent. Et lorsque l’on me commande uniquement une fresque, ce qui arrive parfois, cela me frustre terriblement, ma démarche étant inscrite dans le partage. Aujourd’hui d’ailleurs, 90% de mon activité se passe en interaction avec des élèves ». AlexZ anime même des conférences et des échanges sur l’Art Urbain mais aussi le beau et l’émotion. « Je me suis rendu compte que le Street Art ouvrait vers l’art au sens le plus large. Les élèves me questionnant beaucoup sur les artistes et les techniques du graffiti, nous arrivons à établir des ponts avec divers sujets, passant des mangas à George Braque, des persos à La Joconde… ».
Un accueil toujours positif
« Le Street Art passe très bien en milieu scolaire », affirme l’artiste. « Nous ne sommes pas dans la lenteur de l’enseignement traditionnel, qui est toujours nécessaire. Nous fabriquons des pochoirs, prenons des bombes, alloons sur le mur pour un résultat rapide. Ça va vite et c’est ce qui est chouette ! ». Pour autant, il ne s’agit pas uniquement de divertissement. « L’objectif est de lier les aspects artistique et pédagogique. Je travaille toujours autour d’un message, souvent une thématique proposée par l’équipe pédagogique. Avec les élèves, on sait d’où on part, où on va et pourquoi ». Pour Alex, l’image du Street Art a bien changé. « Les parents, les municipalités, les enseignants nous regarde comme des artistes, non comme des vandales. Mais on me pose toujours beaucoup de question sur la légalité de l’activité. C’est bien que cela vienne sur le tapis, parce que cela veut dire que les consciences évoluent. Le vandale, j’en ai fait, mais je me suis toujours senti un peu coupable, cela ne me convenait pas. Maintenant que je travaille dans un cadre sain, je me sens parfaitement à l’aise ».
Enrichissement mutuel
Association créer en 2018 par des passionnés, Art’Murs s’est donné pour mission de promouvoir l’Art Urbain sous toutes ses formes, en tant que vecteur de partages et d’échanges entre les artistes, la ville et ses habitants. À côté de l’organisation de festivals, d’expositions et de réalisations de murs, elle propose également des ateliers menés par des artistes, notamment en milieu scolaire, avec des élèves de tout âge, de la maternelle au lycée et même au-delà. Une démarche complète, qui intègre d’abord une présentation du mouvement Street Art, sous la forme d’une promenade guidée dans des spots choisis ou une intervention en classe, avec photos et vidéos ; et qui passe ensuite par une phase d’expérimentation, avec la réalisation d’une œuvre collective, généralement sur un mur de l’établissement autour d’une thématique préalablement définie.
A chaque fois, le choix de l’artiste est déterminant. « Nous cherchons un ou des intervenants appropriés pour chaque projet. Il faut que la thématique parle à l’artiste et que sa technique soit adaptés à l’âge des enfants. Tous les artistes ne sont pas réceptifs. Il faut être pédagogue – et patient –, ce qui évidemment n’est pas le cas de tout le monde. Mais tous les artistes avec qui nous avons déjà travaillé sur des ateliers sont unanimes : l’échange avec les enfants n’est pas seulement enrichissants pour eux, il l’est tout autant pour nous et pour l’artiste. Leurs questionnements et leurs remarques sont pertinents et intéressants, leur spontanéité, que ce soit dans la relation aux autres ou dans leur pratique, fait du bien ! », explique Sabine Meyer, cheffe de projet pour l’association.
Un outil pertinent
« La très grande majorité des élèves sont ravis de participer à ce type de projet. Leur enthousiasme est un véritable moteur pour nous, il nous nourrit. Il arrive parfois que certains élèves “bloquent” car ils se sont mis en tête qu’ils étaient “nuls en dessin”. C’est alors un vrai bonheur de les voir prendre de la distance avec cette certitude au fur et à mesure de l’atelier, de constater leur fierté face à ce qu’ils ont réalisé », s’enthousiasme Sabine Meyer. Le Street Art est ainsi un moyen très efficace de sensibiliser les enfants à l’art et les thématiques développées par certains artistes permet d’ouvrir un dialogue sur des sujets qu’ils n’auraient peut être pas abordés autrement. « En atelier, lorsque l’on parle d’écologie ou de luttes pour les droits des femmes par exemple, les échanges sont toujours denses. Quelle joie de constater que les nouvelles générations s’emparent déjà de sujets essentiels ! ». Mouvement artistique ultra démocratique, « l’Art Urbain permet de découvrir des œuvres, visibles 24/24h, 7/7j, quel que soit son âge, son origine, son statut social… Grâce à lui, les enfants prennent conscience que leur quotidien est bercé par l’art, sans qu’il soit nécessaire de pousser la porte d’une institution, d’un musée ou d’une galerie pour s’émerveiller devant une œuvre. La richesse des univers fait que chaque sensibilité trouve des œuvres qui lui parle et la richesse des techniques attise la curiosité. C’est une très grande porte d’entrée à l’art en général ». Victor Hugo affirmait qu’il fallait construire des écoles pour ne pas avoir à construire de prison. L’on pourrait ajouter qu’il faut y faire entrer l’Art – Urbain naturellement – pour ouvrir les esprits.
PMH fait entrer le doodle à l’école
« À la base, le doodle, c’est le fait de dessiner librement en laissant son imagination faire le travail, sans vouloir représenter quelque chose de concret. C’est donc, à mon sens, tout à fait adapté aux enfants… et aux adultes, d’ailleurs ! », explique PMH, l’ambassadeur le plus notable de ce style. « Je l’ai vérifié dans les écoles où je suis déjà intervenu. En particulier pour ceux qui sont convaincus depuis tout petits qu’ils ne savent pas dessiner parce qu’ils ne parviennent pas à représenter un vélo, un bonhomme ou un oiseau ! C’est à la fin du doodle que l’on peut chercher des éléments à reconnaître dans le dessin, et chacun a sa propre interprétation ! C’est aussi ce qui fait que ce style est très ludique et satisfaisant ».
Outil pédagogique
Rien de plus naturel que l’artiste soit régulièrement sollicité par les enseignants. D’autant que cet ancien prof d’histoire, qui a gardé la passion de transmettre des connaissances, des conseils et un savoir-faire, se réjouit d’accompagner chaque année au moins un ou deux projets pédagogiques, intervenant aussi bien devant des maternelles que des 4ème. « Ce qui est fascinant, c’est de les voir s’emparer de l’esprit du doodle. Ils comprennent rapidement que ce n’est pas du gribouillage, mais ils doivent aussi parfois apprendre à déconstruire certains schémas : l’idée n’est pas de représenter une image que l’on aurait en tête, mais de se laisser surprendre par cette forme d’écriture graphique automatique. Une fois cette barrière tombée, en général, plus rien ne les arrête. Et, mine de rien, pratiquer le doodle est un excellent moyen pour se concentrer sans s’en apercevoir, même pour les élèves les plus agités! ».
Une malette pour tous
Avec Posca, PMH a ainsi conçu une mallette spécifique pour le doodle. Une démarche qui, pour lui, s’inscrit naturellement dans cette logique de transmettre, d’enseigner, de partager. « Quand Posca m’a proposé de concevoir cette mallette en 2021, nous nous sommes fixés trois objectifs : qu’elle soit accessible au grand public, ludique et pédagogique. Et grâce aux quelques fiches d’accompagnement qui se trouvent à l’intérieur, on peut s’entraîner à dessiner à ma façon, avec des pas à pas assez simples, et trois niveaux de difficulté. Normalement, avec un peu d’entraînement et de concentration, on parvient à réaliser ses propres doodles tout en se changeant les idées, un premier pas vers la création personnelle pour… qu’on se mette tous ensemble à envahir le monde de doodles, parce qu’il en a bien besoin ! ».